Grèce : la balle est dans le camp des créanciers

29/05/2015
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« Dire que tout va changer parce qu’il y a un nouveau gouvernement à Athènes, c’est prendre ses désirs pour des réalités », avait déclaré Jean-Claude Juncker peu après les élections du 25 janvier 2015 qui ont porté au pouvoir la coalition de gauche Syriza. Lorsque le président de la Commission européenne affirme en substance que les élections ne changent rien, il reconnaît la mainmise des institutions créancières qui, au nom de la réduction de la dette, décident des politiques à suivre quels que soient les résultats électoraux.

 

Les contre-réformes du «  mémorandum  » que la troïka avait négociées avec le précédent gouvernement de Samaras-Venizelos doivent être adoptées coûte que coûte. Après avoir dévasté le pays, les prêteurs utilisent le besoin urgent de «  liquidité  » qu’ils ont eux-mêmes créé, pour imposer l’austérité, réduire le coût du travail et tout privatiser.

 

Versement bloqué pour mieux négocier

 

Depuis plus de neuf mois, Athènes attend le versement d’une tranche de 7,2 milliards d’euros des 240 milliards du plan dit de « sauvetage » de la troïka – Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international (FMI). Au départ, les créanciers attendaient les élections pour savoir si le gouvernement élu allait courber l’échine.

 

Depuis que Syriza est au pouvoir et que l’accord du 20 février qui avait semblé ouvrir la voie au versement d’argent a été signé, ils veulent imposer leurs politiques libérales (nouvelle baisse des retraites, réforme du droit du travail, etc.) lors des négociations en cours, sans quoi cette « aide » restera en suspens...  En mars dernier déjà, Alexis Tsipras avait envoyé un courrier à la chancelière allemande Angela Merkel, afin de l’avertir du risque qu’Athènes ne puisse plus rembourser ses dettes envers ses créanciers, si on ne lui versait pas très vite les 7,2 milliards d’euros attendus depuis août 2014.

 

Les prêteurs, dont le FMI en première instance, continuent à bloquer cet ultime versement afin de négocier dans une situation confortable : faites ce qu’on vous dit ou vous n’aurez pas d’argent, voilà où en est la souveraineté du jeune pouvoir grec récemment élu.  La démocratie est tolérée tant qu’elle reste libérale et satisfait les exigences avides des détenteurs de capitaux. La troïka n’avait-elle pas fait pression pour annuler le référendum sur la restructuration de la dette grecque annoncé début novembre 2011 par George Papandréou alors Premier ministre ?

 

Jusqu’à maintenant, la Grèce a toujours remboursé les échéances dues au FMI, qui détient environ 10% des créances. Mais il semble qu’il n’y ait plus d’argent dans les caisses de l’État et il va bien falloir choisir entre l’application du programme social pour lequel Syriza a été élu et le fait de continuer à suivre docilement les directives des créanciers qui ont amené la Grèce au désastre.

 

Doit-on rappeler que « grâce » à ce fameux « plan de sauvetage » de la troïka en Grèce, le chômage s’est envolé de 273,7% entre 2009 et 2013 pour s’établir à 26 % aujourd’hui, les pensions retraite ont chuté de 45% sur la même période, le budget de la santé a chuté de 40 %, la tuberculose et la syphilis sont réapparues, les cas de Sida se sont multipliés et les maladies et suicides ont augmenté de 45 % entre 2007 et 2011, la pauvreté infantile a atteint plus de 40 % en 2012 et la dette publique a explosé à 185 % du PIB ?

 

Les remboursements incessants vident les caisses de l’État

 

Alors qu’il a déjà reçu près de 2,5 milliards de bénéfice via les intérêts de ses prêts à court terme à la Grèce depuis 2010, le FMI réclame régulièrement des sommes colossales de remboursement, quitte à asphyxier encore plus l’État grec déjà à bout de souffle. Comme elle s’y était engagée lundi 11 mai à l’issue de l’Eurogroupe, la Grèce a remboursé 750 millions d’euros à l’institution financière ce 12 mai. Seulement, cette fois-ci, le gouvernement se retrouve avec les caisses vides.

