Duvalier: Un an d’impunité et de mépris des victimes de la dictature

20/01/2012
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P-au-P, 19 janv. 2012 [AlterPresse] --- Révolte, frustration, indignation sont les sentiments qui prévalent au sein d’une partie de la population haïtienne, un an après le retour en Haïti de l’ex-dictateur Jean-Claude Duvalier, virtuellement poursuivi par la justice.
 
« Le bilan est clair : la justice est bafouée. Un an après, l’ordonnance tarde à sortir. Il n’y a pas d’avancées significatives. L’Etat haïtien nage dans l’impunité », opine Antonal Mortimé de la plateforme des organisations haïtiennes de défense des droits humains (Pohdh).
 
Duvalier, convoqué par le Parquet au lendemain de son retour en Haiti le 16 janvier 2011, est censé être sous enquête judiciaire, pour crimes contre l’humanité, vol, malversation et détournement de fonds. Il est assigné à résidence, alors que vingt-deux plaintes déposées contre lui sont instruites par la justice.
 
« On est extrêmement choqué par la manière dont l’État haïtien traite Jean-Claude Duvalier. Ce qui est très grave, le gouvernement envoie un signal très ambigu. Malgré toutes les plaintes déposées contre lui, il a un traitement de VIP dans le pays », s’indigne Danielle Magloire, coordonnatrice du Collectif contre l’Impunité.
 
Cette structure, mise en place le 18 janvier 2011, regroupe, pour le moment, le centre œcuménique de défense des droits humains (Cedh), le réseau national de défense des droits humains (Rnddh), KAY FANM, le mouvement des femmes haïtiennes pour l’education et le développement (Moufhed) et 22 plaignants contre Duvalier.
 
Dans une position publique, le « Rnddh s’insurge contre le traitement de faveur octroyé à l’ancien dictateur à vie Jean Claude Duvalier »
 
Les victimes agacées…tapis rouge pour le dictateur
 
« Au niveau des plus hautes autorités de l’État on tente de réhabiliter Duvalier. On lui accorde sa pension, on l’invite à des cérémonies officielles, il est escorté par la police nationale dans ses déplacements », d’après Antonal Mortimé, secrétaire exécutif de la Pohdh.
 
Dans son discours à l’Arcahaie, le 18 mai 2011, le président Michel Martelly a réaffirmé sa promesse électorale de faire de la lutte contre l’impunité et de l’établissement d’un État de droit ses priorités.
 
« Paradoxalement, il prend toujours le soin d’inviter l’ex-dictateur, un inculpé qui défie la Justice de son pays, à toutes les cérémonies officielles organisées par son gouvernement. Cet état de fait est le signal clair que l’équipe en place ne manifeste aucune velléité visant à combattre l’impunité en Haïti », s’indigne le Rnddh.
 
« L’Etat dépense l’argent des contribuables au profit de Duvalier. Il y a même des tentatives pour que Duvalier récupère ses soi-disant biens. Cette situation contraste avec l’Etat de droit que prône le président dans ses discours », déplore le secrétaire exécutif de la Pohdh.
 
Aux Gonaïves, le 16 décembre 2011, où Duvalier participait comme parrain de promotion d’une graduation d’étudiants en droit, il a sollicité une minute de recueillement en mémoire de 3 écoliers assassinés par son régime dans cette même ville en 1985.
 
La famille de Jean-Robert Cius, l’un des écoliers assassinés, a porté plainte contre l’ex-dictateur et fait partie du collectif contre l’impunité.
 
« Le président Martelly a agressé à plusieurs reprises les victimes du dictateur. Notamment en lui rendant visite et en l’invitant à la cérémonie de Saint-Christophe (commémoration du deuxième anniversaire du séisme du 12 janvier 2010). Duvalier a été réhabilité sur le sang de ses victimes. Titanyen (Saint-Christophe) a été un lieu d’exécution sous son régime », explique Mortimé.
 
La justice… ?
 
Le juge d’instruction Carvès Jean, en charge du dossier Duvalier, se voit obligé de convoquer, ce 20 janvier, l’ancien tyran, qui ignore les restrictions imposées par l’ordonnance insérée dans l’assignation.
 
« Je suis en train de rédiger l’ordonnance de clôture et par rapport à certains déplacements de monsieur Duvalier que je n’ai pas autorisés, je l’ai donc convoqué. Par exemple, je n’ai pas autorisé son déplacement à Saint-Christophe dans le cadre de la commémoration du 12 janvier », précise le juge d’instruction à AlterPresse.
 
L’ex-dictateur a été remarqué à cette occasion sur la tribune officielle aux côtés du général et ancien président Prosper Avril, non loin de Martelly et de l’ancien président américain, William Clinton, actuellement envoyé spécial de l’organisation des Nations Unies (Onu).
 
« L’assignation à résidence est une mesure alternative à la prison préventive prolongée. En enfreignant cette mesure, il (Duvalier) sait vers quoi il s’achemine », renchérit le magistrat.
 
« Pour sa participation à la graduation à l’école de droit des Gonaïves (Nord), il m’a appelé 24 heures à l’avance. Pour Jacmel dernièrement, son avocat m’avait demandé l’autorisation pour lui », ajoute le juge.
 
Cependant, à Jacmel (Sud-Est), le 16 janvier 2012, l’ex-dictateur s’est comporté en candidat en campagne. Il est allé jusqu’à promettre aux jacméliens de satisfaire leurs revendications.
 
Le 7 janvier 2012, Duvalier a participé à la cérémonie d’anniversaire du Rotary Club au Ritz Kinam II sans l’autorisation du juge d’instruction Carvès Jean. Malheureusement pour Duvalier, le juge était présent à la cérémonie.
 
Le juge précise que « s’il n’y a pas d’inconvénients, l’ordonnance sera prête d’ici la fin du mois de janvier ».
 
Cette ordonnance doit clôturer l’instruction sur le dossier de Duvalier. Ainsi, on saura si l’ex-dictateur va être jugé ou non.
 
Quant à la peur de quelconque persécution, le juge rassure : « je suis une autorité judiciaire et je n’ai pas à avoir de crainte ».
 
Confiance, scepticisme
 
« Je crois dans la moralité du juge pour ne pas céder aux pressions politiques, économiques des partisans de Duvalier » souligne, confiant, Antonal Mortimé de la Pohdh.
 
Pourtant, Danièle Magloire du Collectif déplore « qu’il n’y a jamais eu d’enquête approfondie sur le dossier par la justice haïtienne et qu’il n’y a jamais eu de convocation de tous les acolytes de Jean-Claude Duvalier ».
 
« Le président de la république fréquente le dictateur, va le voir, l’invite à des cérémonies officielles. Quel signal envoie-t-on donc à la justice ? » se questionne, perplexe, madame Magloire.
 
Plusieurs institutions internationales et régionales ont proposé leur appui technique à l’État haïtien dans le cadre d’un éventuel jugement de Duvalier. Le 13 octobre 2011, à Genève, le conseil des droits de l’homme avait recommandé le jugement du dictateur à l’État haïtien.
 
Entre-temps, pour Antonal Mortimé, il y a un important travail de mémoire à faire au niveau de la société afin de permettre aux citoyens de prendre conscience de l’ampleur de ce qui se passe aujourd’hui avec la présence, en toute impunité de Jean-Claude Duvalier dans le pays.
 
https://www.alainet.org/fr/active/52474
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