Une alimentation « accro » au pétrole
20/05/2014
- Opinión
Même si nous ne nous en rendons pas compte, nous mangeons du pétrole. Le mode actuel de production, de distribution et de consommation d’aliments est « accro » à l’ « or noir ». Sans pétrole, nous ne pourrions pas manger comme nous le faisons. Néanmoins, dans un contexte où il sera de plus en plus difficile d’exploiter un pétrole de plus en plus cher, comment ferons-nous pour nous alimenter ?
L’agriculture industrielle nous a rendus dépendants du pétrole. Des semailles à la récolte et de la commercialisation jusqu’à la consommation elle-même, nous avons besoin de lui. La « révolution verte », les politiques qui nous disaient que la modernisation de l’agriculture allait mettre un terme à la faim, et qui fut imposée entre les années 1940 et 1970, nous a transformés en « junkies » de ce combustible fossile, en partie grâce à son prix relativement bon marché. La mécanisation des systèmes agricoles et l’utilisation intensive de fertilisants et de pesticides chimiques en sont les meilleurs exemples. Ces politiques ont signifié la privatisation de l’agriculture, en nous laissant, paysans et consommateurs, aux mains d’une poignée d’entreprises de l’agro-business.
En dépit des promesses de la révolution verte sur l’augmentation de la production de nourriture et, qu’en conséquence, elle mettrait fin à la famine, la réalité fut tout autre. D’une part, la production par hectare a bel et bien progressé. Selon les chiffres de la FAO, entre les années 1970 et 1990 le total des aliments par capita au niveau mondial a augmenté de 11%. Cependant, comme le souligne Jorge Riechmann dans son ouvrage « Cuidar la (T)tierra » (Soigner la Terre), cela n’a pas entraîné une diminution réelle de la faim, vu que le nombre de personnes souffrant de sous alimentation sur la planète a également augmenté de 11% au cours de cette même période - et cela sans même compter la Chine dont la politique agricole était régie par d’autres paramètres -, passant de 536 millions à 597.
La révolution verte a eu par contre des conséquences très négatives pour la petite et moyenne paysannerie et pour la sécurité alimentaire à long terme. Elle a concrètement augmenté la puissance des entreprises agro-industrielles sur toute la chaîne productive ; provoqué la perte de 90% de l’agro et biodiversité ; réduit massivement les nappes phréatiques ; augmenté la salinisation et l’érosion des sols ; déplacé des millions d’agriculteurs des campagnes vers la misère des villes ; démantelé les systèmes agricoles traditionnels et nous a rendus dépendants du pétrole.
Une agriculture « junkie »
L’introduction de mécanisation agricole à grande échelle fut l’un des premiers pas. En 1850 aux Etats-Unis, par exemple, comme l’évoque le rapport « Food, Energy and Society », la traction animale était la principale source d’énergie à la campagne, représentant 53% du total, suivie par la force humaine, avec 13%. Cent ans plus tard, en 1950, toutes deux ne représentaient qu’à peine 1% à la suite de l’introduction de machines à combustible fossile. La dépendance des machines agricoles (tracteurs, moissonneuses-batteuses, camions…), plus nécessaire encore dans les grandes exploitations et les monocultures, est énorme. C’est donc dès la production que l’agriculture est « accro » au pétrole.
Le système agricole actuel, avec les cultures d’aliments dans d’immenses serres indépendamment de la saison et du climat, a besoin des produits dérivés du pétrole et signifie une consommation d’énergie élevée. Des tuyaux aux emballages rembourrés, des bâches jusqu’aux toits, tout est en plastique. Selon les chiffres du Ministère de l’Agriculture et de l’Environnement, l’Etat espagnol est en première place de la culture sous plastique dans l’Europe méditerranéenne avec 66.000 hectares cultivés, la majeure partie en Andalousie et, en particulier, à Almeria, suivie de plus loin par la Murcie et les Canaries. Et que faire avec une telle quantité de plastique dès que sa vie utile est terminée ?
