Le Nicaragua sous dictature… du double standard et du copier-coller

30/11/2016
  • Español
  • English
  • Français
  • Deutsch
  • Português
  • Opinión
-A +A

Par son importance et l’incertitude qu’elle a engendrée, l’élection présidentielle du 8 novembre aux Etats-Unis a occulté le résultat et limité les commentaires sur le scrutin qui, deux jours auparavant, avait vu la victoire du sandiniste Daniel Ortega au Nicaragua. Toutefois, toutes tendances confondues, de la droite à la gauche (réelle ou supposée), l’appareil médiatique avait pris les devants en disqualifiant implicitement ou explicitement, sans nuances ni remise en perspective, cette réélection annoncée. Une unanimité qui laisse rêveur et devrait inciter à la réflexion.

 

Président sortant du Nicaragua, Daniel Ortega a été réélu pour un troisième mandat consécutif, le 6 novembre 2016, avec 72,5% des suffrages, loin devant les 15% de Maximino Rodríguez, candidat du Parti libéral constitutionnaliste (PLC, droite) [1]. Son parti, le Front sandiniste de libération nationale (FSLN), a conquis 71 des 92 sièges de l’Assemblée nationale. Alors que le Conseil suprême électoral (CSE) annonçait une abstention de 31,8 %, la coalition d’opposition du Front large de la démocratie (FAD) l’a estimée, sans citer aucune source identifiable, à plus de 70 % [2]. A qui se fier ?

 

En la matière, un simple rappel du passé permet d’avoir au moins une « petite idée » sur la question. Ayant assisté à l’élection précédente, déjà contestée à l’époque, qui, le 6 novembre 2011, se solda par une victoire du même Ortega, avec une majorité de 62 % des suffrages, nous pouvons affirmer qu’il avait incontestablement remporté ce scrutin [3]. Pourtant, arrivé en deuxième position avec 31 % des voix, le représentant du Parti libéral indépendant (PLI), Fabio Gadea, contesta sa défaite, prétendant avoir lui-même recueilli 62 % des voix (alors que tous les sondages lui avaient accordé environ 30 %). Alertant la « communauté internationale » (comprendre : les Etats-Unis et l’Union européenne) acquise à sa cause, il annonça une protestation massive et, pour le 3 décembre suivant, une manifestation de cent mille personnes dans les rues de la capitale Managua. Il en vint entre cinq et dix mille (sans présence d’un appareil massif de répression). Mais c’est la défense de leur cause que l’appareil médiatique international choisit de privilégier.

 

En 2008, déjà, lors d’élections municipales largement remportées par le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) – 109 villes sur 153 –, le candidat battu pour la mairie de Managua, le banquier Eduardo Montealegre, hurla à la fraude et exigea un recomptage des votes. Pour son plus grand malheur, le CSE accepta. Dès lors, les libéraux optèrent pour ne pas assister à ce recomptage et n’apportèrent ultérieurement aucune des « preuves » censées sustenter leur accusation.

 

C’est donc avec la plus grande réserve qu’on accueillira la récente déclaration de la dirigeante du FAD, Violeta Granera : « Nous ne reconnaissons pas les résultats de cette farce et, avec la force de la volonté manifestée par le peuple du Nicaragua, nous déclarons ces élections nulles [4].  »

 

S’il est un commentaire revenu en boucle ces dernières semaines, avec un ensemble parfait, c’est bien celui-ci : trente-cinq ans après avoir renversé par les armes la dictature d’Anastasio Somoza, le FSLN n’est plus ce qu’il était. Quelle ébouriffante découverte ! Pour information : l’Union soviétique, l’Angola, l’Afghanistan, l’Iran, l’Irak, le Parti socialiste français, le prince Charles (qui alors épousait Diana), la télévision publique, Georges Brassens, l’Amérique latine en général, le Venezuela, l’Equateur et la Bolivie en particulier, l’auteur de cet article et ses lecteurs non plus ! Et l’on ajoutera, au risque de surprendre, que même la nostalgie n’est plus ce qu’elle était.

 

On ne refera pas ici l’histoire de la décennie (1980-1990) d’agression américaine qui, par « contras » (contre-révolutionnaires) interposés, fit 57 000 victimes – dont 29 000 morts (les autres étant blessés ou mutilés) –, 350 000 déplacés pour une population de 3,8 millions d’habitants, et ruina le pays. Ce qui mena à la défaite électorale des sandinistes, vaincus par le blocus économique et financier américain, la guerre, la faim et l’isolement croissant (du fait de la décomposition du bloc socialiste de l’Est européen), le 25 février 1990. S’ensuivirent seize années d’un néolibéralisme féroce qui ramena littéralement les Nicaraguayens les plus pauvres à l’âge de la conquista.

