Venezuela : les multinationales ouvrent la voie à la culture des transgéniques
15/12/2004
- Opinión
Etat de Portuguesa, Venezuela. Désinformation, manque de
surveillance et bonne propagande, tels sont les éléments qui
ont favorisé les multinationales productrices de semences
génétiquement modifiées pour préparer le terrain de la
production de transgéniques au Venezuela. Les producteurs
assurent que des expériences avec du maïs transgénique ont
déjà eu lieu. La campagne vénézuélienne est toujours menacée
par les intérêts des industries productrices de semences
génétiquement modifiées.
En avril de cette année, alerté par un dirigeant brésilien du
mouvement Vía Campesina sur les projets de la multinationale
Monsanto de cultiver du soja transgénique dans le pays, le
président de la République, Hugo Chávez, a interdit
l’utilisation de transgéniques dans la production agricole. La
déclaration du président a été applaudie par les mouvements
sociaux et paysans de tout le continent qui luttent contre la
domination des multinationales dans l’agriculture. [1]
Cependant, en dehors du discours du président, rien n’a été
fait. Aucune loi ni aucun décret n’a été étudié afin
d’interdire ou de réglementer l’utilisation des transgéniques
dans le pays. Comme cela s’est passé au Brésil sous le
gouvernement de Cardoso. Quand la plantation illégale dans les
champs de l’état du Río Grande do Sul a commencé, le ministère
de l’agriculture et des terres (MAT) n’a pas surveillé la
production ni l’entrée de semences en provenance des Etats-
Unis et d’Argentine (respectivement les premier et deuxième
producteurs mondiaux de transgéniques).
Le président de l’Institut national d’investigation agricole
(INIA), Prudencio Chacón, affirme que 70% des semences
vénézuéliennes sont importées et admet qu’il n’existe pas de
contrôle douanier pour l’entrée des semences. « Il est
probable que, comme dans d’autres pays, les semences entrent
en contrebande, mais nous n’avons aucun contrôle » dit-il.
Le manque d’équipements capables de détecter les transgéniques
est un des facteurs qui empêchent cette surveillance. « Nous
n’avons pas d’équipement. Pour avoir des preuves, nous
devrions engager une entreprise privée et cela revient très
cher », affirme Jesús Ramos Oropeza, directeur général du
Bureau national de la biodiversité biologique du ministère de
l’environnement.
Oropeza, qui fait partie de la commission qui discute du
projet de loi sur les biotechnologies, dit que des débats ont
lieu afin d’évaluer les conséquences des organismes
génétiquement modifiés (OGMs) sur l’agriculture avant qu’un
cadre légal soit décidé. Pendant que l’on attend l’élaboration
d’une loi, l’Etat se base sur le principe de précaution prévu
dans le protocole de Carthagène dont le Venezuela est
signataire. « Nous ne savons pas encore si cela est bon ou
mauvais. Ce qui est sûr, c’est que les transgéniques vont à
l’encontre de la logique du gouvernement parce qu’ils génèrent
une dépendance » assure-t-il.
Pendant que le cadre légal est débattu, les multinationales
Cargill, Monsanto et Pioneer -trois des cinq entreprises qui
contrôlent le marché mondial de semences- et qui contrôlent le
marché vénézuélien de la vente de semences hybrides (stériles),
sont toujours plus présentes dans le pays. La Dekalb, une des
représentantes de Monsanto, sponsorise l’équipe junior de
base-ball : les « Criollitos ». En Argentine, la Deklab
produit du maïs transgénique.
En accord avec le président de l’Association des producteurs
ruraux de Portuguesa (Asoportuguesa), les multinationales
cultivent déjà des semences génétiquement modifiées. « Les
transgéniques existent déjà, ils sont expérimentés dans une
grande discrétion » affirme Juan Palacios. « Tant les
vendeurs que les agriculteurs disent que Monsanto expérimente
déjà du maïs transgénique » répète l’agronome de l’association,
Orlando Villegas.
Les représentants du gouvernement comme les producteurs
n’écartent pas la possibilité qu’il existe des plantations
illégales dans le pays. « La seule garantie que nous ayons que
les semences ne soient pas transgéniques est la parole de
l’entreprise. Certifier les semences rend l’importation encore
plus coûteuse » déclare Jorge Alvarado, dirigeant général de
Fedeagro.
Selon la loi sur les semences, toutes les demandes
d’expérimentation avec des transgéniques doivent être déposées
au ministère de l’environnement (MMA, sigles en espagnol) qui
doit certifier l’innocuité biologique de l’expérimentation. Le
représentant du MMA, Jesús Ramos Oropeza, assure qu’aucune
demande pour la réalisation d’expériences n’a été déposée au
ministère. « Personne n’a demandé d’autorisation, mais comme
nous n’avons pas de système de surveillance, personne ne peut
affirmer qu’il n’en existe pas » dit-il.