L’utilisation intensive de fertilisants et de pesticides chimiques est une illustration de plus de l’addiction du modèle alimentaire actuel au pétrole. Selon le rapport « Eating Oil : food suply in a changing climate », la commercialisation de fertilisants et de pesticides a augmenté de 18% à 160% entre les années 1980 et 1998. Le système agricole dominant a besoin de fortes doses de fertilisants élaborés à base de pétrole et de gaz naturel, comme l’ammoniac, l’urée, etc. qui remplacent les nutriments du sol. Des multinationales pétrolières, comme Repsol, Exxon Mobile, Shell, Petrobras, investissent dans la production et la commercialisation de fertilisants agricoles.
Les pesticides chimiques de synthèse sont une autre source importante de dépendance à ce combustible fossile. La révolution verte, comme nous l’avons évoqué, a généralisé l’utilisation de pesticides et, en conséquence, le besoin de pétrole pour les élaborer. Et tout cela sans parler de l’impact écologique de l’utilisation de ces agents agro-toxiques, la contamination et l’épuisement des sols et des eaux, ainsi que l’impact sur la santé des paysans et des consommateurs.
Aliments voyageurs
On observe également la dépendance vis-à-vis du pétrole dans les longs trajets que réalisent les aliments de leur lieu de culture jusqu’à leur consommation. Selon un rapport des Amis de la Terre, on estime que la nourriture voyage en moyenne quelques 5.000 Km du champ à l’assiette, avec la consommation consécutive d’hydrocarbures et son impact environnemental. Ces « aliments voyageurs », selon le rapport cité, génèrent presque 5 millions de tonnes de CO2 par an, contribuant ainsi à l’aggravation du changement climatique.
Dans course au profit maximal, la mondialisation alimentaire délocalise la production d’aliments, comme elle l’a fait dans d’autres domaines de l’économie productive. Elle produit à grande échelle dans les pays du Sud, en profitant de conditions de travail précaires et d’une législation environnementale inexistante, pour revendre ensuite ses marchandises dans nos pays à un prix compétitif. A l’inverse, elle produit au Nord grâce aux subventions agricoles bénéficiant aux grandes entreprises, pour ensuite commercialiser ces marchandises subventionnées à l’autre bout de la planète, en vendant en dessous du prix de revient et en faisant une concurrence déloyale aux productions autochtones. C’est ici que réside l’explication des aliments kilométriques : le profit maximal pour quelques uns d’une part, et la précarité, la pauvreté et la contamination environnementale maximum pour la majorité de l’autre.
En 2007, on a importé dans l’Etat espagnol plus de 29 millions de tonnes d’aliments, soit 50% de plus qu’en 1995. Les trois quart de ces importations étaient constituées de céréales, de dérivés de céréales et d’aliments pour l’élevage industriel de bétail provenant majoritairement d’Europe et d’Amérique centrale et du sud, comme l’indique le rapport « Alimentos kilométricos ». Même des aliments typique du pays, comme les pois chiches et le vin, parcourent jusqu’à nous plusieurs milliers de Km de distance avant d’être consommés. 87% des pois chiches que nous mangeons proviennent du Mexique, tandis qu’en Espagne leur culture a connue une chute libre. Quel est l’intérêt de ce genre de chassé-croisé international d’aliments d’un point de vue social et écologique ? Aucun.
Un plat dominical typique en Grande-Bretagne est fait à base de pommes de terre d’Italie, de carottes d’Afrique du Sud, d’haricots de Thaïlande, de veau d’Australie, de brocolis du Guatemala et de fraises de Californie et d’airelles de Nouvelle Zélande comme dessert génère, selon le rapport « Eating Oil : food suply in a changing climate », 650 fois plus de gaz à effet de serre à cause du transport de ces ingrédients que s’ils avaient été cultivés et achetés localement. Le chiffre total de Km que l’ensemble de ces « aliments voyageurs » cumulent du champ à l’assiette est de 81.000, soit l’équivalent de deux tours du monde. Il s’agit là d’une chose irrationnelle si on tient compte du fait que bon nombre de ces produits sont cultivés dans le pays. La Grande-Bretagne importe de grandes quantités de lait, de porcs, d’agneaux et d’autres aliments de base en dépité du fait qu’elle exporte des quantités similaires de ceux-ci. Et c’est la même chose chez nous.