 

Alors que les Etats-Unis et leurs relais locaux entendaient « désandiniser » définitivement le Nicaragua, le FSLN, acculé, ne trouva le salut que dans un « pacte » passé avec le Parti libéral conservateur (PLC) du président ultralibéral et corrompu Arnoldo Alemán (1997-2001), pacte qu’on lui reproche encore avec véhémence aujourd’hui. En négociant avec cette fraction de la droite en échange de la stabilité politique – le FSLN conservant une influence notable au sein de l’armée, de la police et des syndicats –, les sandinistes permirent effectivement, par pur pragmatisme, une modification de la loi électorale et une réforme de la Constitution qui, dans un premier temps, instaura un bipartisme de fait. Mais qui permit, dans l’attente de jours meilleurs, la survie du parti. Dans le cas contraire, celui-ci aurait purement et simplement disparu, pour la plus grande satisfaction de Washington et de ses alliés néolibéraux « pur jus ». De sorte que, malgré les pressions de l’ambassade américaine et des secteurs patronaux, c’est effectivement grâce à cette loi électorale de janvier 2000 – laquelle permet la victoire d’un candidat ayant obtenu 40 % des suffrages au premier tour ou 35 %, avec une différence d’au moins 5 % des voix avec le candidat arrivé en seconde position – que Daniel Ortega reviendra à la présidence en 2006. Il remporte alors 37,99 % des votes, ce qui lui assure la victoire au premier tour contre le banquier millionnaire et candidat du Parti libéral indépendant (PLI) Eduardo Montealegre (28,30 %). On trouvera éventuellement l’épisode peu satisfaisant en termes de « démocratie formelle », mais ce retour au pouvoir va permettre la mise en œuvre d’importantes réformes permettant à la population de bénéficier d’un accès majeur aux services sociaux en matière de santé, d’éducation, de sécurité sociale, de logement et de légalisation de la propriété, droits ignorés pendant les seize années de néolibéralisme.

 

Durant cette campagne électorale de 2006 c’est la droite qui, appuyée par la hiérarchie catholique et les églises évangéliques, a sorti de sa poche un projet de loi pénalisant l’avortement (y compris pour les femmes en danger de mort ou violées). Pour ne pas perdre l’élection en s’aliénant les Eglises, le Front, censé se retrouver piégé par la manœuvre, s’est, là encore, très pragmatiquement rallié à la proposition, « ce qui a marqué les esprits [5 ». C’est le moins qu’on puisse dire : dix ans après, à l’exception de la presse d’obédience religieuse, bien peu d’articles sur le Nicaragua omettent une référence à ce « péché capital » du FSLN. Dans l’absolu, rien là de choquant, à un détail près néanmoins. Comment se fait-il que ce thème de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) n’apparaisse, systématiquement, que pour le Nicaragua ? Si une mention de cette question est absolument incontournable, quel que soit par ailleurs le sujet abordé, pourquoi ne pas l’évoquer dans les articles concernant tous les autres pays d’Amérique centrale, le Mexique, l’Argentine, le Brésil, la Colombie, le Venezuela, le Pérou, l’Equateur, la Bolivie, le Chili, le Paraguay, le Surinam (sans parler de dizaines de pays, hors continent américain) ?

 

En Amérique latine, seuls quatre pays autorisent l’avortement : Cuba, le Guyana, l’Uruguay et Porto Rico, ainsi que le district fédéral (ville) de Mexico. Au Chili, la présidente Michelle Bachelet se bat, jusqu’à présent sans résultat, pour faire autoriser l’avortement thérapeutique. Au Paraguay, en mai 2015, une gamine de 10 ans, violée, s’est vue interdire l’interruption de sa grossesse. En Argentine, le thème est intouchable – alors que le pays permet le mariage de personnes du même sexe et l’adoption par des couples homosexuels. Au Mexique, sept cents femmes sont emprisonnées pour « homicide » suite à un avortement réel ou supposé [6]… Après tout, si l’on adopte l’approche réservée par les « observateurs » à Managua, cela vaudrait mention systématique. Ne pourrait-on pas, d’ailleurs, imaginer que tout article consacré à Cuba mentionne que l’avortement y a été autorisé dès 1965, librement et gratuitement ? Qu’on nous pardonne cette mauvaise plaisanterie… L’île « des frères Castro » n’est pas le Nicaragua : en ce qui la concerne, l’élément de langage obligatoire de la presse « pensée conforme » est « droits de l’homme », pas « avortement ».

 

Qu’il s’agisse du Nicaragua ou de ses « pays frères » latinos, au-delà de tel parti ou de tel chef de l’Etat, de droite comme de gauche, la question à poser et à analyser est celle de l’énorme influence d’Eglises conservatrices, pour ne pas dire obscurantistes – y compris chez les femmes des milieux populaires, comme nous l’avons constaté en 2011, au Nicaragua, au cours de multiples interviews. Et du dépassement de cette situation, à terme, par l’éducation. Ce qui implique des réformes sociales en la matière – entamées par le FSLN, précisément.

