Le Brésil, 4 ans plus tard...

L'assistance sociale comme droit social

26/09/2006
  • Español
  • English
  • Français
  • Deutsch
  • Português
  • Opinión
-A +A
Entretien avec Aldaíza Sposati A l'approche des élections générales du 1 octobre prochain au Brésil, le débat autour de la gestion du président Luiz Inácio Lula da Silva s'intensifie. Dans ce mélange de critique et de soutien, la politique sociale promue par Lula durant les quatre années de son mandat sert de paramètre et de thermomètre. Elle permet de mesurer particulièrement sa "sensibilité politique" envers les secteurs les plus appauvris de la société. "Bien qu'il reste encore beaucoup de travail, d'importantes étapes ont été franchies, spécialement dans l'idée de renforcer l'état social", souligne Aldaíza Sposati, assistante sociale, enseignante, auteure de nombreux livres et militante active. Madame Sposati a été consultante pour des organismes internationaux comme l'UNESCO et les Nations Unies. Elle a relevé un défi à l'exécutif de la ville de Sao Paulo en dirigeant le service de l'assistance sociale durant une partie du mandat de Marta Suplicy (Parti des Travailleurs, 2001-2004). P: Quelle importance ont eu les projets sociaux pendant le gouvernement de Lula? R: Réfléchir sur l'aspect social de la réalité brésilienne exige de comprendre, préalablement que, dans mon pays comme en Amérique latine, le néolibéralisme régnant est différent de l'européen. La raison en est très simple: nous avons peu d'expérience en matière d'état social. Au Brésil, à l'exception des secteurs de la santé et de l'éducation, les autres droits sociaux n'ont été que récemment intégrés dans la Constitution de 1988, connue comme "Constitution des citoyens". Depuis lors, Collor de Melo et Fernando Henrique Cardoso ont dirigé le pays. Aucun des deux n'a défendu la consolidation d'un état fort. Ils ont délégué à la société la responsabilité des questions sociales. Dans ce sens, la première grande différence entre le gouvernement de Lula et celui de ses deux prédécesseurs est de marquer la présence d'un Etat assurant la protection sociale. Ceci est une victoire par rapport à la philosophie et à la stratégie néolibérales que pratiquent des Etats minimalistes. D'autre part, dans la culture conservatrice brésilienne, un Etat qui assure une couverture de protection sociale est vu comme un Etat assistancialiste, dans le sens péjoratif du terme. Il n'est pas compris comme un Etat qui, de fait, garantit l'exercice des droits des citoyens. Il en coûte encore d'admettre que l'assistance sociale est effectivement un droit social. En examinant la situation sociale du Brésil actuel, il est important de s'interroger sur la pratique et l'universalisation des droits des citoyens. POUR UN VÉRITABLE DROIT SOCIAL P: L'absence d'un concept d'Etat social implique-t-elle l'application d'un concept d'élites? R: Au Brésil, comme sur tout le continent, subsistent des discriminations permanentes qui dérivent de l'époque coloniale. Les droits se réfèrent au Blanc, à l'Européen et non spécifiquement aux peuples indigènes, qu'ils soient quechuas, mayas ou descendants d'Africains. Pour une nouvelle perspective, il est essentiel que le concept de droit passe de l'ethnie ou du Blanc à l'universel. Dans ce sens, le gouvernement de Lula a mis l'accent sur le rapprochement avec l'Afrique. Les mouvements sociaux intègrent activement les défis de la population d'origine africaine. Aujourd'hui pour la première fois un Ministère de l'égalité des races a été mis sur pied. L'un des axes forts du gouvernement est lié à l'accès à l'éducation pour ces secteurs, ce qui signifie une possibilité de promotion sociale pour les afro-brésiliens. Je crois que nous vivons une grande mutation: un lent processus de construction de droits sociaux s'est déclenché et chemine, pas à pas, pour être appliqué effectivement dans un réseau de services réels de protection sociale. P: L'un des principaux plans sociaux est celui de la bourse de famille. A-t-il