La doctrine Tanzi ou les nouvelles formes de l’Etat néolibéral
10/09/2013
- Opinión
« L’Etat n’est concevable que comme la forme concrète d’un monde économiquement déterminé », Antonio Gramsci
Analysant les conséquences politiques et idéologiques des crises économiques, Antonio Gramsci remarquait dans ses Cahiers de prison qu’elles pouvaient « créer un terrain plus favorable à la diffusion de certaines façons de penser, de poser et de résoudre les questions qui impliquent tout le développement ultérieur de la vie de l’Etat » [1].
C’est précisément ce que vient confirmer – du point de vue de la pensée économique des classes dominantes – la publication, de l’ouvrage Government versus Markets. – The Changing Economic Role of the State [2]. Son auteur n’est autre que l’ancien directeur du département des affaires fiscales du Fonds monétaire international (FMI) [3]. Vito Tanzi fut également sous-secrétaire à l’économie et aux finances du gouvernement de M. Silvio Berlusconi [4].
Archétype du personnel très qualifié de l’oligarchie financière, ce fiscaliste de formation officie depuis trois décennies comme conseiller des gouvernements (une centaine à son actif d’après son propre décompte) ou expert dans les organisations internationales et les institutions bancaires : Nations unies, Commission européenne, Organisation des Etats américains, Banque mondiale, Banque centrale européenne, Banque interaméricaine de développement, etc.
Dans son ouvrage, qu’il convient de saluer pour la cohérence de sa logique idéologique, cet intellectuel organique des élites économiques et financières aborde des questions fondamentales : quel est le rôle de l’Etat dans la sphère économique ? Comment doit-il se positionner vis-à-vis des marchés financiers dans un monde globalisé ? Partant de cette problématique, Vito Tanzi dessine peu à peu les contours de la société libérale du 21e siècle qu’il envisage à l’image de l’idéal concret de la fraction la plus avancée et consciente d’elle-même de l’oligarchie économique et financière.
L’intérêt de la démonstration réside moins dans la nouveauté des principes énoncés par l’auteur (la plupart s’inscrivent dans ceux issus de la tradition libérale de l’Etat développée depuis le 19e siècle) que dans le fait qu’il les actualise et les ré-agence à la lumière de la crise financière et économique de 2008/2009 [5].
Il convient néanmoins de préciser que la thèse centrale développée par Vito Tanzi sur les origines de la crise financière – celle-ci serait, selon lui, le fait de l’endettement des Etats – ne résiste pas à l’analyse des faits. Grossière et fausse, cette démonstration singulièrement idéologique vise à dédouaner les marchés financiers et le commerce spéculatif de leur responsabilité. Cependant, cette ruineuse faiblesse d’analyse n’empêche pas l’ouvrage de conserver un intérêt significatif sur le plan de l’idéologie. Il offre en effet au lecteur une élaboration aboutie, du point de vue du néolibéralisme, sur ce que devrait être la reconfiguration de l’instrument étatique dans la phase ouverte par la crise de 2008/2009. Ce travail vise à influencer les décideurs politiques, économiques et médiatiques.
Selon l’auteur, la crise financière internationale a pu atteindre sa magnitude pour deux raisons dont la combinaison se serait révélée fatale.
En premier lieu, les Etats auraient été plombés par leur lourd endettement causé par le financement de dépenses publiques [6] liées à des systèmes de santé, de retraite et de chômage non soutenables à moyen terme.
De ce fait, ils se seraient trouvés dans l’incapacité de réagir de manière appropriée à un moment où ils auraient dû immédiatement intervenir pour sauver le secteur bancaire.
En second lieu, l’ancien dirigeant du FMI considère que la situation a pu se dégrader car ce secteur opérait lui-même – et opère toujours – dans le cadre d’un système financier international caractérisé par son fonctionnement tendanciellement anarchique. Et ce, du fait du manque de coordination des Etats et de l’absence d’harmonisation de leurs réglementations.
Selon l’auteur, pour regrettable qu’elle soit, cette situation serait d’abord la conséquence d’une erreur d’analyse et de pratique des Etats. Prisonniers d’une culture interventionniste dans l’économie, ils auraient toujours considéré qu’ils devaient pallier les « défaillances des marchés » en intervenant après les chocs. Or, un Etat « devrait déployer plus d’efforts et d’initiatives pour réduire les risques plutôt que pour les corriger, a posteriori, lorsque des situations problématiques qui auraient pu être évitées se font jour » estime ainsi le fiscaliste. D’ailleurs, « beaucoup de marchés dysfonctionnent en partie parce que les gouvernements les autorisent à créer les conditions qui les mènent à ces dysfonctionnements » précise-t-il. Ainsi, « la crise financière et économique de 2008-2009 indique que, malgré l’énorme expansion du rôle de l’Etat [dans la vie économique des sociétés depuis l’après-guerre], certaines de ses fonctions de base n’ont pas été activées, ou mal activées ».
