Les derniers jours du système financier international ? (II)
02/09/2011
- Opinión
La tempête qui balaie les marchés boursiers et met au grand jour les dangers de la dette américaine est inquiétante et annonce d'autres implosions. Les manipulateurs du marché obligataire de la haute finance, c'est-à-dire la minorité de 1% responsable de la crise financière et économique qui terrasse l'économie américaine et mondiale, ne restent pas assis, les bras croisés. La Corporate America a fait appel à l'État, qu'elle contrôle, pour imposer aux contribuables américains les sacrifices devant lui permettre de sortir sa tête de l'eau. D'où les plans de relance et autres politiques d'assouplissement monétaire (quantitative easing) engagés depuis le dernier trimestre de 2008 [1]. Elle a aussi déclenché une offensive tapageuse sur le plan politique avec la machine de propagande mensongère du Tea-Party et des media aux ordres pour endormir la population américaine. Enfin, depuis 2009, les dirigeants américains menacent de révéler le montant des comptes off-shore des dirigeants chinois s'ils ne se mettent pas une sourdine à leur critique de la politique monétaire des Etats-Unis et continuent d'acheter des bons du Trésor. Quelles sont les chances qu'un « tigre en papier », pour reprendre cette expression de Mao Zedong, puisse vraiment faire peur ?
Avec l'once d'or à plus de 1 800 dollars, la tendance est de se réfugier dans l'or et la tentation, de retourner au système de l'étalon or. Le modèle de l'économie fondée sur la dette a fait faillite. En France, sur la période 1981-2011, la dette publique est passée de 21 % à 82 % du PIB. Même tendance aux États-Unis, où la dette publique est passée de 32,5% à 102,6% du PIB sur la période 1981-2011 [2]. En France, la dette publique risque d'atteindre 112% du PIB avec la récente débâcle des obligations de l'Italie et de l'Espagne et la nécessité pour la BCE de racheter leurs bons, ce qui implique automatiquement un renflouement de cette dernière par la France et l'Allemagne. La ruée des investisseurs vers l'or s'explique du fait que ce placement offre un rendement de 15%, tandis que celui des bons du Trésor américain n'est que de 4%. Le dollar n'a plus la confiance qu'il inspirait comme monnaie de réserve internationale. Et il faut s'attendre à ce que l'inflation dans les secteurs des prix des produits alimentaires et de l'essence dépasse tous les pronostics, du fait de l'arrivée des fonds spéculatifs sur le marché des matières premières et du fait des risques y afférant, notamment de la transformation du marché des biens de consommation courante en un marché financier [3]. L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a indiqué que le prix d'achat moyen des produits alimentaires a grimpé de 32% entre juin et décembre 2010 [4]. Une situation qui a sans doute contribué à faire voler en éclats le régime du président Hosni Mubarak en Égypte après 18 jours de protestation, soit le 11 février 2011.
Comme un serpent qui se mord la queue
Cela fait déjà des décennies que les analystes les plus crédibles affirment que les États-Unis vivent au-dessus de leurs moyens. C'est une illusion de penser que le reste du monde peut et va assurer éternellement le financement de ces déficits. Ce pays s'est en quelque sorte amusé à acheter les biens du reste de la planète en actionnant la planche à billets. Avec 14 mille milliards de dollars de déficit budgétaire, 14 autres mille milliards de dollars de dettes on comprend aisément la décision prise par la FED en 2006 de suspendre la publication des statistiques de la masse monétaire au sens large M3, ce qui empêche de connaître le montant des dollars circulant à travers le monde. Dès lors, la planche à billets pouvait fonctionner à plein rendement sans risque d'éveiller de soupçons.
Depuis 1971, les États-Unis d'Amérique sont littéralement en faillite. La France du général Charles de Gaulle avait envoyé un croiseur de la marine française à New York en 1969 pour récupérer 300 millions de dollars en or déposés dans les chambres fortes de la Federal Reserve Bank de New York. La Suisse avait retiré 50 millions de dollars en or en juillet, et la France du général De Gaulle insistait pour avoir 191 millions de dollars en or en août 1971 [5]. En deux décennies, les États-Unis qui possédaient 67% du stock d'or mondial en 1948 ne se retrouvaient qu'avec 16% de ce même stock en 1970 [6]. Alors, le président Nixon décida de prendre le taureau par les cornes en mettant fin à l'étalon or dans le système financier international. Charles de Gaulle avait compris que le privilège d'émission de la monnaie de réserve internationale par excellence allait conduire les États-Unis à se comporter comme un serpent qui se mord la queue.