 

Pour clore ce chapitre qu’on reconnaîtra objectivement douloureux pour nombre de progressistes et surtout de féministes, on rappellera qu’une majorité de trente-quatre femmes figuraient parmi les soixante-deux députés sandinistes élus le 6 novembre 2011. Qui dit mieux ?

 

Du fait de son histoire tourmentée, le Nicaragua sandiniste pratique un « grand écart » permanent. L’ex-guérillero Ortega n’a-t-il pas noué des alliances avec certaines factions du secteur privé local et des entrepreneurs d’Amérique centrale ? Il s’est même « allié au grand capital », les Etats-Unis « restant le premier partenaire du pays », s’étouffe Le Monde (5 novembre), sans doute en pleine mue idéologique puisque, en d’autres temps, il l’accusait d’« anti-impérialisme primaire » et, dans le cadre d’une économie « dirigiste », de tout vouloir « étatiser » ! De fait, le pays a signé un Traité de libre commerce (TLC) de nature néolibérale avec les Etats-Unis avant, ultérieurement, de rejoindre l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA), de l’axe progressiste latino américain [7]. Peut-on pour autant, comme on l’a lu ici ou là, accuser le FSLN de tout et n’importe quoi, et en particulier d’avoir, en « compère » de la droite néolibérale, ratifié le TLC ?

 

L’Accord de libre-échange Etats-Unis–République dominicaine–Amérique centrale (CAFTA-RD) a été signé en décembre 2003, après douze courts mois de négociations. Il restait alors, dans chacun des pays impliqués, à le ratifier. Lors d’un « Sommet social contre le TLC » organisé du 12 au 18 avril 2005 au Costa Rica, on nota la présence, parmi le millier de dirigeants sociaux et acteurs institutionnels, du député Alba Palacios, en représentation du FSLN. Le Front organisait alors, au Nicaragua même, de multiples manifestations de rues pour s’opposer au projet. Finalement et surtout, il n’est pas au pouvoir quand, le 10 octobre 2005, sous la présidence d’Enrique Bolaños, le Congrès nicaraguayen ratifie le traité à la majorité simple – quarante-neuf voix pour (PLC et députés indépendants), trente-six contre (FSLN !) et trois abstentions.

 

On pourra reprocher aux sandinistes de ne point avoir dénoncé ce traité, au risque d’un très dur retour de bâton de Washington, après être revenus à la tête de l’Etat. Mais il s’agit là d’un autre débat. D’une manière générale, il est plus facile d’entrer dans ce genre d’entente que d’en sortir. En témoigne le fait que l’Equateur ou le Salvador, malgré l’arrivée de chefs d’Etat progressistes (Rafael Correa et Salvador Sánchez Cerén), n’aient pas renoncé à la dollarisation de leur économie que, pourtant, ils ont férocement critiquée. En témoignent également les chauds débats et les désaccords au sein de la gauche de gauche française (et européenne) sur les plans « A », « B », « Y » ou « Z » d’une éventuelle sortie de l’euro ou de l’Union.

 

Si « Daniel », comme l’appelle le petit peuple, a pu être réélu en novembre 2011, dénonce en chœur l’appareil médiatique, c’est parce que la Cour suprême de Justice (CSJ), quelque temps auparavant, a modifié la Constitution et a rendu inapplicable son article 147 qui interdisait un nouveau mandat. Faut-il pour autant transformer, ad vitam æternam, cette modification en un « crime absolu » ? Lorsqu’elle eut lieu, elle fut justifiée par le fait que l’interdiction de la réélection « limite le droit du peuple à choisir ses représentants et gouvernants », ainsi que « le droit des citoyens à être élus à des charges publiques ». Ce qui peut, en toute bonne foi, se discuter. Mais là n’est pas le plus important. Ce qui fut surtout mis en évidence est que cet interdit ne figurait pas dans la Constitution entrée en vigueur le 9 janvier 1987, sous gouvernement sandiniste, mais qu’il fut incorporé lors d’une réforme partielle en 1995. Or, à la différence de la « Carta magna » de 1987, issue d’une Assemblée nationale constituante qui, après deux années de travail, l’avait approuvée le 19 novembre 1986 [8], cette réforme, qualifiée par certains à l’époque de « coup d’Etat parlementaire », ne fut, elle, pas soumise à l’approbation des citoyens. En matière d’information, le commentaire est libre, mais les faits devraient au moins être rappelés.

