Martelly : Le rétroviseur
19/09/2011
- Opinión
Extrait du texte intitulé « Un chauffeur fasciné par le rétroviseur », contenu dans l’ouvrage sur « les 100 premiers jours de MARTELLY », paru le 31 aout dernier aux éditions C3group
(…)
Motivées par le désir de changement, les forces sociales se sont à maintes reprises mobilisées en quête de changement. C’est bien ce mot-là qui a animé la campagne de Martelly et qui a fait sortir des campagnes, des faubourgs et des villes, des dizaines de milliers de personnes qui ont voté (dans les conditions controversées que l’on sait) en sa faveur, en dépit du fort taux d’abstention enregistré [1]. Consciemment ou inconsciemment, ces gens-là s’attendent assurément à ce que le changement ne soit pas qu’un slogan, un vocable creux sans connexion avec la réalité.
Le discours du changement, tel que porté durant les 25 dernières années par les mouvements sociaux se réfère carrément à la transformation en profondeur d’un système dépassé, qui fait l’affaire d’une minorité et qui est incapable de répondre aux desiderata de la majorité de la population.
Les militants des années 1980 et 1990 pointaient du doigt ce qu’ils appelaient un système d’exclusion et d’exploitation, établi peu de temps après l’indépendance (1804) et qui continue aujourd’hui encore de mettre, entre autres, hors de la scène politique, la majorité de la population, contrainte d’entretenir un État qui ne lui sert a rien, un État réduit à sa plus simple expression, qui sert les intérêts particuliers, ceux de petits groupes, de clans, d’organisations ou de pays étrangers.
Ces luttes ont exploré tous les recoins et toutes les générations de droits humains : les droits civils et politiques, les droits économiques, sociaux et culturels… En dehors de douloureuses parenthèses d’autoritarisme, ces combats ont pu consacrer les libertés démocratiques, sans pouvoir cependant imposer concrètement les normes liées au respect des droits économiques, sociaux et culturels.
De ce point de vue, il s’agit d’une lutte à approfondir. Or, c’est ce mouvement même, parti de 1986, que le chef de l’État s’acharne, en quelque sorte, à remettre en cause, quand il circonscrit les maux du pays aux 25 dernières années. A cet égard, quel sens revêtent les concepts « ordre » et « discipline » contenus dans son discours d’investiture, prononcé sur un ton extrêmement énergique et truffé de mises en garde. On se croirait revenu au gouvernement dirigé par le général Henry Namphy à la chute de la dictature des Duvalier le 7 février 1986.
L’ordre en question, serait-il l’ordre autoritaire du « koko makak » [2] qui a cru pouvoir faire fléchir l’ensemble des couches sociales, jeter en prison, assassiner ou contraindre à l’exil les rebelles et faire régner sur le pays une paix de cimetière ?
Echos d’un passé révolu
Voilà des échos lugubres attachés à l’« ordre » et la « discipline » d’avant 1986, étape décisive d’une importante œuvre collective d’éducation populaire, de sensibilisation, de conscientisation et de mobilisation, qui a touché les campagnes les plus reculées comme les villes.
Faut-il voir en l’arrivée de Martelly au pouvoir l’aboutissement de l’opération qui a été formellement lancée avec le coup d’état militaire du 30 septembre 1991, dont le but ultime était de casser le grand élan démocratique qui avait amené une large coalition de secteurs divers à l’accession au pouvoir lors des élections de décembre 1990 ?
On se rappellera que, dans le contexte international de la chute du mur de Berlin (1989) suivi de trois années de répression et d’un embargo douloureux (sélectif), le mouvement démocratique et populaire, privé de ressources humaines précieuses, passées par les armes ou obligées de s’expatrier, a été mis en déroute.
Le retour à l’ordre constitutionnel, réclamé par la résistance, a été accompagné, en 1994, d’une nouvelle occupation militaire américaine approuvée par le pouvoir en exil. Ce dernier s’est également engagé à accepter l’orientation économique extrovertie combattue par les mouvements sociaux depuis la révolte populaire de 1986.
Les assauts répétés subis par ces mouvements ainsi que des opérations de dévoiement des militants par l’argent et le clientélisme dans des conditions de précarité grandissante, ont certes sérieusement modifié les rapports de forces et enlevé l’hégémonie du processus social aux forces progressistes. Mais l’attachement aux valeurs de démocratie et de justice sociale ne cesse d’être revendiqué, aussi bien par de jeunes organisations que par des structures qui datent des années 1980. Cependant, ceci ne signifie nullement que les acquis démocratiques sont irréversibles.
(...)
[1] Un peu plus d’1 million d’électeurs ont pris part aux élections sur une population en âge de voter estimée à environ 4,5 millions de personnes. Martelly a recueilli plus de 700 mille de voix parmi la population qui s’est rendue aux urnes le 20 mars.
[2] Gros batôn
https://www.alainet.org/es/node/152742?language=en
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