Lors de la réalisation de ce reportage, nous avons tenté de
consulter Monsanto pour que l’entreprise commente ces
affirmations mais nous avons été informés par son porte-parole
que Monsanto n’était pas présente dans le pays.
Ceci n’est pas la première dénonciation de soupçons
surl’existence de cultures illégales de transgéniques dans le
pays. Des enquêteurs de la Red de Acción y Alternativas al Uso
de Agrotóxicos en Venezuela (Rapalve) soupçonnent que le
« Projet Coton », créé récemment par le ministère de
l’agriculture et des terres, suppose l’utilisation de semences
transgéniques de Monsanto, qui aurait donc déjà commencé des
expérimentations dans les campagnes du pays.
Une campagne dans les campagnes
La stratégie utilisée dans des pays comme l’Argentine, le
Brésil et la Colombie pour convaincre les agriculteurs
d’adopter des transgéniques a aussi été un succès au Venezuela.
Dans l’état de Portuguesa, un des plus grands producteurs de
maïs du pays (base du régime alimentaire de la population) et
une grande partie des producteurs sont convaincus des supposés
bienfaits des organismes génétiquement modifiés (OGM). « Nous
sommes biologistes, mais l’information que nous avons en
provenance d’autres pays, c’est que nous pouvons baisser les
coûts de production. Nous sommes prêts à essayer » affirme
Juan Palacios. Le président de Asoportuguesa, qui dit suivre
de près les discussions sur les transgéniques dans le pays,
appuie la libération de la culture de semences génétiquement
modifiées. « Les entreprises étrangères disposent d’une
technologie plus avancée et dominent la production mondiale de
maïs. Nous ne pouvons pas arrêter cette technologie »
soutient-il.
Pour le gérant général de la Confédération nationale des
associations de producteurs agricoles (Fedeagro), un autre
facteur en faveur de cette culture serait la réduction des
coûts de production. « Nous sommes pour parce que
l’environnement est fort dégradé par l’usage des agro-toxiques.
Avec les transgéniques nous pourrions réduire l’usage
d’herbicides et augmenter la production » affirme Alvarado.
Au contraire de ce qu’affirment les producteurs vénézuéliens,
l’histoire de l’Argentine voisine qui a servi de laboratoire
aux OGM en Amérique latine, révèle que la productivité et
l’économie ne font pas partie de l’équation de la culture des
transgéniques. La capacité de production du pays se réduit à
chaque nouvelle récolte.
C’est la même chose en ce qui concerne l’usage des herbicides
puisque l’on doit maintenant en utiliser de plus grandes
quantités qu’au début dans le cas du soja et du maïs
transgéniques. Ces deux facteurs ont entraîné plus de frais et
une plus grande pollution des eaux (des nappes phréatiques) et
des sols, qui perdent en fertilité.
Les spécialistes comparent le gliphosate, base de l’herbicide
utilisé dans la culture des transgéniques, au célèbre agent
orange, puissant herbicide utilisé par les Etats-unis pendant
la guerre du Vietnam et responsable de la mort de milliers de
personnes et de malformations physiques. En Colombie, la
version de l’agent orange commercialisée par Monsanto est le
Roundup Ultra, utilisé pour les fumigations des plantations de
coca et par lesquelles des milliers de paysans sont contaminés.
Contradiction
En dépit du fait que le gouvernement de Chávez défend une
position claire contre le monopole des multinationales dans
différents secteurs de l’économie, et particulièrement en ce
qui concerne l’alimentation, les actions menées par le
ministère de l’agriculture vont à contre courant de la logique
de la Révolution bolivarienne. En accord avec Asoportuguesa,
98% des semences de maïs importées dans le pays sont hybrides
et 70 % de celles-ci proviennent d’entreprises étrangères. Ce
qui signifie que la majorité des producteurs ont déjà accès
aux semences contrôlées par les multinationales.
C’est une des raisons qui pourrait pousser Orlando Nardini,
producteur, à cultiver des transgéniques. Nardini raconte
qu’il a été convaincu des avantages des transgéniques quand il
s’est rendu au Brésil pour acheter du matériel agricole. « Il
m’ont emmené voir une hacienda à No Me Toque (état du Río
Grande do Sul) de Monsanto et cela m’a plu ».
Ce qu’ils n’ont pas raconté à Nardini c’est que, en plus de
devoir acheter les semences, les agriculteurs doivent aussi
payer des droits pour l’utilisation de la technologie
développée par la multinationale comme cela est arrivé aux
producteurs brésiliens qui avaient planté illégalement du soja
transgénique dans le Río Grande do Sul. Monsanto, qui a obtenu
le brevet mondial de soja transgénique à l’Organisation
mondiale du commerce (OMC), fera payer aux agriculteurs
brésiliens près de 0,40 dollars US par sac.