vraiment une incidence effective ? R: C'est une lutte importante. Ce plan démontre que le nombre de personnes vivant en situation précaire est considérable et qu'il est possible de réaliser un programme social en leur faveur. Ce programme concerne 11 millions de familles, c'est-à-dire quelque 44 millions de personnes. Il nécessite un gros investissement pour sortir de l'ombre cet important secteur marginalisé de la population. Aujourd'hui, pour la première fois, il existe un recensement complet de ces 11 millions de familles. Ces données fournissent un instrument à utiliser pour mettre en place une série de mesures politiques, au cas où le gouvernement se déciderait à affronter le problème de la pauvreté. D'autre part, ce programme ne prend pas uniquement en compte ceux qui vivent avec moins de 1 dollar par jour, c'est-à-dire les indigents (pauvreté extrême). Il veut aussi venir en aide à ceux qui se situent dans un autre cadre de la pauvreté, ceux qui vivent avec moins de 2 dollars par jour. C'est un pas important, même si je ne veux pas dire par là que ceux qui gagnent ces 2 dollars par jour ont une bonne qualité de vie. "ENTRE LE DÉSIR DE CHANGEMENT ET LE CHANGEMENT LUI-MÊME » P: Avec cette affirmation, voulez-vous dire que Lula accomplit un bon travail dans le secteur social? R: Mon expérience personnelle - j'ai été responsable du secrétariat d'assistance sociale de Sao Paulo -, m'a appris qu'il est nécessaire de différencier le désir de promouvoir des politiques sociales et la possibilité concrète de les appliquer. Il n'est pas simple de créer des conditions objectives d'action dans un pays où ces politiques n'ont jamais été prises en compte. Les résultats de Lula doivent donc être évalués selon deux perspectives. La première concerne les changements qu'il a introduits dans l'appareil du gouvernement fédéral pour permettre ce nouveau type de réponses, cette nouvelle forme d'intégration. La seconde comprend les réponses elles-mêmes. Celles-ci, jusqu'à présent, laissent beaucoup à désirer. Toutefois je pense que les changements introduits dans la structure du gouvernement ouvrent des espaces pour des avances considérables. P: Finalement, bilan positif ou négatif ? R: Je résume ce que j'ai dit auparavant. Ce gouvernement est le premier depuis la Constitution de 1988 qui cherche à fortifier l'Etat. Il travaille intelligemment. Il est capable de gérer les politiques publiques. Pour ces raisons, je soutiens la réélection de Lula et l'idée d'un second mandat. P: Question inévitable: quel sera le futur du gouvernement brésilien? R: Je crois qu'il n'est pas totalement résolu. Sur quelle politique parie le gouvernement pour continuer au pouvoir? Lors d'un second mandat, Lula reproduira-t-il la même stratégie ? Nous ne le savons pas... "ENCORE LOIN DU SOCIALISME VERSION BRÉSILIENNE" P: Vous vous référiez aux idéaux et valeurs du PT (Parti des Travailleurs). Quels sont réellement ces idéaux aujourd'hui, en septembre 2006? R: Glissant d'un socialisme utopique à un socialisme réel que nous pourrions appeler un socialisme version brésilienne, le gouvernement actuel est très loin de réaliser ces idéaux et d'appliquer ces valeurs. Essayer de le faire impliquerait entrer dans le débat sur la richesse existante au Brésil et sur sa distribution. Par exemple, l'impôt sur les grandes fortunes, approuvé par la Constitution de 1988, n'a jamais été appliqué. Ce serait pourtant une mesure absolument constitutionnelle. Pour que nous puissions avancer dans les idéaux du PT, nous devrions débattre d'un autre concept de redistribution. Nous aurions besoin de nouvelles coupures dans la forme de financement de l'économie. Il manque encore beaucoup pour réaliser tout ceci et je ne sais pas réellement si Lula, dans un second mandat, l'obtiendra. Je doute d'une modification possible et réelle de la logique de la grande concentration des revenus dont souffre le pays. Le processus d'accumulation est presque sacralisé au Brésil... P: Et la situation des mouvements