A partir de ce postulat, et alors qu’il s’inquiète du fait que « le niveau de dettes publiques moyen des pays du G20 devrait, avec les politiques actuelles, approcher les 120 % de leur PIB dans la décennie à venir », Vito Tanzi dessine les contours du rôle de l’Etat néolibéral dans le système-monde post 2008/2009.
Ainsi, celui-ci aurait trois principales fonctions : « l’allocation des ressources, la redistribution du revenu, la stabilisation de l’économie ». Le plein-emploi, l’accès au crédit, la lutte contre la pauvreté et les inégalités ou les services publics constituent des domaines exclus de ses attributions ou qui doivent tendre à l’être.
A la racine de cette conception se trouve la réaffirmation de principes constitutifs de la pensée libérale en matière d’Etat : la dépense publique et la redistribution par l’impôt constituent des politiques inefficaces qui étouffent la croissance et l’innovation et renforcent les intérêts de groupes sociaux déterminés. Et ce, au détriment de tous. « Les programmes publics développés par les gouvernements ont tendance à être moins efficaces que ceux issus du secteur privé » affirme Vito Tanzi. « Les personnes qui prennent les décisions – les hommes politiques – les prennent sous la pression populaire ou sont incitées à promouvoir leurs groupes d’intérêts ou elles-mêmes » précise-t-il. Cette assertion permet à l’auteur d’introduire une idée centrale déclinée sous plusieurs formes tout au long de l’ouvrage : l’action politique et les élections démocratiques constitueraient des entraves à la rationalité et à l’efficacité de l’économie. Ainsi, elles encourageraient des logiques de clientélisme politique et social préjudiciables à la bonne gestion des ressources de l’Etat et des contribuables. Pour lui, les représentants de la souveraineté populaire agiraient comme des agents démagogiques générateurs d’instabilité économique.
Et de prolonger : « Quant à celles [les personnes] qui administrent ces programmes, elles ne sont pas incitées à réduire les coûts et à être plus efficaces. Les programmes gouvernementaux ne sont pas assujettis à la discipline imposée par la concurrence. » L’argument permet de développer une analyse plus globale de la crise des dettes publiques : « L’accumulation d’importantes dettes publiques dans plusieurs pays et, de manière plus précise, d’importantes dettes à venir – toutes causées par l’existence de systèmes de retraite ou de santé non financés – constitue un exemple clair de la myopie structurelle qui caractérise les gouvernements et les hommes politiques ».
Parallèlement, nos sociétés souffriraient également d’un « paradoxe de la redistribution ». Selon Vito Tanzi, le « préjugé » habituel consiste à affirmer qu’un haut niveau de dépenses publiques permet une forme de redistribution collective des revenus et une réduction significative des inégalités. Et ce, notamment lorsque les services publics sont universels (ouverts à tous sans condition). Mais le fiscaliste réfute l’argument. En effet, dans un monde globalisé, la réduction des inégalités de revenus ne constituerait pas une politique pertinente. Plus un pays investit ses ressources dans une politique de services publics par le développement de la socialisation des besoins et des risques sociaux (éducation, santé, retraite, chômage, etc.), moins il garantirait, en réalité, son potentiel de croissance économique sur le long terme.
L’investissement public dans l’économie et la société, ainsi que la captation par l’impôt d’une partie significative des revenus des ménages et des entreprises freineraient, en effet, l’initiative privée et la compétitivité dans le cadre de la concurrence internationale. Dans le même mouvement, ces politiques publiques ôteraient des capacités d’innovation et des gisements d’activités aux acteurs économiques.
C’est pour cette raison que, selon l’auteur, les économies planifiées n’ont pas survécu à leur confrontation historique avec l’économie de marché. De plus, il existerait un autre problème inhérent aux économies dans lesquelles la puissance publique occupe une place significative : une large part des fonds mobilisés serait toujours « siphonnée par ceux qui fournissent les services (enseignants, fonctionnaires, infirmiers, médecins, etc.) du fait de leurs salaires, mais aussi de leur inefficacité » (…) « Ainsi, la dépense publique est souvent accompagnée d’inefficacité, et celle-ci se matérialise sous la forme de rentes pour ceux qui fournissent les services ». Cette notion « d’inefficacité » ne sanctionne pas, chez Vito Tanzi, un jugement moral. D’une part, elle résulterait mécaniquement de l’inexistence de la concurrence dans le secteur public et, d’autre part, de la non-incitation à y adopter des logiques de réduction des coûts, notamment au sein des administrations et des structures auxiliaires de l’Etat.
