Si les Etats-Unis entrent en défaut de paiement, l’Amérique Latine va les aider
- Opinión
Buenos Aires, le 5 septiembre 2011
Cher Barack Obama,
Cette lettre veut exprimer mon intention d’essayer de te donner un coup de main depuis l’Amérique Latine face à la crise économique, politique et des valeurs qui affecte les Etats-Unis, l’Europe, la Grèce et d’autres pays du mal nommé “premier monde”. J’ai toujours affirmé que nous faisons partie “d’un seul et même monde” dont les richesses sont mal distribuées; et maintenant, voici que la crise touche même “les intouchables”.
Comme Faust qui vend son âme au diable pour un amour, ce qui est grave aujourd’hui, c’est que certains pays ont vendu leur âme à la Bourse qui les a trahis et qui leur réclame, à présent, le paiement de leurs dettes, plus les intérêts; de même, le Marchand de Venise qui réclamait le paiement de sa dette avec une livre de chair du propre corps du débiteur.
Parlons clair Barack: l’Amérique Latine ne peut te faire aucun crédit, car elle a été vidée de tous ses fonds grâce à la gentillesse du FMI et de la Banque Mondiale et à leurs recettes. Le premier conseil que nous te donnons, c’est de ne plus accepter les crédits des organismes toxiques. En fait, ce que nous pouvons faire, c’est de te transmettre quelques-unes de nos expériences qui pourront t’aider.
Il faut apprendre à vivre avec la crise; pour nous, nous vivons avec elle presque, oui presque... comme avec une soeur aînée; parfois nous l’aimons bien et parfois nous la détestons; ce sont là des situations semblables à ce qui se passe dans une famille.
Il faut tout revoir et constater que “ton armoire aux idées est vide”; tu dois pourtant trouver de nouvelles idées et, d’abord, apprendre les mécanismes imposés par la dette extérieure, comme instrument de domination. Jusqu’à présent, vous étiez les maîtres pour cela.
Nous, les Latino-américains, nous connaissons bien les plaies bibliques représentées par “ce grand monstre froid, qui piétine très fort les gens innocents” comme le chante Léon.
Héraclite disait déjà: “On ne se baigne jamais deux fois dans les mêmes eaux bien qu’il s’agisse de la même rivière”. Tout change. Jusqu’à ton pays qui se croyait “le tout puissant maître du monde”. Aujourd’hui, il doit affronter la dette extérieure la plus grande du monde et cela laisse les Nord-américains avec la bouche ouverte et la bourse vide, tremblant d’une angoisse existentielle quand “Standard and Poor’s” baisse le pouce sur leur notation dans le meilleur style impérial.
Je voudrais te dire que les doigts de mes deux mains ne me suffisent pas pour compter la dette de ton pays en billions ou en trillions. Ce sont là des chiffres qui n’entrent pas dans ma tête; j’essaye pourtant de comprendre comment l’impossible est devenu possible.
C’en est trop pour mes neurones de constater aussi que le plus grand créditeur des Etats-Unis, c’est la Chine “capitalo-communiste” et, parmi les mystères de ce pays légendaire, c’est de savoir comment ils vont pouvoir faire pour récupérer leur dette extérieure auprès des Etats-Unis. De plus, la Chine contrôle aussi le marché des métaux utiles pour la haute technologie, ce qui rend les Etats-Unis encore plus dépendants d’elle. Tout cela me fait penser à un conte chinois.
Je me pose des questions: ¿Les Chinois devront-ils convoquer les dieux et les mages de toutes leurs dynasties, ainsi que le sage Confucius qui doit être perdu avec tout ce qui arrive dans son pays?... Allez savoir! Dans cette affaire, nous ne pouvons pas t’aider. Si! ce que nous pouvons faire, c’est de t’apprendre les règles du jeu de la dette extérieure:
1- Tu dois savoir que les règles de ce jeu sont imposées par ceux qui commandent et non par ton pays qui est devenu membre du club des débiteurs. “Bienvenue, mon frère, au club des Débiteurs”.
2- Dans ce jeu, les créditeurs utilisent des dés truqués qui donnent toujours le même résultat: “plus tu payes, plus tu dois et moins tu possèdes”. Jouer, c’est une façon de te faire croire que tu peux gagner.