sociaux ? R: Les mouvements sociaux vivent dans une certaine perplexité. Lula a concrétisé certains de ses objectifs, mais il reste beaucoup à faire. Toutefois, les autres candidats ne présentent pas de meilleures options. Je constate qu'il y a un accord des mouvements sociaux sur la réélection de Lula, malgré les limitations dans sa gestion. C'est le candidat qui comprend le mieux le contenu des demandes des mouvements sociaux. Je ne pense pas que ma façon de lire la conjoncture soit conformiste: elle est plutôt réaliste. Lula est encore le candidat le plus apte pour écouter et comprendre la voix des acteurs sociaux. ______________________________________________________________ "Lula ne se présente plus comme candidat du PT" Comment évaluer l'ensemble de la gestion de Lula? La réponse de Aldaíza Sposati, aussi analytique que soudaine, jaillit. "Il s'est maintenu très dépendant d'un modèle économique. Il a fourni la preuve à certains alliés et à l'extérieur que le Parti des Travailleurs ne prétendait pas détruire ce qui existait et qu'il avait la capacité réelle de diriger. Mais ceci ne correspond pas au cadre politique de référence ni aux valeurs du PT. J'attendais plus. Il est évident que le PT possède avec Lula son candidat. Mais Lula ne se présente déjà plus comme le candidat du PT. Il existe une dualité sur la forme de gouverner qui, pour le président, doit être construite au-delà du parti lui-même. L'équation de la gouvernance est complexe. Dans ce premier mandat, le gouvernement a construit son action sur un échange de faveurs avec des secteurs et des personnalités politiques de droite. C'est la pire politique qui puisse être mise en oeuvre. Si les membres du gouvernement, avec le consentement ou non du président, - ce n'est pas à moi de le juger - pratiquent la politique des faveurs, le résultat sera réellement désespérant pour la démocratie. Je dois reconnaître toutefois que cette pratique des faveurs personnelles n'est pas née avec ce gouvernement; elle existe depuis longtemps. La certitude, c'est que Lula n'est pas parvenu à construire des stratégies différentes et est tombé dans le même schéma. Avec ce deuxième mandat éventuel, le défi sera d'oser cette créativité. Elle lui permettrait de rencontrer d'autres formes de direction et lui assurerait le pouvoir nécessaire ". _____________________________________________ La stratégie sociale de Lula La politique sociale du gouvernement de Lula se concrétise à travers le programme "Faim Zéro" qui comprend plus de 30 sous-programmes sociaux et qui constitue la référence de politique sociale la plus importante de la gestion de Lula. Parmi ces sous-programmes, existe une série d'initiatives qui cherchent à faciliter l'accès aux aliments: renforcement de l'agriculture familiale, revenu propre et motivation des bénéficiaires. Les principaux sous-programmes de "Faim Zéro" sont la Bourse Familiale, le PRONAF (programme de renforcement de l'agriculture familiale), le goûter scolaire et la construction de citernes dans des régions stériles et semi-arides sans accès à l'eau courante. Dans son effort pour améliorer la redistribution des revenus, Bourse de Famille assure un gain minimal à 11.1 millions de familles. Ce programme offre, en outre, un accompagnement en santé. Il incite à fréquenter l'école et fournit une éducation alimentaire aux bénéficiaires. Il est appliqué aujourd'hui dans toutes les communes du pays. Le PRONAF existait déjà avant le gouvernement de Lula, mais il a été revitalisé et réadapté durant ces dernières années. Il profite aujourd'hui à 2 millions de familles, ce qui représente une augmentation des contrats de 92% entre 2003 et 2006. Le financement étatique de cette initiative a augmenté de 243% durant cette même période. (Beat Wehrle et Sergio Ferrari) Traduction Rosemarie et Maurice Michelet Fournier - Collaboration Service de Presse d'E-CHANGER, ONG de coopération solidaire.
https://www.alainet.org/es/node/117265
Suscribirse a America Latina en Movimiento - RSS