Les responsables politiques européens prisonniers de leur propre création
30/08/2012
- Opinión
Observer l’attitude des gouvernants de l’Union Européenne (UE) au milieu de cette crise qui s’établit et détruit les conquêtes sociales qui ont défini nombre de sociétés européennes depuis la fin de la deuxième Guerre mondiale, c’est comme voir un film interminable de Laurel & Hardy, avec les maladresses prévisibles qui se répètent dans n’importe quel contexte, montrant qu’il n’y a pas de changements possibles dans le scénario que les hommes politiques, qui gouvernent le monde de l’actuel capitalisme « développé », sont appelés à interpréter.
Cette semaine Holger Stelzner, responsable de la section économique du quotidien allemand Frankfurter Allgemein, a mis le doigt là où cela fait mal, en écrivant que frustrés par l’échec de leurs politiques pour la crise de l’euro-zone (ZE), les responsables européens se cachent maintenant derrière la BCE (Banque Centrale Européenne). Et quand à son tour la BCE échouera, ces mêmes responsables politiques devront reconnaître leur responsabilité pour avoir « accepté une politique pour gagner du temps, mais sans changer certaines structures sous-jacentes » de l’UE.
Les minutieusement planifiés « marchés autorégulés »
Le néolibéralisme, soit le vieil oxymore des marchés autorégulés qui renaît dans les phases de domination du capital financier, est en réalité un système qui requiert une planification et une exécution minutieuse, qui a été dessinée et construite pour occuper tous les pores des sociétés, pour devenir universel.
La construction des décennies durant de cette utopie néolibérale, qui se justifiait soit disant dans le développement de la production et du commerce jusque dans le dernier recoin du globe, a requis la création d’un système légal et de mécanismes et d’institutions de portée mondiale, comme l’Organisation Mondiale du Commerce, de Traités et de conventions qui doivent nécessairement se refléter dans les constitutions et les législations nationales. Rien n’a été laissé au hasard, rien n’est modifiable, à moins que ce ne soit pour approfondir et rendre le système plus omniprésent.
C’est ainsi qu’en droit international, ont été introduites et garanties, les conquêtes obtenues sous la pression de la voie bilatérale ou multilatérale à travers des accords de libre-échange, de protection des investissements et de la propriété sous toutes ses formes, promus par les Etats-Unis, l’Union Européenne, le Japon, le Canada et les institutions qui sont sous leur contrôle, comme le FMI, la Banque mondiale, notamment.
Pour s’intégrer à ce système global, les États nationaux devaient céder leurs pleins pouvoirs et leviers d’intervention dans leurs économies, telle que la définition des politiques monétaires et fiscales pour protéger l’emploi, et créer des banques centrales « indépendantes » (des gouvernements et subordonnées aux marchés financiers) qui suivaient fidèlement les politiques anti-inflationnistes et garantissaient le flottement et la libre convertibilité des monnaies.
La libéralisation du commerce et des investissements sera encadrée dans un système légal et institutionnel international qui doit intégrer tous les pays, et que tous les pays devront respecter sous peine de s’isoler du reste de monde, me disait dans les années 90 - dans des entretiens pour Notimex [1]- le ministre canadien du Commerce international Pierre Pettigrew [2]
L’incompatibilité du néolibéralisme avec la démocratie.
Dans le néolibéralisme, il n’y a aucune place pour le rôle vecteur de l’État tel que et comme il s’est appliqué à partir du New Deal de F. D. Roosevelt, pour la défense des intérêts publics, du bien commun. Ni non plus pour le système démocratique.
Comme le dit bien Boaventura de Sousa Santos dans sa « Huitième lettre aux gauches : « Les dernières tranchées Humaines » » (El Correo du 30 août 2012), après s’être référé au « capitalisme extractif » qui le cœur du néolibéralisme dominant, « quand la démocratie conclura qu’elle n’est pas compatible avec ce type de capitalisme et qu’on décidera de lui résister, peut-être sera-t il trop tard. Il est possible que, entre-temps, le capitalisme ait conclu que la démocratie ne soit pas compatible avec lui ».
