Ils exigent plus de souplesse sur les brevets et droits d'auteur pour favoriser leur essor
Propriété intellectuelle: les pays du Sud se rebellent
19/09/2004
- Opinión
Ce qui est bon pour Hollywood et l'industrie pharmaceutique
américaine n'est pas bon pour toute la planète. C'est au nom de
ce principe qu'un groupe de pays en développement, Brésil et
Argentine en tête, vient d'ouvrir un nouveau front dans les
négociations internationales en demandant une réforme des
politiques dans le domaine de la propriété intellectuelle.
Objectif : alléger les contraintes qui pèsent sur les pays du
Sud en matière de brevets ou de droits d'auteur afin de leur
permettre de copier certaines technologies du Nord et d'accéder
plus facilement à l'information. La proposition sera discutée à
partir du 27 septembre lors de l'assemblée générale de
l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi),
agence spécialisée des Nations unies (lire ci-contre). «Le rôle
de l'Ompi ne doit pas être limité à la promotion de la propriété
intellectuelle. L'organisation doit inscrire le développement
dans ses missions», a déclaré mardi dernier Marta Gabrieloni, de
la mission permanente de l'Argentine auprès de l'ONU, lors d'un
colloque sur l'Ompi organisé à Genève par la fédération
d'associations de consommateurs Transatlantic Consumer Dialogue.
«Sujet chaud». En ligne de mire, les pressions des pays du Nord
pour aligner via des traités, le régime des brevets ou des
droits d'auteur des pays du Sud sur celui en vigueur chez eux.
«Les Etats-Unis voient l'OMPI comme un outil de politique
commerciale: ils s'en servent pour promouvoir leurs industries
les plus compétitives», souligne le Kényan Sisule Musungu,
consultant de l'ONG South Centre. Autrement dit : c'est pour
ouvrir de nouveaux marchés à leurs industries culturelles qu'ils
poussent pour un haut niveau de protection du copyright, tout
comme la promotion des brevets vise à assurer des débouchés aux
firmes les plus en pointe dans le domaine technologique.
«C'est un sujet chaud qui a vraiment démarré avec le débat sur
l'accès aux médicaments», poursuit Sisule Musungu. En novembre
2001, à Doha, les pays développés ont dû concéder aux pays du
Sud le droit de copier des médicaments encore sous brevets en
cas d'urgence sanitaire. La proposition du Brésil et de
l'Argentine vise à étendre ce principe. «Un niveau trop élevé de
protection peut empêcher les pays sous-développés de se procurer
des médicaments à bas prix, mais limite aussi la création
d'industries locales», explique le Malais Martin Khor, de l'ONG
Third World Network. Même critique lorsque le droit d'auteur
empêche la copie à bas prix de livres scolaires ou
scientifiques. «Le livre l'Avantage concurrentiel des nations de
Michael Porter est vendu 45 dollars en Thaïlande et 40 dollars
aux Etats-Unis, ironise le Malais Sothi Rachagan, de
l'association Consumers International. Rapporté aux niveaux de
vie, c'est comme si ce livre était vendu 300 dollars aux Etats-
Unis : si c'était le cas, cela fait bien longtemps que les
Américains auraient modifié leur législation.»
Les promoteurs d'une réforme de l'OMPI soulignent l'hypocrisie
des pays aujourd'hui développés, dont bon nombre ont fait preuve
de souplesse en matière de propriété intellectuelle lorsque cela
servait leurs propres objectifs de développement. C'est le cas
des Etats-Unis, qui ont refusé d'accorder un copyright aux
livres étrangers jusqu'en 1891 : les oeuvres britanniques,
majoritaires à l'époque, pouvaient être copiées sans entrave,
procurant des revenus faciles aux éditeurs américains. De même,
la Corée du Sud et Taiwan ont refusé d'accepter la plupart des
brevets étrangers pendant leur décollage économique, dans les
années 60 à 80, afin de soutenir une industrie locale fondée sur
l'imitation.
«Première étape». «Pas mal de pays en développement feraient
mieux de consacrer plus d'argent à l'éducation et moins à
l'armement avant de vouloir copier», estime un représentant du
gouvernement américain. Même agacement pour Rogier Wezenbeek, de
la Commission européenne, qui assure que «les traités
contiennent assez de flexibilités pour les pays qui en ont
besoin». La mise en débat du sujet n'est qu'une «première
étape», relativise Martin Khor. Un large consensus sera
nécessaire pour modifier le mandat de l'OMPI, ce qui, selon un
cadre de l'organisation, «pourrait prendre des années».
* Florent Latrive. Genève envoyé spécial
lundi 20 septembre 2004 (Liberation - 06:00)
http://www.cptech.org/ip/wipo/latrive09202004.html
https://www.alainet.org/es/node/110610
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