Manger du plastique
Et que se passe-t-il lorsque les aliments arrivent au supermarché ? Du pastique et encore plus de pastique, avec des dérivés du pétrole. On trouve ainsi un emballage primaire, qui contient l’aliment, avec un emballage secondaire qui permet une exhibition attractive sur l’étalage et, finalement, des sacs en plastique pour emporter les achats à la maison. En Catalogne, par exemple, sur les 4 millions de tonnes de déchets annuels, 25% correspondent à des emballages en plastique. Une étude commandée par l’Agència Catalana del Consum concluait que l’achat dans des magasins de proximité réduisait de 69% les déchets par rapport à un supermarché ou à une grande surface.
Une anecdote personnelle illustre bien cette tendance. Quand j’étais petite, à la maison on achetait l’eau embouteillée dans de grandes carafes de verre de huit litres. Aujourd’hui, presque toute l’eau est commercialisée dans des bouteilles en plastique. Et il est même devenu habituel de l’acheter en « packs » de six bouteilles d’un litre et demi. Comme l’indique la Fondation Terre, il ne faut donc pas s’étonner que sur les 260 millions de tonnes de déchets en plastique dans le monde, la majeure partie est constituée de bouteilles d’eau ou de lait. Selon cette même source, l’Etat espagnol est le principal producteur de sacs en plastique pour un seul usage en Europe et le troisième pays consommateur. On estime que la vie utile d’un sac en pastique est de 12 minutes en moyenne, mais qu’il faut 400 années pour qu’il se décompose. Tirez-en les conclusions.
Nous visons sur une planète de plastique, comme l’illustrait brillamment l’autrichien Werner Boote dans son film « Plastic Planet » (2009), où il affirmait : « La quantité de plastique nous avons produits depuis le début de l’âge du plastique est suffisante pour emballer jusqu’à six fois la planète avec des sacs ». Et quel est l’impact sur la santé de leur omniprésence dans notre vie quotidienne ? Un témoignage dans ce film disait : « Nous mangeons et nous buvons du plastique ». Et, comme le dénonce le documentaire, nous en paierons tôt ou tard la facture.
La grande distribution n’a pas seulement généralisé la consommation d’énormes quantités de plastique, elle a également contribué au développement de l’automobile pour aller faire les courses. La prolifération des hypermarchés, des grands magasins et des centres commerciaux à l’extérieur des villes a favorisé l’utilisation de la voiture privée pour se déplacer jusqu’à ces établissements. Comme l’indique le rapport « Eating oil: food suply in a changing climate », si on prend comme exemple la Grande Bretagne, entre les années 1985-1986 et 1996-1998, le nombre de voyages par semaine et par personne en voiture pour faire les courses est passé de 1,7 à 2,4. La distance parcourue totale a également augmenté, passant de 14 Km par personne et par semaine à 22 Km, soit une augmentation de 57%. Plus de Km, c’est plus de pétrole et plus de CO2 au détriment, en outre, du commerce de proximité. Si, en 1998, il existait dans l’Etat espagnol plus de 95.000 magasins, en 2004 ce chiffre s’était réduit à 25.000.
Que faire ?
Selon l’Agence Internationale de l’Energie, la production de pétrole conventionnel a atteint son sommet en 2006. Dans un monde où le pétrole se raréfie, comment et qu’allons nous manger ? En premier lieu, il est nécessaire de prendre en compte le fait que plus d’agriculture industrielle, intensive, kilométrique et globalisée signifie plus de dépendance au pétrole. Par contre, un système paysan, agro-écologique, de proximité, de saison, est moins « accro » aux combustibles fossiles. La conclusion, je pense, est claire.
Il est urgent d’opter pour un modèle d’agriculture et d’alimentation antagoniste avec le modèle dominant, qui place au centre les besoins de la majorité et de l’écosystème. Il ne s’agit pas d’un retour romantique au passé, mais bien de l’impérieuse nécessité de soigner la terre et de garantir de la nourriture pour tout le monde. Ou bien nous faisons le choix du changement, ou bien, quand il n’y aura pas d’autre possibilité que de changer, d’autres, comme à maintes reprises, vont faire du profit avec notre misère. Ne laissons pas l’histoire se répéter.