La démocratie dans le système capitaliste n’est pas un fait fortuit, cette démocratie qui va au-delà du vote électoral et qui se matérialise dans certaines des aspirations des majorités, comme une plus juste redistribution de la richesse sociale à travers des contributions fiscales progressives, avec les riches payant en relation avec leurs revenus ; avec la création d’emploi en utilisant les leviers dans les mains de l’État ; dans le fait de faciliter la syndicalisation pour garantir le progrès des salaires et l’amélioration des conditions de travail ; dans les programmes sociaux qui permettent l’accès à l’éducation, la santé et une retraite décente, que cette démocratie a uniquement existé durant l’ existence également brève de l’« État-providence », qui a commencé à être démonté par Margaret Thatcher et Ronald Reagan à partir des années 80 du XX ème siècle, et qui commence à être déjà un souvenir lointain dans beaucoup de pays.
Si la réalité ne concorde pas avec la théorie, c’est pire pour la réalité.
Le journaliste et écrivain David Rieff -dans une analyse sur que ce qui se passe quand l’accrochage à une idéologie empêche de changer l‘orientation d’une politique bien que celle-ci se révèle inefficace et terrible pour le cours de l’histoire, comme celle appliquée par les Etats-Unis et les ex-puissances coloniales européennes au Moyen-Orient- rappelle qu’une fois le grand physicien Max Planck a critiqué son collègue James Jeans pour ne pas vouloir abandonner sa théorie même s’il avait en face de lui les faits qui auraient du l’ obliger à le faire. Jeans, écrivait Planck à un collègue commun, « est le modèle de ce que ne doit pas être un théoricien, de la même manière qu’Hegel le fut dans la philosophie : tant pis pour les faits s’ils ne concordent pas » avec la théorie. (« History Resumes : Sectarianism’s Unlearned Lessons », World Affairs Journal)
Qu’arrive t-il quand la réalité ne coïncide pas avec la théorie néolibérale ? Eh bien, il faut continuer à appliquer la théorie. Dans le cas de l’UE, avec son système monétaire et fiscal rigide qui ignore les asymétries économiques évidentes, comme celles qui existent entre l’Allemagne et la Grèce, l’Espagne, le Portugal et l’Italie (sans parler des pays qui vont de la Mer Baltique jusqu’aux Balkans), ignorer la réalité dans une situation de crise de la dette publique implique, comme c’est le cas, d’imposer à travers la fameuse Troika (Commission Européenne, BCE, FMI) une énorme pression déflationniste grâce à de sévères programmes d’austérité, ou bien en taillant la dépense étatique, en jetant à la rue encore plus de travailleurs, en baissant encore plus les salaires et les retraites, en réduisant ou en éliminant les programmes d’éducation et de santé, en vendant au secteur privé étranger (ou aux riches nationaux qui ont déplacé leurs fortunes vers les banques allemandes) ce qui reste encore des entreprises et des biens publics.
Une preuve de ce que le système n’admet pas de changements ? Eh bien, avec la récente élection du socialiste du François Hollande à la présidence de la France, l’illusion fut créée, parce qu’Hollande avait promis qu’on en avait fini avec le « merkozysme », cette collaboration étroite entre l’ex-Président français Nicolas Sarkozy et la Chancelière allemande Angela Merkel pour élaborer « à deux » la position de l’UE face à la crise de la dette publique en Grèce et dans d’autres pays de la Zone Euro.
Mais le 23 août dernier, en se réunissant à Berlin, la Chancelière Merkel et le Président Hollande ont envoyé « un message ferme à la Grèce », rappelant au gouvernement d’Athènes que s’il veut continuer à appartenir à la Zone euro, il doit poursuivre « les efforts indispensables » (Reuters), c’est à dire appliquer à fond les programmes d’austérité que la Troika exige. Et le 27 août, Paris et Berlin ont décidé de la création de « groupes intergouvernementaux de travail » pour formuler des propositions sur « l’union bancaire », le « renforcement de la coordination fiscale » et la « croissance économique » dans l’UE, et pour coordonner la « position franco-allemande face à la Grèce », comme l’ont annoncé Pierre Moscovici, ministre français de l’Économie, et le ministre des Finances de l’Allemagne, Wolfgang Schauble (Reuter et AFP, le 27 août).
De même avec la promesse d’Hollande qu’il renégocierait la dernière grande œuvre du « merkozysme », le « pacte fiscal » (le Traité européen sur la stabilité, la coopération et la gouvernance) qui réduit à 0.5 % le déficit structurel annuel (jusqu’à présent, il était de 3%) et qui, pour empêcher les transgressions, met le dernier mot entre les mains des bureaucrates de l’UE quant à l’approbation des budgets de l’État qui peuvent être approuvés par les Parlements.