3- Ne désespère pas, le jeu a parfois des surprises. Tu es condamné à perpétuité comme dans le mythe de Sysiphe, et jamais tu n’atteindras le sommet; encore et encore, tu dois porter le poids de la dette qui, à chaque pas, pèse de plus en plus.
Sors ton crayon, mon cher Barack, et note bien, mais ne désespère pas; écris tous les chiffres que tu veux et tu obtiendras toujours le même résultat.
Jusqu’à présent, tu as appliqué un dur progamme de réajustement fiscal dans les dépenses sociales, l’éducation, la santé et l’alimentation pour 2,5 billions de dollars et, en même temps, tu as augmenté les dépenses militaires, avec la complicité du Congrès, jusqu’à un endettement de 16,4 billions de dollars, chiffre supérieur de quelques deux billions au PIB de ton pays, selon les renseignements que donne le politologue latino-américain Atilio Boron dans un écrit intitulé: “Une escroquerie de 16 billions de dollars”. Je ne vais pas te donner d’autres chiffres que tu possèdes déjà.
Si tu continues dans cette folie en espérant résoudre le déficit, c’est comme si tu mettais la tête sur la guillotine et que tu te la coupes toi-même. Mon cher Barack, s’il te plaît, ne te suicide pas. Essaye de mettre en place des politique publiques en faveur de ton peuple pour éviter que le pays tout entier ne soit incendié, comme cela se passe en Europe et sous d’autres latitudes avec les indignés... très indignés.
Au lieu d’affronter la pauvreté, la faim et le chômage qui touchent plus de 50 millions de tes concitoyens, tu as donné des millions de dollars pour sauver les plus riches. Tu as distribué 659 millions de dollars pour sauver les institutions bancaires et les entreprises financières de ton pays. Cela fait mal Barack et cela peut tout pourrir.
De plus, ton gouvernement a décidé de continuer à augmenter les dépenses militaires et le nombre des bases militaires dans diverses parties du monde; tout cela pour promouvoir des guerres et des conflits contre les droits de ton peuple et contre ceux des autres peuples, victimes de ton pays. Cette situation t’amène à un point de non-retour, si tu crois qu’en soutenant le complexe militaro-industriel, tu vas résoudre la crise.
Tu ne dois pas oublier que celui qui sème la violence récolte davantage de violence. Ton pays subit le boomerang des recettes néo-libérales imposées à d’autres peuples. Il te reste encore une possibilité, celle de consulter les “sages” des Etats-Unis. Ils peuvent te faire des propositions pour “ton armoire à idées qui est vide” et t’aider ainsi à surmonter la crise.
Mais, parlons concrètement et essayons de chercher ensemble quelques solutions. Comme le problème est très complexe, nous devrons utiliser des chiffres globaux.
¿Combien coûte la guerre d’Irak aux Etats-Unis?
Ton prédécesseur, Georges W. Bush, plus menteur que Pinocchio, a dit que la guerre en Irak coûterait 50 milliards de dollars. En réalité, c’est chaque trois mois que les Etats-Unis dépense cette quantité d’argent en Irak, comme le dit le Prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz: “Si nous considérons cette somme dans son contexte, il résulte qu’avec la sixième partie du coût de la guerre d’Irak, les Etats-Unis pourraient se doter d’une base économique solide pour leur système de sécurité sociale durant plus d’un demi-siècle, sans réduire les prestations sociales ni augmenter les impôts”. Il est impossible d’être plus clair.
¿Combien coûte une bombe larguée par ton armée ou par tes alliés sur la Lybie, l’Irak ou l’Afghanistan?...
Un missile Trident D115 à longue portée peut transporter une tête nucléaire et son coût est de 30,9 millions de dollars. C’est l’entreprise Lockheed Martin qui a gagné ce contrat de fabrication pour un montant de 789,9 millions de dollars... ¿Combien coûte un char d’assaut et un avion de combat?...
