Au Honduras, le pays des coups d’Etat quotidiens

05/05/2015
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 zelaya
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« Etes-vous d’accord pour que, lors des élections générales de novembre 2009, soit installée une quatrième urne pour décider de la convocation d’une Assemblée nationale constituante destinée à élaborer une nouvelle Constitution politique ? » Telle est la question que, fort démocratiquement, le président de centre-gauche Manuel Zelaya entendait poser au peuple hondurien en organisant une consultation populaire « sans caractère contraignant » le 30 juin 2009 et qui lui a valu, ce fameux jour, d’être bouté manu militari hors du pays par un coup d’Etat. Comme l’expliquera, entre autres, avec brio, le quotidien d’ « information » Libération, « il a été renversé par l’armée et les principaux corps constitués du pays pour avoir tenté d’organiser un référendum lui permettant de briguer un second mandat présidentiel, démarche déclarée illégale par la Cour suprême ».

 

A l’origine de cette interprétation mensongère reprise sans aucune nuance, les putschistes honduriens n’ont alors de cesse de signaler l’une des particularités de la Constitution en vigueur : la présence dans son texte de plusieurs articles – les artículos pétréos (littéralement : « de pierre », « gravés dans le marbre ») – qu’elle « interdit » de réformer de quelque manière que ce soit et dont l’un traite de la non réélection du chef de l’Etat. De fait, élaboré en 1982 dans un Honduras sous domination militaire, l’article 239 dit ceci : « Le citoyen qui a occupé la tête du pouvoir exécutif ne pourra être [à nouveau] président ou vice-président de la République. Celui qui viole cette disposition ou propose sa réforme[c’est nous qui soulignons], comme ceux qui l’appuient directement ou indirectement, seront immédiatement relevés de leurs fonctions respectives et se verront interdire pour dix (10) ans l’exercice de toute fonction publique » L’article 42 § 5 précise que la qualité de citoyen est retirée à qui « incite, promeut ou appuie la continuité ou la réélection du président de la République », tandis que l’article 330 du Code pénal sanctionne de six à dix ans de prison « qui, ayant exercé la présidence de la République, promouvra ou exécutera des actes violant l’article constitutionnel qui lui interdit d’exercer à nouveau la présidence de la République (…)  » ainsi que ceux qui l’appuieraient.

 

Telle est donc alors la leçon à tirer de la fable : en envisageant l’élaboration d’une nouvelle Constitution, Zelaya entendrait se maintenir au pouvoir en briguant au forceps un deuxième mandat – non autorisé – lors du scrutin présidentiel du mois de novembre suivant. Thèse évidemment absurde chronologiquement : la consultation sur la possible convocation d’une Constituante se déroulant le même jour que l’élection présidentielle, M. Zelaya n’aurait pu participer à cette dernière. L’élaboration d’une nouvelle Constitution à travers la participation populaire a de bien plus vastes desseins que la seule remise en cause du principe de la non réélection. Il n’empêche. C’est au nom de ces fameux artículos pétréos « sanctuarisés » jusqu’à la fin des temps – une curieuse camisole de force imposée au peuple, auquel, en principe, appartient la «  souveraineté dont émanent tous les pouvoirs de l’Etat » – que l’oligarchie, le Tribunal électoral, une partie du Congrès et la Cour suprême de justice, interdisent la tenue de la consultation « illégale », puis, avec l’assistance des militaires, renversent purement et simplement le président.

 

Grâce aux manœuvres du Département d’Etat américain – en la personne d’Hillary Clinton –, le gouvernement « de facto » pourra se maintenir au pouvoir le temps nécessaire pour organiser une première élection « sous contrôle » (et boycottée par les tenants de la démocratie) qui portera au pouvoir le néolibéral Porfirio Lobo (Parti national) le 29 novembre 2009. Le 24 novembre 2013, entaché par de très sérieuses suspicions de fraude [1], un deuxième scrutin présidentiel a permis à Juan Orlando Hernández (également du Parti national) de lui succéder.

 

On passera rapidement sur la répression du mouvement populaire et le désastre social – narcotrafic, corruption, insécurité, limitation des droits individuels, militarisation – qui, au fil des événements « post golpe », ont transformé le Honduras en un Etat littéralement failli. Précisons simplement que, le 8 avril 2010, une nouvelle base militaire américaine a été inaugurée dans la région côtière et inhospitalière de la Mosquitia et que deux cent cinquante marines vont prochainement renforcer les cinq cents militaires toujours présents dans l’imposante base de Palmerola, créée sous Ronald Reagan pour appuyer les contre-révolutionnaires nicaraguayens. Il serait donc dommage que d’aussi brillants résultats puissent être remis en question…

 

Oubliés l’interdiction pour dix ans de l’exercice de toute fonction publique et les six à dix ans de prison pour quiconque envisagerait ou appuierait une possible réélection du chef de l’Etat : le 23 avril 2015, après un recours de l’ex-président Rafael Leonardo Callejas (1990-1994) et de seize députés du Parti national sur « l’inapplicabilité  » des articles 42 § 5 et 239 de la Constitution, ainsi que de l’article 330 du Code pénal, la Cour suprême de justice, de façon aussi arbitraire qu’illégale, a rayé ceux-ci d’un trait de plume – alors que, constitutionnellement, seuls un référendum populaire ou une Assemblée constituante auraient pu les réformer. Depuis Miami – tout un symbole – où il se trouvait en visite pour rencontrer des entrepreneurs américains, le président Juan Orlando Hernández a justifié cette usurpation de pouvoir en expliquant : « La réélection est devenue la règle générale dans de nombreux pays du monde et son interdiction l’exception [2]. » Nul ne doute de son intention de profiter de la nouvelle donne pour se maintenir au pouvoir et perpétuer sa politique antisociale. Comme l’a déclaré le dirigeant syndical Carlos H. Reyes, « dans le but d’imposer sa volonté, la classe dominante utilise tous les ressorts du pouvoir pour créer, décréter, interpréter, réformer et abroger les lois à n’importe quel niveau ; c’est ce qu’elle a toujours fait : elle l’a fait quand elle a créé les Constitutions, quand elle les a interprétées pour donner organiser des coups d’Etat, y compris celui de 2009, et elle le fait aujourd’hui quand elle abroge plusieurs articles pétreos [3 ».

 

Qu’en pense la « communauté internationale » (disons… les Etats-Unis et l’Union européenne !), si prompte à clouer les gouvernements progressistes au pilori ? On n’ose imaginer qu’elle a déjà oublié le prétexte fallacieux qui a justifié le renversement de Manuel Zelaya.

 

Illustration : Manuel Zelaya et Juan Orlando Hernandez (source : El Heraldo)

 

Notes

 

[1] Lire, entre autres, sur notre site, « La farce démocratique continue au Honduras » et « Un observateur de l’union européenne dénonce ».

 

[2]  El Libertador, Tegucigalpa, 25 avril 2015.

 

[3]  El Heraldo, Tegucigalpa, 26 avril 2015.

 

Maurice Lemoine est Journaliste. Auteur de Les enfants cachés du général Pinochet. Précis de coups d’Etat modernes et autres tentatives de déstabilisation, Don Quichotte, Paris, 2015.

 

5 mai 2015

http://www.medelu.org/Au-Honduras-le-pays-des-coups-d

 

https://www.alainet.org/es/node/169407?language=en
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