 

En tout état de cause, le hourvari médiatique fut beaucoup moins virulent quand le président colombien Álvaro Uribe, élu une première fois en 2002, fit lui aussi réformer la « Carta Magna » par la Cour constitutionnelle afin de pouvoir se présenter à un second mandat (qu’il remporta) en 2006. Toute référence à cette « anomalie » a totalement disparu des radars lorsque l’actuel chef de l’Etat Juan Manuel Santos a utilisé cette faculté pour se faire réélire à son tour le 15 juin 2014. On notera par ailleurs le silence absolu qui a accompagné la trajectoire du « très respecté » social-démocrate Óscar Arias lorsque la Cour constitutionnelle du Costa Rica, en avril 2003, adopta elle aussi un amendement lui permettant de se représenter (il avait été chef de l’Etat de 1986 à 1990), ce qui, jusque-là, n’était pas autorisé.

 

Grâce à cette réforme, Arias fut élu le 5 février 2006 avec… 40,9 % des suffrages. Nul ne prit ombrage de ce score modeste – ne dépassant que de 0,9 % les 40 % nécessaires pour être élu au premier tour –, de deux points supérieur au résultat « lamentable » d’Ortega ! Il est vrai qu’Arias, grand ami des Etats-Unis, militait ardemment en faveur du fameux CAFTA-RD et que, une fois revenu au pouvoir, il organisa dans son pays une « campagne de la peur » en faveur du « oui » pour le faire ratifier par référendum le 7 octobre 2007. Là est le détail qui change tout. « Médiateur » imposé par les manœuvres de la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton, il fit également traîner en longueur les négociations entre le président hondurien Manuel Zelaya et les putschistes qui l’avaient renversé le 28 juin 2009. En empêchant le retour de Zelaya avant les élections générales « sous contrôle » du 29 novembre 2009, Arias permit l’accession à la présidence du Honduras d’un autre « grand ami » de Washington, Porfirio Lobo. Dénonçant aujourd’hui avec beaucoup plus d’enthousiasme le « populisme » que, hier, la rupture de l’ordre institutionnel chez un voisin centraméricain, ce même Arias se permettra d’observer à l’occasion de la victoire récente de Donald Trump aux Etats-Unis : « Ce scénario n’est pas très différent du pouvoir dont jouissent Vladimir Poutine, Nicolás Maduro [président du Venezuela] et Daniel Ortega [9 »

 

Et puisqu’on parle du Honduras… On se souvient que « Mel » (diminutif de Zelaya) fut renversé en 2009 pour avoir voulu organiser un référendum « non contraignant » demandant aux Honduriens s’ils souhaitaient la convocation d’une Assemblée constituante pour réformer la Constitution. L’oligarchie, l’armée, le Parlement et la Cour suprême justifièrent le « golpe » en l’accusant de fomenter cette révision « illégale » pour pouvoir briguer un second mandat, formellement prohibé. En effet, la Constitution hondurienne comportait plusieurs articles – les artículos pétréos (« gravés dans le marbre ») – qu’elle interdisait de réformer de quelque manière que ce soit et dont l’un traitait de la non réélection du chef de l’Etat.

 

Quelques années d’apocalypse ont passé au Honduras, littéralement transformé en Etat failli. Après un recours du Parti national (qui participa au renversement de Zelaya) sur « l’inapplicabilité » des articles 42 § 5 et 239 de la Constitution, ainsi que de l’article 330 du Code pénal, la Cour suprême de justice a rayé ceux-ci d’un trait de plume le 23 avril 2015 ! Dès lors, ce qui était interdit à Zelaya à travers l’éventuelle décision d’une Assemblée constituante, et justifia une action d’une extrême violence – un coup d’Etat ! –, devient autorisé au président néolibéral Juan Orlando Hernández, élu dans des conditions douteuses (nous y reviendrons), qui a annoncé son intention de se représenter en 2017. « Mon gouvernement a encore beaucoup à faire », a-t-il annoncé, après avoir estimé que « se faire réélire est un droit de l’homme [10 », pour se justifier.

 

Face à tant de cynisme, protestations et manifestations se multiplient en ce moment même à Tegucigalpa et dans l’ensemble du Honduras. Dans une indifférence totale. Où est donc passée la noble corporation des journalistes, observateurs et autres docteurs en science politique, si attentifs, si rigoureux, ces jours derniers, lorsqu’il s’est agi du Nicaragua ?

 

Revenons à 2016 et au scrutin du 6 novembre. « En juin, la Cour suprême de justice, à la botte d’Ortega, décida de retirer la personnalité juridique au principal parti d’opposition, le Parti libéral indépendant (PLI), d’annuler la participation de la Coalition nationale pour la démocratie, et participa indirectement à l’affaiblissement de la représentation parlementaire de l’opposition suite à la destitution de vingt-huit députés d’opposition (PLI et Mouvement de rénovation sandiniste) [11]. » En d’autres termes : Ortega a réussi à verrouiller l’ensemble des espaces politiques et à barrer le chemin des urnes aux candidats de l’opposition. « Du sandinisme à l’absolutisme » titrait déjà Libération le 8 août dernier…

 

S’opposant au FSLN, la Coalition nationale pour la démocratie (CND) regroupait encore, il y a quelques mois, une nébuleuse de formations politiques parmi lesquelles la plus importante, le Parti libéral indépendant (PLI) – 31 % des voix lors de la présidentielle de 2011 – et, censé représenter « la gauche démocratique » face à la dérive dictatoriale d’Ortega, le Mouvement rénovateur sandiniste (MRS).

