19J à Barcelone. Il n’y a plus de doutes: la rue est à nous
25/06/2011
- Opinión
Le 19J était un test décisif pour le mouvement né le 15 mai dernier. L’objectif initial de la journée était de traduire en une mobilisation de rue les sympathies populaires que le mouvement avait suscitées au cours de ces dernières semaines. De plus, après la journée d’action du 15 juin devant le Parlement catalan, la manifestation du dimanche 19 juin s’est également transformée en une épreuve de force face aux adversaires du mouvement. Après le 15 juin en effet, ce mouvement s’est vu plongé dans une bataille pour défendre sa légitimité. Il devait donc montrer toute sa force dans une mobilisation de masse capable de balayer les doutes.
Le résultat est indiscutable. Sans entrer dans la stérile querelle des chiffres, le 19 juin, des centaines de milliers de personnes ont manifesté dans les rues. Il y avait 150.000 personnes à Madrid, dans le cadre d’une marche spectaculaire organisée en plusieurs colonnes qui, partant de différents quartiers, a convergé dans le centre de la ville. Il y avait 275.000 personnes à Barcelone (selon les données établies à partir d’images satellites sur google), qui ont paralysé le centre de la ville. D’autres manifestations ont parcouru les rues de plus de 50 villes dans tout l’Etat espagnol.
La tonalité et le profil de ces manifestations ont été dominés par leur caractère festif et ludique, combiné à la radicalité des revendications. «La rue est à nous. Nous ne paierons pas leur crise» était le slogan principal de la manifestation de Barcelone, accompagné de trois exigences subalternes ; «Stop à l’austérité» ; «Felip Puig (Conseiller à l’Intérieur du gouvernement régional catalan) démission» et «Vers une grève générale». Les critiques vis-à-vis du Pacte de l’Euro, aux politiques d’austérité, aux banques, la demande d’une grève générale… tels furent effectivement les slogans les plus repris par les participant-e-s.
Le souvenir de l’énorme manifestation alterglobaliste «contre l’Europe du capital et de la guerre» du 16 mars 2002, à l’occasion du sommet de l’Union européenne à Barcelone, est revenu à la mémoire de beaucoup d’entre nous.
Le 19J a démontré l’élargissement quantitatif et qualitatif du mouvement par rapport au 15 mai. En un mois, sa base sociale s’est élargie, elle s’est diversifiée du point de vue social et générationnel, elle s’est également enracinée du point de vue territorial. Ce succès culmine ainsi la première phase ouverte avec le 15M et les campements. Il ouvre une nouvelle étape, encore indéfinie.
Cette secousse sociale reflète la profondeur de la dynamique en cours et la consistance d’une indignation sociale et d’un mouvement en marche qui a pu surmonter l’attaque féroce dont il a fait l’objet le 15 juin. L’opération de criminalisation mise en marche après le blocage du Parlement catalan a finalement échouée. Mis au pied du mur par les médias au soir du mercredi 15 juin, le mouvement a immédiatement démontré qu’il jouit d’un vaste soutien populaire.
En Catalogne, submergés par le tourbillon médiatique, certains secteurs sociaux qui sympathisent avec les indignéEs ont probablement pensé que le mouvement avait «été trop loin» et que «ce n’est pas ainsi qu’il faut faire les choses». Mais la majorité d’entre eux ont à nouveau progressivement en sa faveur au cours des journées suivantes. Il semble clair que le gouvernement catalan conservateur CiU (1) a, de nouveau, mal évalué les choses et fait une énorme erreur de calcul en lançant une attaque aussi brutale contre le mouvement. Cette attaque a été perçue comme excessive aux yeux d’une bonne partie de l’opinion publique.
Les qualificatifs de «kale borroka (guérilla urbaine) de basse intensité» et d’actions de «violence extrême» lancés contre le blocage du 15 juin devant le Parlement étaient effectivement exagérés au regard des images retransmises. La menace effrontée du Conseiller à l’Intérieur Felip Puig de déposer plainte contre Arcadi Oliveres - président de l’association «Justice et Paix», qui jouit d’une énorme popularité en Catalogne - pour ses déclarations suggérant que c’étaient des policiers infiltrés qui ont provoqué les incidents, n’a fait que donner plus d’intérêt encore aux vidéos circulant sur internet afin de dénoncer cette infiltration policière. Cela n’a fait que confirmer également la volonté du gouvernement CiU d’utiliser la mobilisation devant le Parlement pour criminaliser l’ensemble des mouvements sociaux.
Dans la même veine, l’attaque directe lancée contre la Fédération des Associations de Voisins de Barcelone (FAVB), qui avait organisé la « casserolade » devant le Parlement (mais non le blocage en lui-même), a été vue comme une tentative de dénigrer l’une des organisations sociales les plus représentatives de la ville et qui est destinée à jouer un rôle clé dans l’opposition aux politiques municipales du nouveau maire conservateur, Xavier Trias.