Le président de l’INIA, Prudencio Chacón, qui considère que
l’aspect économique est un des plus préoccupants dans
l’adoption des transgéniques, admet les erreurs du
gouvernement sur ces aspects et considère qu’il n’est pas
possible d’exiger des agriculteurs qu’ils produisent des
variétés de semences si l’état ne leur offre pas
d’alternatives. « Nous ne pourrons pas nous battre avec les
multinationales si nous ne garantissons pas l’accès des
producteurs aux semences » affirme-t-il.
Souveraineté alimentaire et agro-business
Le contrôle des multinationales sur la production de semences
dans le monde va de pair avec le modèle agro-industriel de
production. Les entreprises productrices de semences ne sont
pas intéressées par la culture sur de petites parcelles. Il
faut une grande production mécanisée pour que la production
soit rentable pour les industries qui font des bénéfices sur
les ventes liées aux semences et aux herbicides.
Ce modèle défendu par l’agro-industrie des transgéniques comme
une des alternatives pour en finir avec la faim dans le monde
a été responsable de l’expulsion de milliers d’agriculteurs
qui se voient obliger de quitter les campagnes que ce soit par
l’émergence d’un conflit pour la possession de la terre (à
cause de l’expansion violente des grandes propriétés fortement
mécanisées) ou par manque de conditions de production. En
Argentine, on estime qu’au moins 300.000 petits producteurs
ont été expulsés de leurs terres et font partie aujourd’hui
des poches de misère que l’on trouve dans tout le pays.
La menace sur la biodiversité est une autre conséquence de
l’adoption de semences génétiquement modifiées. La production
de maïs transgénique dans les campagnes mexicaines a eu pour
conséquence l’élimination de pratiquement la totalité des
semences créoles, originaires du pays. Le risque de
contamination avec le maïs est assez élevé parce qu’il s’agit
d’une semence 100 % pollinisable : le pollen est transporté
par le vent sur de longues distances, provoquant la
contamination des cultures conventionnelles.
« La réduction de la diversité génétique signifie une
limitation des possibilités d’un régime alimentaire riche et
varié. Cela menace la production alimentaire, l’augmentation
des revenus, la capacité à surmonter les obstacles
environnementaux et l’organisation des écosystèmes » affime
l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et
l’alimentation (FAO) dans son dernier rapport sur la sécurité
alimentaire.
Au Venezuela, même si le président Chávez défend la conquête
de la souveraineté alimentaire et le développement de la
petite agriculture, dans la pratique les choses sont
différentes. Le directeur général du Bureau national de la
diversité biologique du ministère de l’environnement, Jesús
Ramos Oropeza, affirme que le peu de pratique d’un modèle
agricole durable a contribué à la réduction de la biodiversité
dans le pays. « Même sans avoir utiliser les transgéniques,
nous avons réduit la diversité des semences à cause de
pratiques agricoles productivistes » dit-il.
En attendant, le ministère de l’agriculture et des terres (MAT)
nous a montré qu’il prétendait changer la logique de
production. Alors que l’on attend la récupération de 8.646.217
hectares de terre, propriété de l’état, pour la réforme
agraire et le développement de coopératives agricoles, le
modèle « productiviste » est celui qui tend à être adopté.
Pour Franco Manrique, du Comité des terres urbaines et de la
coordination Rapalve, le « plan de culture » annoncé par le
MAT continue à privilégier les grands producteurs.
Selon l’Institut national d’investigation agricole (INIA), le
projet de création d’un programme national de production de
semences devrait réduire de 25 % les importations. Ce qui
signifie qu’une grande part des variétés utilisées pour le
programme agricole vénézuélien ne seront pas produites dans le
pays.
« Il y a une série de contradictions dans ce processus. La
solution consiste à produire nos propres semences et à
développer l’agriculture en faveur des petits producteurs afin
de pouvoir garantir notre souveraineté alimentaire » affirme
Manrique, qui a reproduit des semences de légumes dans de
petites coopératives dans l’ouest du pays à partir de
techniques apprises des paysans du Mouvement des travailleurs
ruraux sans terre (MST) brésilien. « Je crois que nous
pourrons aussi faire la révolution dans l’agriculture »
affirme-t-il.
NOTES:
[1] Voir à ce sujet : Jason Tockman, Le Venezuela interdit les
semences transgéniques, RISAL / Venezuelanlysis.com, avril
2004. (ndlr)
Traduction : Anne Vereecken, pour RISAL
(http://risal.collectifs.net).
https://www.alainet.org/es/node/111138
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