 

Ce dernier est né le 18 mai 1995 lorsqu’une faction de dissidents du FSLN, emmenés par l’ex-vice-président de la République (1985-1990) et écrivain Sergio Ramírez, entendit transformer le Front en un « parti moderne » de centre gauche – sur le modèle social démocrate (devenu social libéral) du vieux continent. Plus en cours au sein de certaines ONG européennes ou dans les colonnes du quotidien espagnol El País que dans les quartiers populaires ou les campagnes « nicas », le MRS n’a jamais pu supplanter le parti historique demeuré fidèle à Ortega, avec sa base sociale s’identifiant au passé révolutionnaire, son vote dur et discipliné. Demeuré marginal, le MRS obtint 1,33 % des suffrages à la présidentielle de 1996 (Sergio Ramírez) ; en 2001, il rejoignit la Convergence nationale, qui appuyait… Daniel Ortega ; crédité en 2006 de 7,2% des voix, son candidat Edmundo Jarquín, ancien fonctionnaire de la Banque interaméricaine de développement (BID), expert en alliances en tout genre, franchit définitivement le Rubicon en 2011 en postulant à la vice-présidence, en binôme avec le candidat de la droite dure Fabio Gadea (PLI).

 

Plus qu’un quelconque projet politique progressiste, c’est désormais sa haine viscérale de Daniel Ortega et des dirigeants sandinistes qui sert de boussole au MRS. Ancienne étudiante de l’Université d’Arizona ayant bénéficié d’une bourse « Fullbright » [12], présente à la Convention démocrate de juillet dernier à Philadelphie, sa jeune présidente Ana Margarita Vijil a également rencontré à Washington la députée républicaine cubano-américaine de Floride Ileana Ros-Lehtinen, présidente de la sous-commission des Affaires étrangères à la Chambre des représentants, ennemie jurée de la gauche latina [13]. Peu de temps après cette rencontre, c’est cette même Ros-Lehtinen qui a promu le Nicaraguan Investment Conditionality Act (Nica Act) prévoyant des sanctions empêchant le Nicaragua d’accéder à des fonds internationaux, approuvé le 21 septembre, à l’unanimité, par les 435 députés démocrates et républicains de la Chambre des représentants. Comme le fait la partie la plus droitière de l’opposition vénézuélienne, Vijil réclame également l’application de la Charte démocratique de l’Organisation des Etats américains (OEA) au Nicaragua.

 

C’est toutefois du sein du PLI allié et non du MRS (et encore moins du FSLN !) qu’a surgi le coup de grisou qui a fait exploser la Coalition nationale pour la démocratie (CND).

 

La lutte pour l’hégémonie au sein de la droite génère depuis longtemps de profondes fractures en son sein. En 2011, un litige est né entre quatre factions internes au PLI pour la prise de contrôle de sa direction. A la mort de son président, Rollin Belmar Tobie, celle-ci aurait dû revenir au vice-président du Conseil exécutif national, le juriste Pedro Reyes Vallejos, élu par l’Assemblée délégataire le 27 février 2011. La décision ne fut jamais acceptée par le clan du député Eduardo Montealegre qui, s’emparant par la force du parti, déclencha avec trois autres factions une guerre interne non résolue en cinq ans. Du fait de l’incapacité de la droite à laver son linge sale en famille, et la date de dépôt des candidatures à la présidence approchant, c’est, le 8 juin 2016, la Cour suprême de justice (CSJ), devant laquelle les belligérants avaient entamé des procédures, qui se vit dans l’obligation de trancher. Il octroya la représentation légale du PLI au courant de Pedro Reyes, le successeur légal de Rollin Tobie à sa mort. Insultés et vilipendés par les perdants, Reyes et les siens quittèrent la CND, tandis que Montealegre et ses amis organisaient un show médiatique sur le thème de la « défense de la démocratie et de la liberté » en dénonçant… le pouvoir et l’absence de transparence électorale.