Prends note de tout ceci Barack et additionne ces chiffres inimaginables pour promouvoir la mort et la destruction. Autre petite question: “¿Est-ce que ton peuple connaît ce que dépense ton gouvernement pour ces guerres qu’il mène dans différentes parties du monde; sait-il où vont ses impôts?”
Le AH-64 -Apache, utilisé par les Etats-Unis en Irak, est un hélicoptère d’attaque qui est aussi utilisé par les Britanniques, Israël, le Japon et d’autres pays; le coût du programme a été de 10,5 milliards de dollars. Le coût du décollage est de 18 millions de dollars et le coût d’achat de la version AH-64D était, en 2003, de 56 millions de dollars.
Mais, voici à présent le plat principal: selon TIME, en 2009, un simple avion de combat coûtait 94 millions de dollars, et le coût du B-2 SPIRIT, le puissant bombardier qui provoque la mort, est évalué à 2,4 milliards de dollars.
Sans parler des porte-avions dont les coûts dépassent l’imaginaire et l’incroyable, mais qui sont pourtant bien réels comme, par exemple, ceux du genre NIMITZ qui atteignent par unité les 4 milliards de dollars et qui nécessitent un équipement annuel de 150 millions de dollars. Ceci, sans compter les 80 avions qu’ils utilisent et qui peuvent augmenter le tout de 100 millions.
Je suis fatigué Barack, je suis épuisé devant tant de folie et d’irresponsabilité... j’ai besoin de respirer.
Cependant, il nous faut continuer. Voici d’autres mesures que tu pourrais prendre pour réduire le déficit de ton pays, mesures que tu avais d’ailleurs promises et que tu n’a pas faites: celles, par exemple, de fermer les prisons d’Abou-Graïb en Irak et celle de Guantanamo; mais aussi, celles de lever le blocus de Cuba et de libérer les cinq Cubains que tu gardes prisonniers depuis plus de 10 ans. Tout ceci permettrait à ton pays d’économiser des millions de dollars. Dis-moi Barack: ¿Combien coûte à ton pays les salaires de ceux qui torturent, assassinent et emprisonnent, eux qui ont été formés dans “l’Ecole des Amériques”?. Bien que vous ayez changé le nom de cette école, on continue avec les mêmes méthodes.
Mais le problème qui affecte surtout ton pays, c’est la Peur, peur des autres et peur de soi-même. Vous continuez à vous agripper à “des bouées de sauvetage en plomb” et d’inventer de nouveaux systèmes de sécurité qui rendent la vie de moins en moins sûre et de plus en plus angoissante. Le budget militaire de ton pays pour 2011 dépasse les 700 milliards de dollars.
Les guerres, le pétrole, les minéraux, l’eau, le pouvoir politique et économique coûtent des milliers de vie humaines et provoquent la faim et la violence. Mais pour ceux qui commandent, les affaires sont les affaires, et l’humanité est seulement une abstraction.
Aujourd’hui en Lybie, c’est la guerre pour le pétrole. ¿Demain, est-ce que ce sera la guerre pour l’eau, pour les ressources ou les biens naturels?... Allez savoir! Ce que nous savons vraiment, c’est que tu hypothèques le présent et que tu détruis le futur de ton peuple et de tous les autres peuples du monde.
Nous ne pouvons pas continuer ainsi à nous lamenter sur la situation actuelle, nous devons aussi construire dans l’espérance. Pour cela, je te propose ce qui suit:
Donne la valeur d’un de tes avions de combat et, comme le disait déjà Raoul Follereau, tu verras combien d’hôpitaux, d’écoles et d’emplois dignes on pourra construire pour les peuples.
Avec le prix d’une seule des bombes que ton armée largue sur l’Irak, l’Afghanistan ou la Lybie, on pourrait construire des centres de santé et donner à manger et éduquer des millions d’enfants, qui te remercieraient avec un beau sourire, signe d’une nouvelle espérance de vie.
Avec tous ces millions investis pour la mort, ton pays pourrait faire tant de choses pour la vie de ton peuple et de toute l’humanité... Tu pourrais très largement payer la dette externe et la dette interne.
Mon salut de Paix et de Bien,
Adolfo Pérez Esquivel
Facebook: /prensaperezesquivel
Twitter: /@prensapesquivel
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