Le prix Nobel de la guerre… sociale
05/11/2012
- Opinión
Comme on pouvait s’y attendre, tous les dignitaires présents et passés des institutions européennes ont bruyamment salué l’attribution du prix Nobel de la paix à l’Union européenne (UE). Elle leur a permis, au moins pendant quelques jours, de se re-légitimer face à des opinions publiques de plus en plus eurosceptiques. Peine perdue : ces opinions sont largement restées indifférentes ou goguenardes, et parfois scandalisées, tant cette opération de communication leur paraissait à mille lieues de leur réalité vécue des politiques de l’UE. Et encore les médias ont-ils été relativement discrets sur le fait que le président du comité Nobel qui a attribué le prix, le Norvégien Thorbjorn Jagland (dont par deux fois le pays a refusé l’adhésion à l’UE), n’est autre que le secrétaire général de l’autre institution européenne, le Conseil de l’Europe, qui regroupe 47 Etats, dont les 27 membres actuels de l’UE.
Il n’est sans doute pas anodin que cet exercice d’auto-promotion intervienne au moment où ce n’est pas la paix, mais un véritable climat d’affrontement social qui prévaut dans nombre de pays de l’UE. Ainsi, le 9 octobre, soit trois jours avant l’annonce de la décision du comité Nobel, Angela Merkel n’a pu se réunir à Athènes avec le premier ministre grec que sous la protection de 6 000 policiers, face à des manifestants qui brûlaient des drapeaux allemands et qui affublaient d’insignes nazis des portraits de la chancelière.
Deux semaines plus tôt, le 25 septembre, des milliers d’Indignés qui assiégeaient le Parlement avaient été violemment réprimés par la police : 60 blessés et des centaines d’interpellations. Le 15 septembre, plus d’un million de Portugais étaient descendus dans les rues des principales villes du pays pour dire « non » aux plans d’austérité du gouvernement de Pedro Passos Coelho. Parmi les slogans que l’on pouvait lire sur les banderoles des manifestants, l’un résumait bien le sentiment général : « Stop au terrorisme social ». Etaient visées non seulement les dirigeants portugais, mais aussi la funeste troïka - Banque centrale européenne (BCE), Commission européenne et FMI – qui constitue le détachement avancé d’une véritable et toute-puissante force d’occupation à laquelle l’UE a fait serment d’allégeance : la finance.
Pour que les choses soient claires, c’est cette « troïka » qui devrait se rendre à Oslo le 10 décembre prochain pour recevoir le prix Nobel, et non pas l’autre « troïka » prévue : les présidents de la Commission, du Parlement européen et du Conseil européen. Et il appartiendrait alors au « sauveur suprême » de l’Europe, Mario Draghi, de prononcer le discours d’acceptation du prix. Dans son allocution, le président de la BCE pourrait reprendre à son compte la célèbre déclaration du méga-spéculateur Warren Buffet, le deuxième homme le plus riche du monde, qui, le 25 mai 2005, affirmait à la chaine de télévision CNN : « Il y a une guerre des classes, c’est un fait, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner ».
A l’époque, ces propos étaient destinés au public américain, et ils avaient valeur de mise en garde car Warren Buffet craignait que le système capitaliste ne s’autodétruise par ses propres excès. Sept ans plus tard, ils s’appliquent parfaitement à la situation européenne. Derrière l’invocation obsessionnelle, par tous les gouvernements, de la nécessité de la « compétitivité » (traduction : baisse de la rémunération du travail et démantèlement de la protection sociale), c’est bien une violente guerre sociale qui est en cours dans l’UE. Et la mascarade du prix Nobel de la paix ne pourra pas dissimuler cette réalité.
1er novembre 2012
Bernard Cassen est Secrétaire général de Mémoire des luttes, président d’honneur d’Attac
https://www.alainet.org/es/node/162406
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