Brésil, après 4 ans de gouvernement du PT
La principale caractéristique du gouvernement de Lula, c’est l’ambiguïté
26/09/2006
- Opinión
Entretien avec un dirigeant du Mouvement des paysans sans terre
Malgré son jeune âge (26 ans), João Paulo Rodriguez a déjà trouvé sa place au sein de la direction nationale du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST), où il assume la charge de coordinateur de la jeunesse. « Je suis au MST depuis mon enfance, comme fils d’un site occupé », souligne-t-il avec orgueil au début de l’entretien. Le thème central concerne le rapport entre Lula et les mouvements sociaux, quatre ans après l’accession du Parti des travailleurs (PT) au gouvernement. Les changements structurels se font attendre et la réforme agraire est une question en suspens, souligne Rodriguez. Il reconnaît pourtant l’attitude positive du gouvernement de ne pas criminaliser les mouvements sociaux, ce qui créée un climat favorable.
Q. : Comment le MST évalue-t-il les 4 ans du gouvernement de Lula ?
João Paulo Rodrigues (JPR) : La réforme agraire n’avance pas suffisamment dans le démantèlement de la grande propriété. Les sites occupés reconnus durant cette période n’ont pas touché les latifundia. La majeure partie de ces sites ont été installés sur d’anciens projets ou dans la région de l’Amazonie. Le plan national de la réforme agraire n’atteindra pas les objectifs fixés. Non seulement en ce qui concerne le chiffre de 400.000 familles bénéficiaires, mais aussi en matière de productivité. Le gouvernement a priorisé le modèle agro-exportateur basé sur la mono-culture des latifundia, pour exporter le soja, le coton et l’eucalyptus. D’autre part, il a augmenté de manière significative les crédits pour la petite production. On a également amélioré la situation des familles bénéficiaires en leur garantissant la consommation des produits de base. Les rapports entre le gouvernement et les mouvements sociaux se sont améliorés avec Lula. Et la lutte pour la réforme agraire ne fut pas criminalisée comme lors de la présidence de Fernando Henrique Cardoso (1).
« Des politiques sociales importantes, mais insuffisantes »
Q. : La politique sociale a-t-elle connu des avancées significatives ?
JPR : La politique sociale impulsée par Lula, comme le programme « Bourse de famille » ou celui des bourses pour faciliter l’accès des étudiants peu fortunés aux universités, est importante pour répondre aux besoins de la population la plus pauvre. Mais elle ne suffit pas à en finir les profondes inégalités que connaît notre pays. Nous avons besoin de changements structurelles dans l’économie et dans la politique pour permettre de meilleurs investissements dans l’éducation, le logement, l’assistance sociale et la réforme agraire. Pour cela, il serait important de baisser les taux d’intérêts (2), afin de permettre un changement de politique économique, qui permettrait de développer le pays.
Q : Pourriez-vous préciser votre analyse sur la gestion économique actuelle ?
JPR : Le modèle néo-libéral empêche la croissance de notre économie et un véritable développement national. La politique actuelle ne bénéficie qu’au système financier, aux banques et aux entreprises transnationales, qui profitent de nos ressources naturelles et d’une main d’œuvre bon marché pour faire de juteux bénéfices avec les exportations. Dans le cadre de ce modèle, il est pratiquement impossible d’investir dans les secteurs mentionnés auparavant. Il serait important d’appliquer un plan économique donnant la priorité aux intérêts nationaux et aux besoins de la population. Nous avons besoin d’un projet de développement national, dont les axes soient une croissance durable du pays, le développement local et la lutte contre les inégalités sociales. Je voudrais insister sur le fait que pour dynamiser l’économie il faudrait réduire les taux d’intérêts, effectuer un audit de la dette extérieure et intérieure – en renégociant cette dernière -, élever le salaire minimum et appuyer la petite production agricole.
Un bilan mitigé
Q. : Par rapport à vos attentes initiales, quel sentiment prévaut au sein du MST sur la gestion gouvernementale de Lula ?
JPR : Il existe une dette par rapport aux attentes historiques de la gauche partidaire et sociale. D’autre part, il s’agit d’un pas en avant, par comparaison avec les gouvernements antérieurs. La base du MST a compris que, pour faire avancer le pays, il est nécessaire qu’existe un grand mouvement de toute la société autour d’un projet de développement et de changements structurels afin que le peuple obtienne de meilleures conditions de vie. La caractéristique principale du gouvernement de Lula, c’est l’ambiguïté…