Les coûts militaires de l'empire engagé dans les guerres allant de celle du Vietnam à celle de l'Irak ont augmenté les déficits au bénéfice du complexe militaro-industriel. Des déficits qui deviennent des dettes. Les États-Unis manipulent leur monnaie tant au niveau de son prix intérieur (le taux d'intérêt) que de son prix extérieur (le taux de change). Ils le font pour des objectifs de sécurité nationale principalement en changeant les règles du jeu quand ils veulent et comme ils veulent. Jacques Rueff, le conseiller économique du président De Gaulle, avait prévu dès 1965 les métastases du cancer monétaire créé par le dollar et de leur impact négatif sur la finance mondiale. Dans l'épilogue de son ouvrage Le péché monétaire de l'Occident, Rueff a tiré la sonnette d'alarme en 1971, allant jusqu'à citer Lénine pour attirer l'attention sur les dangers que la cupidité faisait planer sur le capitalisme. En effet, le leader bolchévik disait que « pour détruire le régime bourgeois, il suffit de corrompre sa monnaie [7] ». On en est aujourd'hui avec une dette internationale de 60 mille milliards, mais avec une spéculation sur les marchés de produits dérivés qui atteignait 600 mille milliards en décembre 2010 [8]. Ce détournement de la productivité vers des objectifs secondaires n'a pu se produire qu'avec les possibilités offertes par les changes flottants et la création des marchés à terme d'instruments financiers.
Finir avec le temps des zombis
Les techniques financières utilisées par les spéculateurs pour pomper l'épargne des autres pays vers les États-Unis sont maintenant utilisées par la haute finance contre la population américaine. La Federal Reserve (FED), donc la banque centrale des États-Unis, ne se gêne nullement pour créer de l'argent à partir du simple papier afin de voler au secours des grandes firmes de la Corporate America engagées dans des massives pratiques de corruption pour lesquelles personne n'a été poursuivi et arrêté. Le relèvement du plafond de la dette américaine et l'abaissement de la note de cette dette par Standard & Poor's ont ouvert un moment particulier dans le système financier international. Londres brûle, la Grèce est en défaut sur sa dette souveraine, les investisseurs refusent d'acheter les bons italiens et espagnols, la notation AAA de la France est menacée. Warren Buffett, l'homme le plus riche de l'Amérique, a eu à dire : « la lutte de classes existe et les riches sont en train de la gagner [9] ». Le temps est venu pour les riches de lâcher du lest et pour permettre des réformes visant à diminuer les inégalités par une meilleure distribution des revenus. C'est du moins ce qu'enseigne le printemps arabe contre les régimes les plus corrompus de la planète soutenus par l'Occident. Au centre, comme à la périphérie, il importe de mettre fin au temps des zombies. Pour cela, il faut relancer l'économie. Il ne s'agit pas seulement de renflouer et de recapitaliser le système bancaire. Comme l'expliquent Reinhart and Rogoff, « le principal moteur de l'augmentation de la dette est l'inévitable chute des recettes fiscales subie par l'État à la suite d'une contraction profonde et durable de la production [10] ».
Le discours
La Chine a compris comment le pouvoir de la force et de la violence peut conduire à l'éclipse sinon au naufrage de la raison. Le comportement des agences de notation du crédit (rating agencies) l'a prouvé. En effet, Fitch, S&P et Moody's ont assuré la santé financière des grandes entreprises de la Corporate America en leur donnant la note AAA. Elles ont garanti des obligations de pacotille émises par les fonds de placement que les banques allemandes, entre autres, ont acheté les yeux fermés. En réalité, ces fonds spéculatifs, étaient engagées, de concert avec des sociétés de prêt hypothécaire, dans des pratiques de corruption sans précédent qui ont conduit non seulement à leur faillite, mais aussi à celle des États qui ont volé au secours des banques associées aux régulateurs et aux agences de notation. Aux États-Unis, ces fraudes ont été dénoncées par de nombreux chercheurs et organisations, dont le FBI, qui y ont vu d'ailleurs la main du crime organisé. De 2006 à 2010, selon le FBI, la moyenne annuelle de la fraude dans les prêts hypothécaires est estimée à plus de 17 milliards de dollars [11].
À partir de ses antécédents, la Chine a décidé de créer en 2010 sa propre agence de notation dénommée Dagong. Affichant immédiatement son indépendance par rapport au discours dominant de l'Occident, elle retire la note A+ aux États-Unis, mais aussi à nombre de pays européens, et la remplace par la note A avec menace de dégradation [12]. Discours en soi significatif au niveau des représentations eurocentriques du monde. Cette baisse de la notation américaine est due au fait que le programme de réduction des dépenses approuvées au Congrès américain n'est pas suffisant. C'est la goutte d'eau qui a fait déverser le vase. Dagong pense qu'il faudrait des réductions de dépenses de 4 mille milliards sur une période de 5 ans, tandis que le gouvernement américain n'a pu proposer de réduire les dépenses que de 2,2 mille milliards sur une période de 10 ans.