En conclusion, la myopie structurelle des Etats, la captation de ses missions et de ses ressources par des groupes d’intérêts, et les contingences politiques (élections démocratiques) grèveraient, in fine, le futur des citoyens et des sociétés.
Comment, dans ces conditions et sur la base de l’expérience de 2008/2009, bâtir un autre Etat et lui donner les moyens de remplir ses trois principales missions (allocation des ressources, redistribution du revenu, stabilisation de l’économie) ? Et ce, dans un contexte nouveau caractérisé par l’émergence d’un système financier international se développant au-delà de la logique territoriale propre à l’Etat ?
Tout d’abord, il incomberait à ce dernier de stimuler le retour et le développement de la croissance économique interne (celle des marchés intérieurs). Et ce, par l’instauration progressive d’une société du revenu. Celle-ci permettrait à chaque individu de pouvoir jouir tendanciellement de la totalité de son revenu sans qu’il ne soit – ou très peu – « ponctionné » par l’Etat via l’impôt. Cet idéal-type de société devrait graduellement se substituer à celui d’une société de la socialisation (des services publics) jugée onéreuse, inefficace, non soutenable et destructrice de croissance dans un monde globalisé.
Cette perspective - fondée sur la mise en place d’une politique de baisse des dépenses publiques [7] et des impôts - permettrait de « libérer » du revenu disponible pour l’individu qui pourrait alors se procurer les services dont il a besoin sur le marché (couverture risque, santé, éducation, etc.).
Mais dorénavant, et ceci constituerait un fait nouveau, cette logique pourrait non seulement se déployer au sein des marchés nationaux traditionnels redynamisés par la transformation du mode d’organisation économique et sociale, mais également sur les marchés internationaux irrigués par le système financier mondial. Et l’auteur de déceler de nouvelles tendances qui viendraient valider cette analyse : « La globalisation (…) pourrait permettre à des pays d’utiliser (…) le développement abouti de vastes mécanismes internationaux de transferts d’argent pour faciliter l’achat de services nécessaires à leur protection sociale. Et ce, à des prix plus abordables que sur leur propre territoire ». Puis de préciser : « Par exemple, le tourisme médical s’est beaucoup développé ces dernières années. Il a permis à des citoyens de pays riches d’acheter des prestations de santé, chez eux onéreuses, à des prix abordables et à une qualité acceptable dans des pays plus pauvres, comme l’Inde. Dans un autre registre, d’autres pays, comme le Royaume-Uni, sont devenus des exportateurs majeurs de services dans le domaine de l’éducation. A long terme, la santé des séniors (ou même des détenus) pourrait être achetée à l’étranger, avec une qualité adéquate et à des coûts bien plus bas. »
Ainsi, la société de revenu mondialisée, émancipée de l’étouffoir étatique, permettrait d’assurer la protection sociale des citoyens : « L’abolition des programmes gouvernementaux, obtenus par la baisse de la dépense publique, réduirait de manière progressive et significative le besoin d’impôts élevés estime Vito Tanzi. « Cette baisse de la fiscalité se traduirait par une augmentation correspondante du revenu disponible, présent et futur, de la majorité des citoyens. Ces revenus accrus permettraient à beaucoup d’entre eux d’utiliser leurs ressources pour acheter sur le marché (intérieur ou étranger) des services (dont ceux relatifs à la protection contre les risques économiques) qu’ils achetaient jusque-là indirectement au gouvernement avec leurs impôts élevés » conclut-il.
Néanmoins, l’auteur anticipe qu’un tel système, conçu pour satisfaire en priorité les intérêts des classes dominantes et moyennes - et dont l’avènement dépendra de leur adhésion et/ou de leur consentement à celui-ci -, produirait une difficulté de gestion politique et sociale des classes subalternes et de la pauvreté dans les sociétés. « Il faut reconnaître que certains citoyens seront trop pauvres ou trop handicapés pour pouvoir acheter ces services avec leurs seuls moyens » concède-t-il. Et d’ajouter : « Ils devront être fournis gratuitement par l’Etat ».