Q. : Quel est l’état actuel du mouvement populaire ?
JPR : Dans la décennie des années 1980, nous avons connu une période d’ascension des mouvements de masse, qui a réussi à imposer la démocratie et proposé des changements fondamentaux de la société brésilienne. Depuis 1989, le mouvement social brésilien a connu un reflux. Dans les années 1990, ce reflux a impliqué une perte de force des mouvements sociaux, notamment les syndicats. Pendant ce temps, le MST a grandi et remporté des succès. Aujourd’hui, nous comptons avec 350.000 familles installées sur des terres et de nombreuses expériences positives en matière de production, de culture et d’éducation. L’espoir de pouvoir faire avancer la réforme agraire avec Lula a poussé des milliers de familles à créer des campements. Actuellement, ces campements regroupent environ 150.000 familles. Néanmoins, une commission parlementaire qui étudie la problématique de la terre a approuvé un rapport, selon lequel l’occupation de terres est un acte terroriste. Les ennemis de la réforme agraire et des organisations des pauvres à la campagne n’ont pas arrêté leur offensive.
Q. : Question importante : les 4 ans du gouvernement de Lula ont-ils renforcé ou démobilisé le mouvement social organisé ?
JPR : Lula a gagné les élections dans un contexte où le mouvement social refluait et il n’avait pas d’intérêt à susciter la mobilisation populaire. Dans ses discours, Lula défend la thèse selon laquelle les changements surviendront même sans participation politique du peuple. Il est évident que cette position n’aide pas à l’organisation des secteurs populaires. On doit reconnaître, néanmoins, que le gouvernement ne criminalise pas les mouvements sociaux, ce qui ouvre un espace aux manifestations populaires.
Q. : Du point de vue du MST, la présence du PT au gouvernement continue-t-elle d’être une alternative pour la stratégie de transformation au Brésil ?
JPR : Cette transformation ne sera pas l’œuvre d’un parti ou d’un groupe politique, elle surgira de la mobilisation populaire autour d’un projet de développement national, avec une vision sociale claire.
Q. : Quelle est l’attitude du MST par rapport aux élections ?
JPR : La période électorale est historiquement le moment principal de participation politique de la population. Nous voulons en profiter pour présenter à l’ensemble de la société des questions de fond structurelles qui ne font pas partie du débat électoral. Comme organisation, le MST ne s’engage pas dans le processus électoral. Les personnes liées au MST pourront appuyer, mais uniquement de manière individuelle, l’un/e ou l’autre candidat/e (3). Le MST ne se prononce pas en faveur d’un/e candidat/e déterminé/e.
1) Ancien militant de la gauche brésilienne, depuis lors très « recentré », auteur d’ouvrages de référence dans les années 1960 sur la « théorie de la dépendance » (des pays du Sud par rapport à ceux du Nord), Cardoso a mené une politique économique néo-libérale, tout à fait conforme aux normes des institutions financières internationales.
2) Taux d’intérêts maintenus à un niveau très élevé par le gouvernement Lula, en conformité avec les normes des susdites institutions financières internationales, mais qui grève sérieusement le marché intérieur.
3) Lors des élections d’octobre 2006, Lula devra affronter non seulement le candidat de la droite, mais aussi la sénatrice Héloisa Helena qui se présente au nom du « Front de gauche » (Parti Socialisme et liberté, PSOL ; Parti socialiste des travailleurs unifiés, PSTU ; Parti communiste brésilien, PCB)
La vision à long terme du MST…
Quels sont les défis politiques les plus significatifs, à moyen terme, pour le MST ? Réponse immédiate de Rodrigues : « Eviter la consolidation de l’alliance entre la grande propriété et les entreprises transnationales de l’agriculture, une alliance qui représente aujourd’hui le pire obstacle à la consolidation de la réforme agraire.
L’ « agro-négoce » subordonne l’usage de la terre et plus généralement des ressources naturelles aux besoins des multinationales de l’agriculture (Bunge, Cargill, Monsanto, Stora Enzo, Syngenta) et à la spéculation que ces entreprises impulsent sur le marché financier international. La terre doit être au service du peuple brésilien, où l’on dénombre aujourd’hui au moins 70 millions de personnes qui ne mangent pas suffisamment En ce sens, nous avons besoin d’un nouveau modèle, basé sur les petits et moyens producteurs. Il est essentiel de promouvoir un projet de développement national centré sur le renforcement du marché intérieur, la distribution du revenu, l’industrie nationale, afin de satisfaire les besoins populaires en matière d’emploi. Le MST remplit son rôle avec les mobilisations populaires, dans les débats avec la société civile, pour formuler ce projet national. De plus, nous discutons la création d’une nouvelle manière de produire à la campagne, qui passe par l’adoption de techniques qui respectent l’environnement et produisent des aliments sains, sans engrais toxiques pour la population » (Beat Wehrle & Sergio Ferrari)
Traduction Hans Peter Renk
Collaboration E-CHANGER
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https://www.alainet.org/es/node/117264
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