Dans la criminalisation du 15J, comme ce fut le cas dans d’autres occasions, le gouffre entre le discours des médias et les sentiments de l’opinion publique majoritaire s’est révélé patent. Les délires sur «l’attaque contre la démocratie» et la «prise d’otage du parlement» n’ont finalement fait qu’exprimer le point de vue intéressé et partial de «faiseurs d’opinions» qui laissent indifférents pas mal de monde. La sacralisation des institutions et de leurs représentants faite par les médias n’est donc pas le reflet du sentiment de la rue.
De nombreux médias ont demandé au mouvement s’il était prêt à faire son «autocritique» pour son action devant le Parlement. Au regard de la manifestation du 19J, plusieurs journalistes professionnels honnêtes ayant adopté des positions favorables aux indignés, mais qui n’ont pas compris les événements du 15 juin, devraient désormais se poser cette question à eux-mêmes.
En outre, le mouvement a été capable de réagir avec un discours intelligent à cette tentative de criminalisation, et cela malgré les difficultés de parvenir au consensus et du fait de problèmes de fonctionnement internes. Réaffirmant la légitimité de l’action de «blocage» du Parlement, il a mis en lumière son exigence d’un référendum sur les politiques d’austérité. Il a insisté sur le caractère exagéré de la charge médiatique concernant les incidents «violents» et il a réitéré les soupçons de provocations policières et dénoncé la violence et les arrestations policières. Il s’est démarqué (sans pour autant condamner) des actions qui ont eu lieu pendant la mobilisation et qui n’entraient pas dans les critères «d’action massive non violente et déterminée» établis par consensus lors de la préparation de la journée.
Dans ce cadre, la gauche institutionnelle catalane, qui avait joué un rôle lamentable le 15 juin en s’affrontant directement au mouvement et en agissant à la remorque de la droite, a finalement compris que l’enjeu du 19 juin ne concernait pas seulement l’avenir et la crédibilité du mouvement. Un échec de cette mobilisation aurait sans doute dégonflé ce mouvement qui dérange tant cette gauche parlementaire, mais cela aurait été au prix de son isolement face à une droite au pouvoir. Ainsi, de manière discrète, des partis tels que ICV-EUiA (2) ont montré leur soutien à la manifestation, tout comme, indirectement, quelques médias proches de la gauche parlementaire. De leur côté, les syndicats majoritaires, CCOO et UGT, relégués à l’arrière plan depuis l’émergence du mouvement, ont appelé à participer à la manifestation et ont été présents en son sein (mais avec un profil bas, afin d’éviter les susceptibilités).
Le succès du 19J démontre donc l’ampleur de la sympathie populaire pour le mouvement et le malaise social que ce dernier exprime. Derrière la participation massive, il y a eu également une réaction défensive d’une bonne partie de la base sociale du mouvement, qui a compris le caractère exceptionnel de cette mobilisation, son importance cruciale et la nécessité d’offrir une réponse fulgurante aux tentatives de le criminaliser et de le détruire.
Les déclarations de l’ensemble des dirigeants politiques catalans après le 19J, à commencer par le président de la Generalitat (3), Artur Mas, qui a affirmé «comprendre» les indignéEs, ou celles du Conseiller à l’Intérieur, Felip Puig, qui a « félicité » avec une figure de circonstance les organisateurs de la manifestation, sont les meilleures preuve du succès sans appel de cette mobilisation à Barcelone.
Sachant que, finalement, la rue s’est réveillée, les partisans de «la loi et de l’ordre» vivent des jours d’anxiété.
Josep Maria Antentas est professeur de sociologie à l’Universitat Autónoma de Barcelona (UAB). Esther Vivas participe au Centre d’études sur les mouvements sociaux (CEMS) de l’Universitat Pompeu Fabra (UPF). Tous deux sont membres de la Gauche Anticapitaliste (Izquierda Anticapitalista), rédacteurs à la revue Viento Sur et auteurs de «Resistencias Globales. De Seattle a la Crisis de Wall Street» (Editorial Popular, 2009).
Traduction française par Ataulfo Riera pour le site www.lcr-lagauche.be.
Notes du traducteur :
1) CiU : Convergència i Unió, coalition autonomiste de centre-droite.
2) ICV : « Iniciativa per Catalunya Verds », organisation affiliée aux Verts Européens. EUiA : « Esquerra Unida i Alternativa », coalition contrôlée par le Parti communiste de Catalogne.
3) Institutions politiques autonomes de la Catalogne.
2) ICV : « Iniciativa per Catalunya Verds », organisation affiliée aux Verts Européens. EUiA : « Esquerra Unida i Alternativa », coalition contrôlée par le Parti communiste de Catalogne.
3) Institutions politiques autonomes de la Catalogne.
https://www.alainet.org/en/node/150772
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