*Article publié dans « Público.es », 04/05/2014. Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera.
L’agriculture industrielle nous a rendus dépendants du pétrole. Des semailles à la récolte et de la commercialisation jusqu’à la consommation elle-même, nous avons besoin de lui. La « révolution verte », les politiques qui nous disaient que la modernisation de l’agriculture allait mettre un terme à la faim, et qui fut imposée entre les années 1940 et 1970, nous a transformés en « junkies » de ce combustible fossile, en partie grâce à son prix relativement bon marché. La mécanisation des systèmes agricoles et l’utilisation intensive de fertilisants et de pesticides chimiques en sont les meilleurs exemples. Ces politiques ont signifié la privatisation de l’agriculture, en nous laissant, paysans et consommateurs, aux mains d’une poignée d’entreprises de l’agro-business.
En dépit des promesses de la révolution verte sur l’augmentation de la production de nourriture et, qu’en conséquence, elle mettrait fin à la famine, la réalité fut tout autre. D’une part, la production par hectare a bel et bien progressé. Selon les chiffres de la FAO, entre les années 1970 et 1990 le total des aliments par capita au niveau mondial a augmenté de 11%. Cependant, comme le souligne Jorge Riechmann dans son ouvrage « Cuidar la (T)tierra » (Soigner la Terre), cela n’a pas entraîné une diminution réelle de la faim, vu que le nombre de personnes souffrant de sous alimentation sur la planète a également augmenté de 11% au cours de cette même période - et cela sans même compter la Chine dont la politique agricole était régie par d’autres paramètres -, passant de 536 millions à 597.
La révolution verte a eu par contre des conséquences très négatives pour la petite et moyenne paysannerie et pour la sécurité alimentaire à long terme. Elle a concrètement augmenté la puissance des entreprises agro-industrielles sur toute la chaîne productive ; provoqué la perte de 90% de l’agro et biodiversité ; réduit massivement les nappes phréatiques ; augmenté la salinisation et l’érosion des sols ; déplacé des millions d’agriculteurs des campagnes vers la misère des villes ; démantelé les systèmes agricoles traditionnels et nous a rendus dépendants du pétrole.
Une agriculture « junkie »
L’introduction de mécanisation agricole à grande échelle fut l’un des premiers pas. En 1850 aux Etats-Unis, par exemple, comme l’évoque le rapport « Food, Energy and Society », la traction animale était la principale source d’énergie à la campagne, représentant 53% du total, suivie par la force humaine, avec 13%. Cent ans plus tard, en 1950, toutes deux ne représentaient qu’à peine 1% à la suite de l’introduction de machines à combustible fossile. La dépendance des machines agricoles (tracteurs, moissonneuses-batteuses, camions…), plus nécessaire encore dans les grandes exploitations et les monocultures, est énorme. C’est donc dès la production que l’agriculture est « accro » au pétrole.
Le système agricole actuel, avec les cultures d’aliments dans d’immenses serres indépendamment de la saison et du climat, a besoin des produits dérivés du pétrole et signifie une consommation d’énergie élevée. Des tuyaux aux emballages rembourrés, des bâches jusqu’aux toits, tout est en plastique. Selon les chiffres du Ministère de l’Agriculture et de l’Environnement, l’Etat espagnol est en première place de la culture sous plastique dans l’Europe méditerranéenne avec 66.000 hectares cultivés, la majeure partie en Andalousie et, en particulier, à Almeria, suivie de plus loin par la Murcie et les Canaries. Et que faire avec une telle quantité de plastique dès que sa vie utile est terminée ?
L’utilisation intensive de fertilisants et de pesticides chimiques est une illustration de plus de l’addiction du modèle alimentaire actuel au pétrole. Selon le rapport « Eating Oil : food suply in a changing climate », la commercialisation de fertilisants et de pesticides a augmenté de 18% à 160% entre les années 1980 et 1998. Le système agricole dominant a besoin de fortes doses de fertilisants élaborés à base de pétrole et de gaz naturel, comme l’ammoniac, l’urée, etc. qui remplacent les nutriments du sol. Des multinationales pétrolières, comme Repsol, Exxon Mobile, Shell, Petrobras, investissent dans la production et la commercialisation de fertilisants agricoles.