Les principes d’un nouveau « modèle social » néolibéral se révèlent. Il s’agit, en premier lieu, de remplacer l’universalité dans les services publics et l’allocation des prestations sociales par l’équité [8]. « Dans le nouveau monde, le gouvernement devra fournir aux vrais « pauvres méritants » (ceux qui sont objectivement incapables de travailler) les moyens financiers leur permettant d’acheter sur le marché les services de base essentiels qu’ils obtenaient jusque là gratuitement de l’Etat » affirme l’auteur. « La mise en place d’un système de contrôles administratifs (confirmant le statut de « pauvre méritant ») pourrait aider à atteindre cet objectif. Ainsi, le rôle de l’Etat se transformera. De fournisseur de services universels onéreux, disponibles pour chaque citoyen, riche ou pauvre, l’Etat deviendra fournisseur de services ciblés et peut être tuteur financier des plus pauvres ».
Dans cette conception, la promotion de l’équité se fonde sur un soutien au développement de formes privées et communautaires de solidarité sociale. Ainsi, les Eglises, les associations, les ONG, les communautés de citoyens librement organisées doivent en devenir les principaux acteurs. Par ailleurs, ce modèle communautaire privé doit être incité à produire du « bien commun » pour les membres de tel ou tel groupe. Et l’ancien administrateur du FMI de s’enthousiasmer à l’idée qu’aux Etats-Unis, « près de 20 % de la population (environ 60 millions de personnes) développe une vie sociale dans des communautés privées organisées (associations de propriétaires, coopératives, zones résidentielles privées, etc.). Elles produisent, pour leurs membres, divers « biens publics » (sécurité, piscines, système de collecte des déchets, éclairage public, plusieurs services de partage, etc.). Pour eux, il s’agit bien effectivement de « biens publics » qu’ils consomment gratuitement, mais ces derniers sont financés collectivement et de manière privée. Il n’y a aucun argent public utilisé pour ces « biens publics » ».
Peu à peu, tout un nouveau modèle de société prend forme. Tout en étant l’agent de la transformation économique et sociale progressive des sociétés nationales vers des sociétés du revenu, l’Etat devrait agir dans le même temps pour sécuriser et fluidifier les flux entre les marchés intérieurs, les marchés internationaux et le système financier international. La consolidation de tous ces acteurs dépendrait, elle, de deux facteurs.
En premier lieu, d’une dynamique d’accumulation nouvelle fondée sur l’extension des domaines de la vie sociale (santé, éducation, risques sociaux, etc.) pris en charge par les marchés et leurs opérateurs.
En second lieu, de la stimulation, par les Etats, de transactions perpétuelles entre des opérateurs internationalisés (banques, assurances, fonds de pension, fonds souverains, multinationales, etc.) et des masses de population organisées autour de la gestion individualisée de leurs revenus disponibles.
Dans ce schéma, l’Etat représenterait une sorte de cordon organique, tout à la fois opérateur du lien entreles populations et les marchés internationaux et ligne de postes de surveillance du bon fonctionnement général du système.
Pour ce faire, l’Etat devrait accroître ses compétences dans la gestion préventive de la sécurité des marchés. « Ceci devrait constituer un principe fondamental guidant le rôle de l’Etat dans l’économie » affirme Vito Tanzi. « Le retrait de l’Etat dans sa fonction d’acteur économique doit s’accompagner d’un renforcement de sa responsabilité pour permettre aux marchés de mieux fonctionner avec plus de transparence » ajoute-t-il.
Il s’agirait ici d’accroître la capacité normative – et si nécessaire coercitive – de l’Etat : lutte contre les monopoles, contrôle de la taille des établissements financiers et bancaires, production de nouvelles normes et d’exigences relatives aux informations concernant les acteurs économiques et les opérateurs financiers [9], délivrance d’autorisations aux opérateurs sur un marché et possibilité de retrait des licences en cas de non respect des règlementations, harmonisation de ces dernières, « établissement d’un cadre politique et juridique définissant une économie de marché et indiquant les défaillances du marché qui devraient être corrigées », renforcement du recours aux garanties d’Etats pour encourager les entreprises à investir, etc.