 

Le gouvernement n’aurait donc pu apporter que 100 millions et, selon le journal grec Kathimerimi, les 650 millions d’euros restants auraient été prélevés sur le compte de réserve que la Grèce détient – comme tous les autres pays membres – auprès du FMI. Bien sûr, la Grèce devra renflouer ce compte rapidement et en conséquence s’endetter de nouveau auprès de l’institution.

 

Si elle n’adopte pas un moratoire immédiat sur sa dette, la Grèce va se trouver confrontée à une situation très difficile. Le 5 juin, elle doit s’acquitter d’un nouveau versement de 302,5 millions d’euros au FMI, suivi d’autres, pour un montant global d’environ 1,5 milliard d’euros pour le seul mois de juin.

 

« Les lignes à ne pas franchir »

 

Le porte-parole au Parlement de Syriza, le parti au pouvoir, Nikos Filis est très clair :

 

« Nous sommes arrivés au moment où les négociations doivent aboutir. C’est désormais le moment de vérité, le 5 juin », a-t-il déclaré à l’antenne de la chaîne de télévision ANT1. « S’il n’y a pas d’accord d’ici là, qui règle le problème actuel de financement, ils n’auront pas d’argent. »

 

Le 18 mai, le ministre des Finances, Yanis Varoufakis, a clairement dit qu’il n’hésiterait pas entre le paiement des salaires et pensions de retraite et le versement au FMI :

 

« Je préférerais faire défaut devant le FMI que devant les retraités. »

 

De son côté, le Premier ministre, Alexis Tsipras, précise que le gouvernement grec ne « répondra pas à des demandes irrationnelles », « n’acceptera pas de directives humiliantes » et insistera sur « les lignes à ne pas franchir » :

 

« Nous ne discuterons pas d’une dérégulation majeure du système salarial. Nous n’accepterons pas une nouvelle réduction des retraites ». [1]

 

Le ministre de l’Intérieur, Nikos Voutsis, a prévenu dimanche 24 mai à la chaîne de télévision grecque Mega :

 

« Les quatre versements au FMI en juin représentent 1,6 milliard d’euros. Cet argent ne sera pas donné et il n’y en a pas à donner ».

 

Pourtant, c’est par une courte majorité (95 contre, 75 pour et 30 abstentions) qu’a été rejetée ce même jour, une motion qui recommandait, entre autres, au gouvernement « de ne pas payer au FMI les prochaines échéances », de « nationaliser les banques » et de consulter « dans un avenir proche » le peuple grec en organisant un référendum. La poursuite du remboursement de la dette l’a donc remporté au sein du comité directeur de Syriza face à la Plateforme de gauche, dirigée par l’actuel ministre du redressement productif, Panayiotis Lafazanis, qui prône une ligne dure vis-à-vis des créanciers. Sur la question centrale de la dette, la ligne modérée jusqu’ici défendue par M. Tsipras commence à être sérieusement remise en question.

 

En attendant le rapport préliminaire de la Commission pour la vérité sur la dette grecque, qui doit être rendu le 18 juin, Commission dont les travaux sont soutenus par des milliers de personnes à travers le monde [2], l’affrontement semble inéluctable. Au-delà de la démocratie et de la souveraineté, la survie du peuple grec est en jeu.

 

 

- Jerome Duval est membre du Comité pour l’Annulation de la dette du Tiers monde (CADTM) et de la plateforme d’audit citoyen de la dette en Espagne.

 

 

[1] La Grèce n’acceptera plus de demandes ’irrationnelles’, dit Alexis Tsipras, latribune.fr, 23/05/2015.
http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/la-grece-n-acceptera-plus-de-demandes-irrationnelles-dit-alexis-tsipras-478482.html

 

[2] Appel pour soutenir la Grèce qui résiste et sa Commission pour la Vérité sur la Dette publique. http://cadtm.org/Appel-pour-soutenir-la-Grece-qui Pour signer : http://greekdebttruthcommission.org/

 

 

https://www.alainet.org/de/node/169977?language=es
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