Le récit qui fait le lien d’un empire

Les États-Unis ont une double personnalité, représentée dans le héros masqué et avec deux identités, omniprésentes dans sa culture populaire (Superman, Batman, Hulk, etc.).

23/02/2021
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L’un des écrivains et critiques les plus importants de l’histoire des États-Unis, Mark Twain, a non seulement été prolifique dans ses dénonciations contre l’impérialisme de son pays, mais, avec d’autres intellectuels de l’époque, il a fondé en 1898 la Ligue Anti impérialiste, qui était présente dans une douzaine d’États jusqu’aux années 1920, lorsque la chasse aux anti-américains a commencé, selon la définition des fanatiques et des laquais qui s’agglutinent toujours du côté du pouvoir politique, économique et social.

 

Pour ces ravisseurs de pays, l’anti-américain est quiconque qui cherche des vérités qui dérangent, enterrées avec leurs victimes et ose les dire. À ce jour, il y a eu des Américains et des étrangers dotés d’une préparation intellectuelle éprouvée et d’un courage moral qui ont continué cette tradition de résistance à l’arbitraire, à la brutalité de la force et au récit du plus fort, malgré les dangers que comporte toujours le fait de dire la vérité sans édulcorants. Ce fanatisme a conduit à l’impudence de certains immigrés nationalisés qui accusent ces citoyens nés dans le pays de ne pas être assez américains, comme ils le sont supposément quand ils vont à la plage en short imprimé du drapeau de leur nouveau pays.

 

Mais si les gens de la culture, de l’art et de la science sont d’un côté, il faut regarder du côté opposé pour savoir où se trouvent le pouvoir et ses laquais. En novembre 1979, la future conseillère de Ronald Reagan, Jeane Kirkpatrick, promotrice de l’aide aux dictatures militaires, aux Contras et aux escadrons de la mort en Amérique latine, avait publié dans Commentary Magazine une idée enracinée dans l’inconscient collectif :

 

« Si les dirigeants révolutionnaires décrivent les États-Unis d’Amérique comme le fléau du XXe siècle, comme l’ennemi des amoureux de la liberté, comme une force impérialiste, raciste, colonialiste, génocidaire et guerrière, alors ce ne sont pas de vrais démocrates, ce ne sont pas des amis ; ils se définissent comme des ennemis et doivent être traités comme des ennemis ».

 

Tel est le concept de démocratie dans la mentalité impérialiste et pour ses serviteurs qui détestent être appelés impérialistes et qui a au moins 245 ans. Comment s’explique cette contradiction historique ? Ce n’est pas difficile. Les États-Unis ont une double personnalité, représentée dans le héros masqué et avec deux identités, omniprésentes dans sa culture populaire (Superman, Batman, Hulk, etc.). C’est la création de deux réalités radicalement opposées.

 

D’une part, il y a les idéaux des soi-disant Pères Fondateurs, qui ont imaginé une nouvelle nation basée sur les idées et les lectures à la mode de l’élite intellectuelle de l’époque, les idées d’humanisme et des Lumières qui ont également explosé en France en 1789, la même année de l’entrée en vigueur de la Constitution des États-Unis : liberté, égalité, fraternité. La plupart des fondateurs, comme Benjamin Franklin, étaient des francophiles. Contrairement au reste de la population anglo-saxonne, Washington n’allait à l’église que par obligation sociale et politique. Le plus radical du groupe, l’Anglais rebelle Thomas Paine, principal instigateur de la Révolution américaine contre le roi George III, la monarchie et l’aristocratie européennes, était un rationaliste et le fouet des religions établies.

 

Le père intellectuel de la démocratie américaine, Thomas Jefferson, avait accepté la citoyenneté française avant de devenir le troisième président et ses livres ont été interdits en tant qu’athée. Il n’était pas athée, mais c’était un intellectuel francophile, laïc et progressiste à bien des égards. Mais il était aussi un enfant de la réalité opposée : tout en promouvant des idées telles que tous les êtres humains naissent égaux et ont les mêmes droits, Jefferson et tous les autres pères fondateurs étaient profondément racistes et avaient des esclaves qu’ils n’ont jamais libérés, y compris les mères de leurs enfants.

 

Voici l’autre personnalité des États-Unis, celle qui a besoin du masque pour devenir le super-héros : il s’est formé avec les premiers pèlerins, les premiers esclavagistes et continue aujourd’hui, passant par chacune des vagues expansionnistes : une mentalité anti-Lumières, conservatrice, ultra-religieuse, pratiquant l’auto-victimisation (justification de toute violence expansionniste) et, surtout, modelée dans l’idée de supériorité raciale, religieuse et culturelle qui donne à ses sujets des droits spéciaux sur les autres peuples qui doivent être contrôlés pour le bien d’un peuple d’exception au destin manifeste, pour qui tout mélange sera attribué au diable ou à la corruption évolutive, tout en célébrant le « melting pot », la liberté et la démocratie.

 

Les États-Unis sont le produit géant de cette contradiction traumatique, qu’ils conserveront toujours depuis leur fondation et que subiront « les autres », depuis les Indiens qui ont sauvé les premiers pèlerins de la faim et de ceux qui ont été exterminés pour étendre la liberté de l’homme blanc, jusqu’ aux démocraties les plus récentes détruites au nom de la liberté. Tout cela a conduit au fait que, comme aucun autre pays du monde moderne, les États-Unis n’ont jamais connu une période de cinq ans sans guerres depuis leur fondation. Tout cela à cause des autres, de ces autres qui nous envient et veulent nous attaquer, avec le résultat estimé à des millions de morts dus à cette tradition de guerres de « défense » perpétuelles sur le sol étranger.

 

* Extrait de l’introduction du livre « La frontera salvaje. 200 ans de fanatisme anglo-saxon en Amérique Latine », par Jorge Majfud, à paraître cette année.

 

- Jorge Majfud est Uruguayen, écrivain, architecte, docteur en philosophie pour l’Université de Géorgie et professeur de Littérature latinoaméricaine et de Pensée Hispanique dans la Jacksonville University, aux États-Unis d’Amérique. College of Arts and Sciences, Division of Humanities. Il est auteur des romans « La reina de América » (2001), « La ciudad de la Luna » (2009) et « Crise » (2012), entre d’autres livres de fiction et d’essai.

 

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

 

22 février 2021

http://www.elcorreo.eu.org/Le-recit-qui-fait-le-lien-d-un-empire?lang=fr

 

https://www.alainet.org/es/node/211069
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