Parallèlement, il conviendrait que les Etats gèrent les « externalités négatives » du système internationalisé. L’auteur en dresse la liste : drogues, criminalité, conflits, terrorisme, immigration, changement climatique, pollutions, catastrophes naturelles, etc. Et de préciser : « Jusqu’à maintenant, le débat sur le rôle économique de l’Etat était resté posé pays par pays. (…). L’hypothèse implicite consistait à envisager ce rôle dans le cadre confiné de ses frontières (…). [Désormais des] débordements[dans ses actions] se multiplient du fait des activités financières inter-pays des secteurs financiers de chaque Etat. Les gouvernements nationaux connaissent un développement de leurs actions qui va au-delà des limites imposées par leurs propres territoires. Cette composante globale [de la vie de chaque Etat] est progressivement devenue plus importante. (…). D’une certaine manière, les pays sont devenus spatialement plus petits, mais les externalités inter-pays et la connectivité entre tous sont devenues plus grandes ».
Les défis globaux se sont développés parallèlement à l’accroissement des nouvelles interdépendances économiques et financières interétatiques. De ce fait, le besoin d’une politique de stabilisation globale basée sur une coordination et une coopération accrues entre Etats grandit. Pour l’auteur, ces derniers doivent désormais s’engager dans l’approfondissement des missions affectées – et des moyens octroyés – aux rencontres internationales thématiques des chefs d’Etat et de gouvernement (G8, G20, Nations unies, OCDE, etc.). Seule la politique de redistribution des revenus (fonction des équilibres internes atteints par les politiques de baisse de la dépense publique et des impôts) devrait rester du seul ressort national.
Il s’agirait d’assumer collectivement un « rôle global ». Et face aux externalités négatives du système – dont le maintien dans la pauvreté de certains pays et le développement des inégalités d’accès aux richesses et aux ressources pour tous – « certaines réponses nécessiteront [même] des dépenses [nouvelles] qui pourront transiter au travers d’organisations internationales ou être allouées directement et globalement par des gouvernements à des pays plus pauvres. D’autres réponses interviendront à travers la mise en place d’accord internationaux qui pourront – ou pas – être accompagnés de régulations spécifiques. » (…). [Dans certains domaines, il faudra des nouvelles formes de taxation]. Par exemple, des taxes environnementales et, peut être, d’autres sur les activités des marchés financiers afin que le fardeau de l’impôt soit en ligne avec les autres secteurs économiques » admet l’auteur. « En effet, les controverses au sujet de dirigeants de fonds de pension ou d’autres milliardaires qui s’enrichissent sur les marchés financiers et qui paient, dans le même temps, beaucoup moins d’impôts sur leurs revenus que les taxis qui les conduisent en ville, ne font pas une bonne publicité pour l’économie de marché ou pour les gouvernements qui ont laissé ces inégalités se développer » concède-t-il.
Ainsi, avec cet ouvrage, Vito Tanzi nous enseigne une nouvelle fois que lorsque ses intérêts fondamentaux sont menacés par la crise de son propre système ou le rejet d’une part croissante de la population, la bourgeoisie est capable de penser le mouvement – dans le but d’optimiser le système – et même d’accepter des changements dans les rapports sociaux (par des réformes) si elles ne remettent pas en cause le cadre fondamental. C’est bel et bien dans cette perspective qu’il élabore sa réflexion sur l’Etat au 21e siècle. Celui-ci doit, in fine, constituer l’instrument permettant de réaliser trois objectifs stratégiques à court et moyen termes : remobiliser les responsables du système face à la crise de ce dernier, rationaliser la situation générale, optimiser le système pour pérenniser sa reconduction et celui de son ordre international.
Indépendamment des objections fondamentales que l’on pourrait opposer aux conceptions de Vito Tanzi, force est de constater que la question de l’Etat se situe au cœur de la remobilisation idéologique, politique et économique des forces dominantes.
En est-il de même pour ceux qui affirment vouloir briser la domination de la finance et sortir du capitalisme, particulièrement au sein des mouvements sociaux internationaux et d’une partie significative des forces de la gauche politique ?
Des pistes de réflexion existent déjà au travers des débats relatifs à la démondialisation [10], mais elles nécessitent encore des approfondissements et des développements (notamment s’agissant de la définition d’un modèle de production et de consommation alternatif), ainsi qu’une articulation à la question du contrôle des moyens de production par les travailleurs [11].
Ces questions doivent être approfondies pour que les acteurs politiques, sociaux et intellectuels de la transformation puissent bâtir un projet politique susceptible de solidariser des forces sociales capables de se mobiliser contre l’idéal oligarchique et le capitalisme financier.
CET ARTICLE A ETE PUBLIE DANS LA DERNIÈRE LIVRAISON DE LA REVUE CONTRETEMPS (NUMERO 18, 3ÈME TRIMESTRE- JUILLET 2013).
31 août 2013
- Christophe Ventura, Mémoire des luttes
https://www.alainet.org/en/node/79195
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