Agriculture paysanne durable

Démasquer l’agriculture intelligente face au climat

28/09/2014
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L’histoire se présente la première fois sous forme de tragédie, ensuite comme une farce.
 
Nous, femmes, hommes, paysan-ne-s, petits agriculteur-rice-s familiaux, migrant-e-s, travailleur-euse-s ruraux, autochtones et jeunes de La Via Campesina, dénonçons l’agriculture intelligente face au climat qui est présentée comme une solution au changement climatique et un mécanisme de développement durable.
 
Pour nous, il est clair que derrière sa prétention à lutter contre la pauvreté rurale persistante et le changement climatique, il n’y a rien de nouveau. Il s’agit avant tout de continuer la Révolution Verte engagée au début des années 1940, et poursuivie dans les années 1970 et 80 par la Banque Mondiale et les entreprises à travers les projets de réduction de la pauvreté. Ceux-ci ont décimé de nombreuses économies paysannes, en particulier dans le Sud. Ainsi, de nombreux pays qui étaient autosuffisants en production alimentaire, comme le Mexique , sont devenus en l’espace de deux décennies dépendants du Nord pour nourrir leurs populations.
 
Le résultat de ces projets dictés par le besoin d’expansion du capital industriel a été l’intégration des paysan-ne-s et de leurs productions dans le modèle agricole et alimentaire industriel d'aujourd'hui. Ce modèle est basé sur l’utilisation accrue de produits chimiques toxiques, est dépendant des combustibles fossiles pour ses intrants et technologies, favorise l’exploitation croissante des travailleur-se-s agricoles et ruraux et a pour conséquence une perte importante de la biodiversité. Ce système alimentaire est maintenant sous le contrôle des entreprises et des grands exploitants industriels – qui en sont les principaux bénéficiaires. Il a entraîné la perte de la sécurité et de la souveraineté alimentaire, transformant des pays entiers, autrefois exportateurs nets de produits alimentaires en importateurs nets. Non pas que ces pays ne soient pas capables de produire de la nourriture, mais parce qu'aujourd'hui, ils ne produisent plus que des cultures commerciales destinées à la production d’aliments industriels, de carburants, de produits manufacturés, ou à la spéculation sur les marchés financiers mondiaux.
 
Aujourd’hui, ce sont les mêmes acteurs qu'hier, telle la Banque Mondiale, qui sont à l’origine de l’agriculture intelligente face au climat comme solution au changement climatique. Ils prétendent augmenter les revenus des travailleur-se-s ruraux pauvres – en se basant sur l’idée erronée que l’augmentation des revenus passe par l’augmentation de la productivité. Il est clair que l’intention est de créer de nouveaux marchés pour poursuivre la Révolution Verte. Ceci s'inscrit dans le cadre plus large de projets d’ajustements structurels« verts » exigés par un système économique et des élites politiques en détresse, qui voient dans l’agriculture et les terres agricoles de nouvelles possibilités d'investissements financiers spéculatifs.
 
L’agriculture intelligente face au climat ne fait pas la distinction entre les effets négatifs de l'agriculture industrialisée et les vraies solutions offertes par l'agroécologie paysanne, qui ont contribué à réduire la pauvreté, la faim et à lutter contre le changement climatique. L’activité agricole qui contribue le plus aux émissions de gaz à effet de serre est l’agriculture industrielle et non l’agroécologie paysanne.
 
L’agriculture intelligente face au climat va augmenter la concentration des terres, poussant les agriculteurs vers des projets de la Banque Mondiale, de l’Organisation pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) et d’autres institutions. Cela va créer une dépendance aux nouvelles technologies incluant les « semences intelligentes face au climat », les intrants et crédits. Ces biotechnologies ignorent les pratiques traditionnelles qui ont fait leur preuve en termes d’adaptation et de gestion des variétés de semences. Elles ne permettront pas d'adaptation aux changements climatiques ni d’amélioration des revenus. Elles entraîneront davantage les paysan-ne-s dans la dette et la dépendance. De même que la Révolution Verte a imposé les engrais et pesticides de synthèse comme condition d’accès aux prêts et à l’assistance technique, les biotechnologies sont à leur tour imposées, le tout au nom de la productivité.
 
L’idée d’augmenter la productivité agricole de manière durable, ou « l’intensification durable», est erronée. L'augmentation des rendements à l’hectare grâce à l'intensification de la production ne fait qu’augmenter le revenu des entreprises, des spéculateurs sur les marchés financiers, et des grands propriétaires terriens.
 