En septembre, le Président Hollande soumettra au vote de l’Assemblée Nationale le texte pour exécuter le pacte fiscal, en faisant la sourde oreille à 72 % des français qui veulent qu’il soit soumis à un referendum populaire, selon un sondage CSA.
C’est dans ce contexte qu’un autre sondage, d’Ipsos, révèle que le niveau d’approbation de la politique de Hollande est passé de 55% en juillet à 44 % à la fin août. Et cette descente peut s’accélérer avec la présentation en septembre du budget pour 2013 qui va intégrer des baisses dans les revenus fiscaux à cause de la stagnation de la croissance de l’économie et procèdera à des coupes pour réduire le déficit.
Peu importe que l’économie française stagne (les trois derniers trimestres ont enregistré une croissance zéro) et soit menacée de récession, et que les licenciements soient massifs. La réalité n’a pas d’importance, comme semble le dire Nicholas Spiro, de l’Agence Spiro Sovereign Strategy à Londres : « le problème (de Hollande) est qu’il s’est lui-même enfermé politiquement » après avoir promis une politique de croissance. Maintenant, selon Spiro, « c’est la pression du marché (les patrons des grandes entreprises et de la finance), l’unique force qui l’obligera à réaliser des réformes substantielles » c’est-à-dire exécuter des plans drastiques d’austérité (« Hollande Loses Bond Market Love as Growth Stalls : Euro Credit », Bloomberg News, le 28 août).
Ce qui ne plie pas, rompt
Tel qu’il fut conçu et appliqué, le système néolibéral en vigueur dans l’UE ne permet pas de changements.
La preuve en est la discussion byzantine et interminable sur ce que la BCE peut ou ne peut pas faire pour alléger la situation des pays endettés qui -pour pouvoir placer les obligations destinées à payer le service de la dette ou les dettes qui arrivent à terme- doivent payer des taux d’intérêt insoutenables. Mais cela, comme le signale Stelzner, n’est plus qu’ « une politique gagne-temps » dont les gouvernants de l’UE usent et abusent, jusqu’à que « à son tour la BCE échoue ».
Dans un entretien avec Paul Jay, dans The Real News Network, le professeur grecque Costas Lapavitsas de l’Université de Londres fait une analyse détaillée de la politique de l’Allemagne et de la France, qu’il définit comme destinée à harceler la Grèce pour qu’elle accepte toutes les mesures d’austérité qu’on lui impose, et si de quelque façon que ce soit les grecs finissaient par se rebeller et se retirer de la ZE, le calcul à Berlin et à Paris est qu’une telle situation probablement sera alors contrôlable.
Les politiques d’austérité appliquées et tout ce qui s’est passé au cours des deux dernières années, dit Lapavitsas, ont affaibli la position de la Grèce et ont consolidé celles de l’Allemagne et de la France, et cela peut mener à une « erreur de calcul » : « Dans la nuit où on a permis la faillite de la Lehman (Brothers) en 2008, cette décision a semblé cohérente à quelques personnes. Mais la cohérence s’est volatilisée le matin suivant. Il est évident que la France et l’Allemagne, particulièrement l’Allemagne, ont fait plusieurs calculs et pensent qu’elles peuvent probablement contrôler une telle situation. Elles pensent probablement qu’elles peuvent assimiler le choc (de la sortie de la Grèce de la ZE). Mais il y a de bonnes raisons pour penser que cela aura des implications très sérieuses, qui n’ont pas été prévues et qui sont imprévisibles ».
Avec une situation s’aggravant si rapidement en Espagne, au Portugal, en Italie et dans d’autres pays, et devant l’incapacité des gouvernants de l’UE à répondre convenablement à la réalité, c’est à dire en abandonnant le modèle rigide actuel, il ne faut pas être prophète pour envisager un effondrement.
(La Vèrdiere, France)
- Alberto Rabilotta est journaliste argentin.
Notes
[2] Pierre Pettigrew a successivement occupé, à partir du milieu des années 90 et presque pendant une décennie dans les gouvernements libéraux des Premiers ministres canadiens Jean Chrétien et Paul Martin, les portefeuilles de ministre du Commerce International, de la Santé, des Questions Intergouvernementales et des Relations Extérieures.
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