Les pesticides chimiques de synthèse sont une autre source importante de dépendance à ce combustible fossile. La révolution verte, comme nous l’avons évoqué, a généralisé l’utilisation de pesticides et, en conséquence, le besoin de pétrole pour les élaborer. Et tout cela sans parler de l’impact écologique de l’utilisation de ces agents agro-toxiques, la contamination et l’épuisement des sols et des eaux, ainsi que l’impact sur la santé des paysans et des consommateurs.
Aliments voyageurs
On observe également la dépendance vis-à-vis du pétrole dans les longs trajets que réalisent les aliments de leur lieu de culture jusqu’à leur consommation. Selon un rapport des Amis de la Terre, on estime que la nourriture voyage en moyenne quelques 5.000 Km du champ à l’assiette, avec la consommation consécutive d’hydrocarbures et son impact environnemental. Ces « aliments voyageurs », selon le rapport cité, génèrent presque 5 millions de tonnes de CO2 par an, contribuant ainsi à l’aggravation du changement climatique.
Dans course au profit maximal, la mondialisation alimentaire délocalise la production d’aliments, comme elle l’a fait dans d’autres domaines de l’économie productive. Elle produit à grande échelle dans les pays du Sud, en profitant de conditions de travail précaires et d’une législation environnementale inexistante, pour revendre ensuite ses marchandises dans nos pays à un prix compétitif. A l’inverse, elle produit au Nord grâce aux subventions agricoles bénéficiant aux grandes entreprises, pour ensuite commercialiser ces marchandises subventionnées à l’autre bout de la planète, en vendant en dessous du prix de revient et en faisant une concurrence déloyale aux productions autochtones. C’est ici que réside l’explication des aliments kilométriques : le profit maximal pour quelques uns d’une part, et la précarité, la pauvreté et la contamination environnementale maximum pour la majorité de l’autre.
En 2007, on a importé dans l’Etat espagnol plus de 29 millions de tonnes d’aliments, soit 50% de plus qu’en 1995. Les trois quart de ces importations étaient constituées de céréales, de dérivés de céréales et d’aliments pour l’élevage industriel de bétail provenant majoritairement d’Europe et d’Amérique centrale et du sud, comme l’indique le rapport « Alimentos kilométricos ». Même des aliments typique du pays, comme les pois chiches et le vin, parcourent jusqu’à nous plusieurs milliers de Km de distance avant d’être consommés. 87% des pois chiches que nous mangeons proviennent du Mexique, tandis qu’en Espagne leur culture a connue une chute libre. Quel est l’intérêt de ce genre de chassé-croisé international d’aliments d’un point de vue social et écologique ? Aucun.
Un plat dominical typique en Grande-Bretagne est fait à base de pommes de terre d’Italie, de carottes d’Afrique du Sud, d’haricots de Thaïlande, de veau d’Australie, de brocolis du Guatemala et de fraises de Californie et d’airelles de Nouvelle Zélande comme dessert génère, selon le rapport « Eating Oil : food suply in a changing climate », 650 fois plus de gaz à effet de serre à cause du transport de ces ingrédients que s’ils avaient été cultivés et achetés localement. Le chiffre total de Km que l’ensemble de ces « aliments voyageurs » cumulent du champ à l’assiette est de 81.000, soit l’équivalent de deux tours du monde. Il s’agit là d’une chose irrationnelle si on tient compte du fait que bon nombre de ces produits sont cultivés dans le pays. La Grande-Bretagne importe de grandes quantités de lait, de porcs, d’agneaux et d’autres aliments de base en dépité du fait qu’elle exporte des quantités similaires de ceux-ci. Et c’est la même chose chez nous.