La mesure de dégradation du 6 août 2011 de la notation de la dette souveraine américaine par Standard & Poor's ne saurait être sous-estimée. Le déficit américain n'a cessé de préoccuper économistes et analyses financiers. Déjà « le 7 décembre 2004, pour la première fois, une Rating Agency [Agence de notation] évoquait l'éventualité d'un déclassement de la côte de crédit du gouvernement [²AA² à ²AAA²américain lui-même, de 13]. » Les gérants obligataires ne peuvent plus faire la sourde oreille. Dans le meilleur des cas, cela conduira à une diminution du poids des bons du Trésor américain constituant 60% du marché des 18 mille milliards de dollars de la dette souveraine. Ce serait une illusion de croire le mot de Margaret Thatcher qu'il n'y a pas d'alternative et que d'autres actifs ne peuvent être trouvés. À moins que les États-Unis décident d'utiliser l'arme militaire pour maintenir leur hégémonie financière fissurée. « En l'absence de notre puissance militaire, disait Bill Gross de la Pacific Investment Management Co. (PIMCO), patron de la plus grande firme de courtage américaine, une décote de la qualité de notre crédit serait une affaire allant de soi [14]. »
La Reichsbank et le Zimbabwe
Bill Gross, qui était le plus grand acheteur d'obligations américaines, a décidé de débarrasser et de vendre tous les bons du Trésor américains qu'il détenait [15]. Quand on sait que la FED achète, avec des dollars qu'elle fabrique elle-même, plus de bons du Trésor américain que la Chine, on en est en droit de se poser des questions. Le sort réservé aux institutions et aux pays qui font ce genre de transactions douteuses est connu. C'est la Reichsbank et le Zimbabwe. La crise au Japon et celle des monarchies pétrolières risquent de raréfier les acheteurs des bons du Trésor américain. La situation d'incertitude augmente bien qu'elle ne se soit pas matérialisée dans les bas taux de 2,09% observés lors de la vente du bon américain de 10 ans du mercredi 10 août 2011 par la FED [16]. De toute façon, l'heure de la fin du vivre à crédit éternellement, dans une sorte de cavalerie financière (schéma de Ponzi), a sonné. « Étrange situation, constate Jacques Attali, où les riches vivent aux crochets des pauvres, où des Chinois gagnant moins de 1,000 euros par mois consacrent la moitié de leurs revenus à financer les salaires de fonctionnaires, de militaires et de chercheurs américains gagnant plus du décuple de leur revenu ; où le système bancaire mondial finance la consommation des pays du Nord par l'épargne des pays du Sud en prélevant au passage de confortables commissions. [17] »
L'appât du gain et la spéculation pour le pouvoir semblent avoir vaincu, au détriment des travailleurs, tout ce qui restait d'éthique dans le monde. À un moment où le crime organisé paraît avoir conquis ses titres de noblesse dans les sphères de la haute finance, l'heure est aux réformes en profondeur et non aux opérations de maquillage ou de façade. Sinon, la dictature des marchés financiers prônant le profit le plus rapide possible conduit l'humanité à une destruction de valeur sans précédent dans son histoire. Les êtres humains peuvent faire mieux que les bêtes et cesser de se dévorer pour de l'argent, pour le pouvoir et pour le plaisir. Les marchés financiers doivent cesser d'être des gladiatures.
[1] Leslie Péan, « La fin du dollar au G20 de Seoul et la déconstruction de l'État-providence », AlterPresse, 10 novembre 2010
[2] Office of Management and Budget, Historical tables, Budget of the U.S. Government, Fiscal year 2012, US Government Printing office, Washington, 2010, p. 140.
[3] CNUCED, Price Formation in Financialized Commodity Markets : The Role of Information, Geneva, 2011.
[4] Benoit Daviron, Niama Nango Dembele, et al., Rapport sur la volatilité des prix, Comité de la sécurité alimentaire mondiale, FAO, Rome, Mai 2011, p. 5.
[5] David Frum, How we got here : the 70's, the decade that brought you modern life, New York, Basic Books, 2000, p. 298.
[6] Alfred E Jr. Eckes, A Search for Solvency, University of Texas Press, Austin and London, 1975, p. 238.
[7] Jacques Rueff, Le péché monétaire de l'Occident, Paris, Plon, 1971, p. 281.
[9] Ben Stein, « In Class Warfare, Guess Which Class Is Winning », New York Times , November 26, 2006.
[11] U. S. Department of Justice, Federal Bureau of Investigation, Financial Crimes Report to the Public, May 2005. Voir aussi le 2010 Mortgage Fraud Report Year in Review, August 2011, p. 6.
[12] Olivia Siegl, « Pour Dagong, l'agence de notation chinoise, les Etats-Unis ne méritent que A+ », Les Échos, Paris, 29 juillet 2011. Voir aussi Ambrose Evans-Pritchard, « Chinese rating agency strips Western nations of AAA status », The Telegraph, London, 12 July 2010.
[13] Paul Jorion, La crise du capitalisme américain, Broissieux, France, Editions du Croquant, 2009, p. 17.
Source: AlterPresse
https://www.alainet.org/fr/articulo/152391?language=en
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