 

Quelques jours plus tard, le 29 juillet, nouveau coup de théâtre lorsque vingt-huit députés de l’opposition issus du PLI sont privés de leur mandat. Autre coup de force d’Ortega, du FSLN ou d’un Conseil suprême électoral composé d’obligés du président ? Non, application de la loi électorale – votée en son temps par le PLC, le PLI et le MRS ! Introduite pour éviter l’achat de députés, pratique fréquente en Amérique centrale, cette loi établit que le siège appartient au parti et non à l’élu. Si ce dernier change de formation en cours de mandat, il perd son siège. Ce qui s’est passé quand les vingt-huit parlementaires dont il est question ont quitté le PLI et ont suivi Montealegre. En l’occurrence, le PLI de Pedro Reyes n’a perdu aucun représentant puisque les partants ont été immédiatement remplacés par leurs suppléants (élus en même temps qu’eux), comme le veut également la loi.

 

Ainsi a réellement explosé la Coalition nationale pour la démocratie, avant qu’un tout nouveau Front élargi pour la démocratie, créé le 4 octobre, n’appelle à un boycott du scrutin, sous le slogan « il n’y a personne pour qui voter » [14]. On trouvera peut-être notre explication un peu longue, voire trop détaillée. Mais peut-on nier l’importance de ces « subtilités » ?

 

De son côté, comme il se doit, Washington a rué dans les brancards : « La décision du gouvernement nicaraguayen de ne pas inviter d’observateurs internationaux indépendants a dégradé encore plus la légitimité de cette élection. » Ni l’Organisation des Etats américains (OEA) ni l’Union européenne (UE) n’ont de fait été invités. Pour couper court à la polémique, Ortega acceptera qu’une mission de l’OEA vienne, du 5 au 7 novembre, analyser – et non superviser – les élections. Une décision fort critiquée. Mais en quoi la présence de ces « observateurs » serait-elle une garantie de démocratie ?

 

Le 24 novembre 2013, pas moins de 180 d’entre eux, envoyés par l’OEA, l’UE (99 personnes provenant de 26 pays membres et de la Norvège) et le Centre Carter ont « surveillé » l’élection présidentielle du Honduras. De tout le pays, au fur et à mesure que le Tribunal suprême électoral (TSE) annonçait des résultats en faveur du candidat de droite Juan Orlando Hernández (JOH), remontaient les dénonciations allant de l’achat de votes à la rétention de résultats favorisant Liberté et refondation (Libre) – le parti d’opposition emmené par Xiomara Castro, épouse du président renversé en 2009, Manuel Zelaya –, la participation des morts et le décès des vivants, etc… Néanmoins, sans tenir compte du fait que deux partis, représentant ensemble environ 50 % des électeurs – Libre et le Parti anticorruption (PAC) –, dénonçaient une fraude massive, tant l’OEA que l’UE ont entériné sans états d’âme et précipitamment le résultat annoncé. Un coin de voile fut levé lorsqu’un observateur autrichien de l’UE, Léo Gabriel, lors d’une conférence de presse improvisée, déclara, indigné : « Le mot “transparent” ne peut pas s’applique à ce scrutin, ni au comptage, ni aux élections en général » – en faisant un récit qui recoupait en tous points les dénonciations effectuées par l’opposition [15].

 

Au Honduras, toujours, du fait d’une situation apocalyptique et de manifestations massives d’« Indignés » en 2015, une Mission d’appui contre la corruption et l’impunité au Honduras (MACCIH) a été mandatée dans ce pays par l’OEA, en janvier 2016. Dotée de prérogatives limitées, elle est très critiquée par le mouvement social pour son rôle lénifiant dans un « dialogue national » étroitement contrôlé par le pouvoir. L’indignation a atteint son comble quand, en août de cette année, elle a refusé de se prononcer sur le tour de passe-passe, particulièrement sensible du fait du coup d’Etat de 2009, permettant la réélection du chef de l’Etat (de droite, cela va de soi). « Ceci est un thème politique et c’est aux Honduriens de solutionner le problème, s’est contenté de répondre son porte-parole Juan Jiménez Mayor. La politique ne peut pas pénétrer la MACCIH et je vais être très attentif à ce qu’il en soit ainsi [16].  »

 

L’OEA ne s’occupant pas de politique, quand son secrétaire général, l’uruguayen Luis Almagro, totalement inféodé au Département d’Etat américain, multiplie les agressions et une ingérence éhontée à l’égard du Venezuela ? Quand elle a cautionné la « mère de toutes les fraudes », en Haïti, en février 2011 ?

 

Annoncés début décembre 2010, les résultats provisoires du premier tour plaçaient dans ce pays Jude Célestin, le dauphin du président René Préval, en deuxième position derrière Mirlande Manigat. Sur la base d’un rapport d’« experts » de l’OEA, les principaux bailleurs de fonds, Etats-Unis en tête, en la personne d’Hillary Clinton, ont exercé de fortes pressions pour exclure Célestin du deuxième tour, au profit de Michel Martelly, « leur » candidat. « Ils ont tiré des résultats de leurs poches, ils agissent comme des colons, mais il y a des hommes et des femmes dans ce pays qui exigent d’être traités avec dignité  », s’insurgea (sans résultat) le ministre de la Justice Paul Denis. Martelly remportera le second tour, au terme d’un scrutin « libre et démocratique » estampillé « OEA ».