Manger du plastique
Et que se passe-t-il lorsque les aliments arrivent au supermarché ? Du pastique et encore plus de pastique, avec des dérivés du pétrole. On trouve ainsi un emballage primaire, qui contient l’aliment, avec un emballage secondaire qui permet une exhibition attractive sur l’étalage et, finalement, des sacs en plastique pour emporter les achats à la maison. En Catalogne, par exemple, sur les 4 millions de tonnes de déchets annuels, 25% correspondent à des emballages en plastique. Une étude commandée par l’Agència Catalana del Consum concluait que l’achat dans des magasins de proximité réduisait de 69% les déchets par rapport à un supermarché ou à une grande surface.
Une anecdote personnelle illustre bien cette tendance. Quand j’étais petite, à la maison on achetait l’eau embouteillée dans de grandes carafes de verre de huit litres. Aujourd’hui, presque toute l’eau est commercialisée dans des bouteilles en plastique. Et il est même devenu habituel de l’acheter en « packs » de six bouteilles d’un litre et demi. Comme l’indique la Fondation Terre, il ne faut donc pas s’étonner que sur les 260 millions de tonnes de déchets en plastique dans le monde, la majeure partie est constituée de bouteilles d’eau ou de lait. Selon cette même source, l’Etat espagnol est le principal producteur de sacs en plastique pour un seul usage en Europe et le troisième pays consommateur. On estime que la vie utile d’un sac en pastique est de 12 minutes en moyenne, mais qu’il faut 400 années pour qu’il se décompose. Tirez-en les conclusions.
Nous visons sur une planète de plastique, comme l’illustrait brillamment l’autrichien Werner Boote dans son film « Plastic Planet » (2009), où il affirmait : « La quantité de plastique nous avons produits depuis le début de l’âge du plastique est suffisante pour emballer jusqu’à six fois la planète avec des sacs ». Et quel est l’impact sur la santé de leur omniprésence dans notre vie quotidienne ? Un témoignage dans ce film disait : « Nous mangeons et nous buvons du plastique ». Et, comme le dénonce le documentaire, nous en paierons tôt ou tard la facture.
La grande distribution n’a pas seulement généralisé la consommation d’énormes quantités de plastique, elle a également contribué au développement de l’automobile pour aller faire les courses. La prolifération des hypermarchés, des grands magasins et des centres commerciaux à l’extérieur des villes a favorisé l’utilisation de la voiture privée pour se déplacer jusqu’à ces établissements. Comme l’indique le rapport « Eating oil: food suply in a changing climate », si on prend comme exemple la Grande Bretagne, entre les années 1985-1986 et 1996-1998, le nombre de voyages par semaine et par personne en voiture pour faire les courses est passé de 1,7 à 2,4. La distance parcourue totale a également augmenté, passant de 14 Km par personne et par semaine à 22 Km, soit une augmentation de 57%. Plus de Km, c’est plus de pétrole et plus de CO2 au détriment, en outre, du commerce de proximité. Si, en 1998, il existait dans l’Etat espagnol plus de 95.000 magasins, en 2004 ce chiffre s’était réduit à 25.000.
Que faire ?
Selon l’Agence Internationale de l’Energie, la production de pétrole conventionnel a atteint son sommet en 2006. Dans un monde où le pétrole se raréfie, comment et qu’allons nous manger ? En premier lieu, il est nécessaire de prendre en compte le fait que plus d’agriculture industrielle, intensive, kilométrique et globalisée signifie plus de dépendance au pétrole. Par contre, un système paysan, agro-écologique, de proximité, de saison, est moins « accro » aux combustibles fossiles. La conclusion, je pense, est claire.
Il est urgent d’opter pour un modèle d’agriculture et d’alimentation antagoniste avec le modèle dominant, qui place au centre les besoins de la majorité et de l’écosystème. Il ne s’agit pas d’un retour romantique au passé, mais bien de l’impérieuse nécessité de soigner la terre et de garantir de la nourriture pour tout le monde. Ou bien nous faisons le choix du changement, ou bien, quand il n’y aura pas d’autre possibilité que de changer, d’autres, comme à maintes reprises, vont faire du profit avec notre misère. Ne laissons pas l’histoire se répéter.
*Article publié dans « Público.es », 04/05/2014. Traduction française pour Avanti4.be : Ataulfo Riera.
https://www.alainet.org/pt/node/85724
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