L'« intensification durable » n’a pas tant pour objet l’augmentation du rendement à l’hectare, qu’un green-washing à grande échelle de la production industrielle suivant le vieil adage « grossis ou disparais ».
 
Les paysan-ne-s doivent de plus en plus produire des cultures commerciales pour le marché international et non pour les systèmes alimentaires locaux et régionaux. Ils-elles cultivent des matières premières pour les multinationales qui les transforment en aliments de mauvaise qualité, en agro-carburants ou en produits pharmaceutiques. Les paysan-ne-s n’auront pas d’autre choix que de continuer à accepter de nourrir l’insatiable machine de production alimentaire capitaliste et ses activités spéculatives sur les marchés financiers.
 
L’intensification de la production est aussi un moyen de réduire le coût de la main d’œuvre, signifiant ainsi la dégradation continue des conditions de travail, et le recours à des salaires moins élevés pour les travailleur-euse-s migrants. La plupart des paysan-ne-s seront exclus car l’agriculture industrielle n'a rien à leur offrir, si ce n’est de devenir des paysan-ne-s sans terre ou de des migrant-e-s tentant leur chance en tant que travailleur-se-s dans les villes et les campagnes pour un salaire de misère.
 
Au final, l’agriculture intelligente face au climat tente de dissimuler la nécessité d’une véritable réforme agraire et agricole. Elle masque la problématique de la rareté des terres et des ressources naturelles qui affecte principalement les paysan-ne-s. La pauvreté est le résultat du manque d’accès à la terre, à l'usage de la terre, à la propriété foncière. La pauvreté est la conséquence du traitement injuste ,des salaires bas des travailleur-se-s ainsi que de l’exploitation implacable de leur main d’œuvre afin de répondre aux besoins du capitalisme, le tout façonnant la folie à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui.
 
En outre, l'agriculture intelligente face au climat, à l'instar du programme de Réduction des émissions liées à la déforestation et de la dégradation des forêts (REDD), va étendre le marché du carbone et son utilisation pour la spéculation financière. La possibilité de gros profits augmentera la spéculation sur le marché du carbone avec des investissements dans les crédits carbone générés par des terres agricoles participant à des projets d’agriculture intelligente face au climat Ceci conduira à favoriser « l’accaparement des terres au nom du carbone » par les gros investisseurs et producteurs, et la poursuite du déplacement des paysan-ne-s, tout comme REDD déplace des populations autochtones.
 
Cette agriculture intelligente face au climat offre peu d’espoir de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de diminution de l’insécurité alimentaire ou d’un développement rural socio-économique significatif. Les problèmes de pauvreté, d’insécurité alimentaire et de changement climatique ne sont pas des échecs du marché, mais sont plutôt les défauts structurels du système .Ces défauts persisteront et s’aggraveront avec la mise en œuvre de l’agriculture intelligente face au climat.
 
Nous avons besoin d’un changement de système MAINTENANT!
 
Aujourd’hui, tout comme par le passé, nous sommes prêt-e-s à lutter, à travers nos demandes pour la justice climatique et environnementale, contre les fausses solutions promues par « l’économie verte » capitaliste et à nous battre pour de véritables solutions au changement climatique et à la pauvreté,.
 
Nous continuons de proposer et mettre en pratique, partout où nous le pouvons, l'agroécologique paysanne et la construction de la souveraineté alimentaire des peuples. Nous créons volontairement ces autres espaces pour apporter les changements structurels dont nous avons vraiment besoin pour faire face aux problèmes de la pauvreté, du changement climatique et de l’incapacité des peuples à se nourrir
 
A l'occasion du Sommet sur la climat organisé par Ban Ki Moon, nous appelons tous les mouvements sociaux réunis à New York, à dénoncer la fausse solution qu'est l’agriculture intelligente face au climat, à s'opposer au lancement de l’Alliance Mondiale pour une Agriculture Intelligente face au Climat, et à nous rejoindre dans la lutte pour la souveraineté alimentaire et pour des modes de production agricole et alimentaire différents. Modes à même de fournir un revenu juste pour les paysan-ne-s et leurs communautés, de produire une nourriture saine répondant aux besoins nutritionnels des populations et de garantir l’accès alimentaire en quantité suffisante à tous. Toute pratique de production et de consommation, pour être vraiment durable, doit enrichir et protéger la Terre-Mère.
 
 
 
Non à l’agriculture intelligente face au climat !
 
Oui à la réforme agraire et a l’agroécologie paysanne pour la souveraineté alimentaire des peuples !
 
Globalisons la lutte globalisons l’espoir !
 
 
https://www.alainet.org/de/node/103608
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