Chronique de morts annoncés
06/12/2002
- Opinión
Il y a près de deux heures, comme prévu, ont eu lieu des tirs de
"francs-tireurs" non identifiés contre des opposants qui accompagnent
les militaires insurgés de la Plaza Francia, au coeur du quartier
huppé d'Altamira, á Caracas. On compterait deux morts et six blessés.
En plein prime time, au moment ou Carlos Ortega réclamait en direct
et sur toutes les chaînes de télévision l'intervention au Vénézuéla
de l'Organisation des Etats Américains ces images ont surgi sous le
titre "Massacre á Altamira". L'ensemble des médias transmet en direct
et en chaîne cet événement, accusant Hugo Chavez d'assassin.
L'opposition ayant échoué á réunir une base sociale pour sa "grève
générale" il ne lui restait plus qu'á fomenter la violence pour
pouvoir accuser Chavez de répression. Déja en avril 2002, les
victimes de francs-tireurs, attribuées aussitôt á Chavez par la
Maison Blanche, avaient servi de prétexte à un coup d'Etat. Cette
fois, incapables d'obtenir l'appui de l'armée, les mêmes secteurs
cherchent á reunir les conditions d'une intervention internationale,
le but étant le même : chasser du pouvoir un président
démocratiquement élu, mais qui gêne les intérêts actuels de
l'administration Bush.
Le pétrole (mis á part l'évolution politique récente de l'Amérique
Latine) est un mobile majeur de cette longue lutte, médiatique,
politique et économique contre l'administration Chavez, qui a été le
signe avant-coureur de l'émergence en Amérique Latine d'une nouvelle
vague progressiste, incarnée récemment par l'élection de Lula au
Brésil et de Gutierrez en Equateur.
Qu'elle ait été manipulée directement ou indirectement par les
agences de presse dominantes, la matrice journalistique mondiale
depuis un mois était l'image d'un pays "ingouvernable, coupé en deux,
et d'un Chavez autoritaire, répressif". Depuis plusieurs semaines la
rumeur courait de l'irrespect par le Venezuela de ses obligations
petrolières, ce qui relève directement des intérêts nationaux des
Etats-Unis, L'éditorial du Washington Post du vendredi 29 novembre
était édifiant á cet égard, pressant le gouvernement Bush
d'intervenir "avant qu'il ne soit pas trop tard". Rumeur devenue
réalité depuis deux jours avec le refus d'un capitaine de cargo,
malgré l'opposition de l'ensemble de son équipage de rejoindre le
port. Aux yeux du monde entier, le gouvernement du Vénézuéla semble
donc perdre le contrôle de la situation. Les morts de ce soir ne font
que renforcer ce sentiment.
Nous l'avions indiqué il y a deux jours dans la lettre que vous avez
reçu en même temps que le sénateur belge Jean Cornil ou le maire
français Georges Sarre : l'opposition ne cherchait plus qu'une chose,
créer ce ou ces morts pour passer á l'étape suivante. Un scénario
qu'avait déjá pu analyser, photos á l'appui, Maurice Lemoine, envoyé
du Monde Diplomatique, présent á Caracas en avril 2002 au moment du
coup d'Etat. Un coup d'Etat médiatique déjá passé dans les annales,
mais dont on sait peu qu'il a continué de plus belle, en toute
impunité. Ce soir nous en voyons une nouvelle preuve : les chaînes ne
cessent d'amplifier politiquement cet attentat, comme si l'auteur ne
pouvait être que le président Chavez. Evidemment le gouvernement
Chavez, qui vient de condamner le plus énergiquement ce crime, est le
dernier acteur politique á avoir intérêt á ce que se produise ces
faits qui renforcent la possibilté d'une intervention ou d'une
reprise en main autoritaire du pays. Depuis plusieurs mois l'image
dominante du "gouvernement autoritaire prêt á tout pour garder le
pouvoir" qui s'était installée insidieusement dans l'opinion
mondiale, risqe de favoriser la version qui impute ces morts au
gouvernement et ouvrir la voie á l'acceptation par l'opinion
internationale d'une intervention au Vénézuéla.
Qu'importe l'échec de la grève générale lancée depuis cinq jours,
qu'importe l'appui resté majoritaire de la population á ce processus
de changement, la situation du Vénézuéla démontre qu'une minorité
associée au monopole des images, - et sûre de l'appui des puissants
de ce monde -, peut freiner toute volonté de transformation sociale.
Aujourd'hui l'essentiel n'est pas de se définir "pour ou contre
Chavez" mais de défendre au Venezuela comme ailleurs la démocratie
c`est a dire le droit d`un peuple a prendre en main son destin et de
construire le modèle de développement de son choix, éventuellement en
dehors du néoliberalisme dominant.
* Thierry Deronne, Maximilien Arvelaiz, Paul-Emile Dupret
(Caracas, le 6 décembre 2002, 21 h.35, heure locale )
https://www.alainet.org/es/node/106698
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