 

Et pour mémoire : a-t-on entendu Almagro monter sur ses grands chevaux ou invoquer la Charte démocratique de l’OEA lors du récent renversement de la présidente brésilienne Dilma Rousseff par un coup d’Etat juridico-parlementaire ? Dans ces conditions, on ne voit pas pourquoi l’OEA devrait imposer sa présence à un pays souverain qui ne la souhaite pas. Les raisons de la rejeter ne manquent pas.

 

On ne prétendra pas ici que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes nicaraguayens. Bien des critiques légitimes peuvent être avancées. L’absence de transparence qui entoure le projet de canal interocéanique (276 kilomètres de long), son coût (50 milliards de dollars), ses dangers potentiels pour l’environnement, ses conséquences sociales en termes d’expropriation et d’indemnisation des populations affectées, le flou qui entoure son maître d’œuvre, le chinois Wang Ping, ainsi que son entreprise, Hong Kong Nicaragua Canal Development (HKDN Group), le retard pris, et ses causes, sur les délais initialement annoncés. A condition, toutefois, de ne pas sa cantonner dans un exercice uniquement « à charge », mais de considérer également les arguments économiques, sociaux et géopolitiques qui plaident en faveur de ce grand dessein – après tout, si de nombreuses manifestations s’y opposent, d’autres (jamais médiatisées) l’ont appuyé. Le Nicaragua n’est-il pas le seul pays au monde à posséder une brigade militaire entièrement destinée à la protection de l’environnement et à la lutte contre la déforestation, dans une région où l’écologie n’est pas spécialement une priorité ?

 

La présence excessive de membres de la famille Ortega à de hautes fonctions fait également débat. A juste titre. Ou le choix de l’épouse du « comandante », l’excentrique poétesse spiritualiste Rosario Murillo, pour occuper la vice-présidence. « Des experts voient dans cette nomination pointer une éventuelle dynastie présidentielle », s’inquiète, entre autres, Le Monde, le 3 août 2016. Soit. Mais, en mauvais esprit, qu’on nous permette de sourire une fois de plus. Si elle n’avait été battue par Donald Trump, Hillary Clinton, la « candidate » de Wall Street et des médias, dont Le Monde, n’aurait-elle pas occupée la Maison-Blanche quelques années après… son mari ? George W. Bush (2001-2019) n’était-il pas le fils de George H. W. Bush (1989-1993) ? Qu’on le veuille ou non, qu’on l’apprécie ou non, Murillo, présente sur la scène politique depuis les premières heures de la révolution, jouit, au sein du peuple, d’une très grande popularité. Quant à la permanence excessive au pouvoir de son époux… Qui a levé les bras au ciel sur ce thème lorsque la chancelière ordolibérale Angela Merkel a officialisé sa candidature à un quatrième mandat, en Allemagne, le 20 novembre dernier ?

 

A trop se laisser emporter par les vents dominants – le lynchage systématique des gauches latino-américaines, qu’elles soient en difficulté ou non –, une majorité d’observateurs est passée à côté de l’essentiel. Avec l’aide de la coopération vénézuélienne – et à une moindre échelle cubaine –, mais aussi grâce à son pragmatisme en matière d’alliance et de relations, en interne comme en externe, le sandinisme a réussi à augmenter le PIB du Nicaragua de 40 %, maintenant une croissance moyenne de 4,5 % par an – plus du double de celle de l’ensemble de l’Amérique latine, à l’exception du Panamá. Qui plus est, 45 % de son PIB est produit par l’économie populaire – coopératives, transports collectifs, structures solidaires de commercialisation et de distribution. S’il exporte – viande, lait, café –, ce n’est pas, comme trop souvent, au détriment de sa sécurité alimentaire : il nourrit également sa population, sans avoir à importer. La multitude des programmes sociaux – Hambre Cero (faim zéro), Plan Techo (installation de toits de zinc résistant aux pluies tropicales), Usura Cero (microcrédits), Merienda Escolar (alimentation des enfants de plus de 12 000 écoles publiques), Bono Productivo (crédits octroyés majoritairement aux femmes pauvres, en milieu rural), Bono Solidario (programme d’appoint salarial), Casas para el Pueblo (maisons pour le peuple) améliorent incontestablement les conditions de vie des plus défavorisés. Et qu’on ne s’y trompe pas : le mot « assistance » ne scandalise généralement que ceux dont l’heureuse trajectoire sociale permet de vivre décemment sans avoir besoin d’être « assisté ».

 

Bien peu ont noté que, grâce à la présence d’un Etat, le Nicaragua demeure (avec le Costa Rica) à l’écart de l’épouvantable vague d’insécurité qui affecte les pays environnants et, un peu plus au nord, le Mexique. Que ce soit à travers les « maras » – bandes de délinquants organisés qui mettent le Salvador et le Honduras à feu et à sang – ou la pénétration du narcotrafic – Honduras, Guatemala, Mexique –, la région est devenue un enfer. On dénombre 103 homicides pour 100 000 habitants au Salvador ; 57 au Honduras (90,4 en 2014) ; 30 au Guatemala ; 13 au Mexique (21,6 en 2014) ; 8 au Nicaragua [17]. Ce qui s’appelle un succès. Un de plus.

 

Le gouvernement de Daniel Ortega aurait certes pu mieux faire. Ni socialiste ni purement néolibéral, il demeure au milieu du gué. Il n’a pas transformé le Nicaragua agricole en une puissante nation industrielle, pas plus qu’il n’a fait de Managua en une nouvelle Silicon Valley ! Mais qui a réussi ce genre de prouesse (à part les néolibéraux ou les révolutionnaires de salon) ? Ni son opposition ni les puissants parrains qui appuient celle-ci de l’étranger n’ont une proposition cohérente à opposer à cette puissante combinaison de facteurs politiques, économiques et sociaux qui permettent au FSLN et à son « comandante » de demeurer largement majoritaire et de l’emporter. Au Nicaragua, la « fin de cycle » n’était pas pour cette année. Pour la plus grande déception, peut-être, de ceux qui rêvaient à une nouvelle défaite de l’axe progressiste sur le continent américain.

 

- Maurice Lemoine est journaliste

 

Illustration : Garrett Ziegler

 

29 novembre 2016

http://www.medelu.org/Le-Nicaragua-sous-dictature-du

 

 

Notes

 

[1] Membre de la junte de gouvernement de reconstruction nationale après le renversement du dictateur Anastasio Somoza, il fut déjà président de la République de 1985 à 1990.

 

[2]  Libération fera mieux en annonçant une abstention de 78 % (Maya Collombon, « Un scrutin sans campagne ni votants », 11 novembre 2016).

 

[3] Lire Maurice Lemoine, Le Monde diplomatique, mai 2012.

 

[4]  Le Point.fr, 8 novembre 2016.

 

[5] Bernard Duterme, « Au Nicaragua, que reste-t-il du sandinisme ? », Le Monde diplomatique, septembre 2016.

 

[6] Alberto Nájar, « 700 mujeres presas por aborto en México, muchas veces espontáneo », BBC Mundo, México, 25 juillet 2016.

 

[7] Cuba, Venezuela, Bolivie, Nicaragua, Dominique, Antigua et Barbuda, Equateur, Saint Vicent et les Grenadines, Sainte Lucie, Saint Christophe et Nieves, La Grenade ; le Surinam et Haití y disposent d’un statut spécial. Le Honduras en a fait partie jusqu’au coup d’Etat de juin 2009 contre le président Manuel Zelaya.

 

[8] Entre mai et juin 1986, plus de cent mille citoyens participèrent à soixante-treize « cabildos abiertos » (assemblées ouvertes) organisés au niveau national. Après qu’il leur fut présenté l’avant-projet de Constitution, ceux-ci remirent 1 800 motions écrites de propositions de changements et de corrections.

 

[9]  El País, Madrid, 10 novembre 2016.

 

[10]  Criterio, Tegucigalpa, 10 novembre 2016.

 

[11] Kevin Parthenay (docteur en science politique), « Réalisme tragique au Nicaragua », Libération, 6 novembre 2016.

 

[12] Attribuée à de jeunes latino-américains dans lesquels les Etats-Unis voient de futurs dirigeants politiques.

 

[13]  Resumen Latinoamericano, Buenos Aires, 3 novembre 2016.

 

[14] Le PLC (15 %) fut représenté par Maximo Rodriguez, député entre 1996 et 2011 ; Le PLI (4,5 %) par José del Carmen Alvarado, un odontologiste qui se consacre à l’agriculture et l’élevage ; l’Alliance libérale nicaraguayenne (4,3 %), par Saturnino Cerrato, un ancien religieux ; l’Unité démocratique, alliance entre le Parti conservateur, le Parti social-chrétien et les Indépendants (2,3 %), par Erick Cabezas (2,3 %) ; l’Alliance pour la République (1,4 %), par Carlos Canales.

 

[15] Lire « Un observateur électoral de l’Union européenne dénonce », Mémoire des luttes, 30 novembre 2013.

 

[16]  Hondudiario, Tegucigalpa, 19 août 2016.

 

[17] « Balance de Insight Crime sobre los homicidios en Latinoamérica en 2015 », janvier 2016.

 

https://www.alainet.org/es/node/182063?language=en
Suscribirse a America Latina en Movimiento - RSS