Amérique du Sud : la crise du gaz touche six pays

29/04/2004
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La crise énergétique de l’Argentine et la décision de ce pays de restreindre la vente de gaz au Chili ne provoque pas seulement des affrontements diplomatiques entre les deux pays mais crée un climat de tension en Bolivie où les organisations sociales s’opposent à la vente du gaz bolivien à l’Argentine parce qu’elles estiment que cette vente profitera au Chili et aux transnationales.

 

L’Argentine vit une crise énergétique aiguë, qui se manifeste par des coupures et un rationnement de l’énergie électrique. Quelques-uns attribuent ce problème à l’augmentation de la demande qui provoque la relance de l’économie et à l’insuffisance des pluies.

 

Mais le président Néstor Kirchner en a rendu responsables les entreprises pétrolières multinationales qui contrôlent la production du pétrole, du gaz et de l’électricité, car l’absence d’investissements a conduit à la crise énergétique actuelle.

 

 De leur côté, les transnationales ont fait pression pour l’augmentation des prix du gaz, de l’électricité et des services en général. Kirchner a refusé pour ne pas affecter davantage les secteurs sociaux frappés par la crise économique. Le Fonds monétaire international, comme toujours, agit aux côtés du capital transnational, allant jusqu’à imposer les hausses de tarifs comme condition de la renégociation des 21,500 millions de dollars US de la dette externe durant les trois prochaines années.

 

Pour pallier la crise énergétique, le gouvernement de Kirchner a décidé de réduire les exportations de gaz au Chili et en Uruguay, d’importer du gaz de Bolivie et du Venezuela, et d’acheter de l’énergie électrique au Brésil.

 

À son tour Kirchner a cédé aux pressions des transnationales et il a conclu un accord le 2 avril dernier par lequel il s’engage à augmenter progressivement le prix du gaz, en échange de quoi les entreprises se sont engagées à produire 121 millions de mètres cubes quotidiens. Toutefois, ceci ne résoudra pas les problèmes à long terme puisque ces dernières ne vont pas investir un capital additionnel dans l’exploration.

 

Le Chili se verra sérieusement touché par les réductions des importations de gaz argentin, car, bien qu’il s’approvisionne en majorité d’énergie hydroélectrique depuis la fin de la décennie 1990 quand la sécheresse avait produit des coupures de lumière, il a opté pour d’autres sources d’énergie comme le gaz. Il est probable que les entreprises transnationales qui contrôlent l’énergie élèveront les tarifs des utilisateurs entre 2 et 3 pour cent.

 

Les restrictions de la vente du gaz argentin au Chili ont provoqué un impasse diplomatique entre les deux pays. Le Chili a envoyé le 7 avril une plainte formelle à l’Argentine, tandis que le président Ricardo Lagos déclarait que cette mesure avait miné la confiance entre les deux pays. Selon le Chili, on a enfreint le Protocole d’intégration gazier signé en 1995, souscrit entre les deux pays lorsqu’a commencé la construction des gazoducs à travers la Cordillère des Andes. Le Chili reçoit chaque jour un envoi inférieur de 14%, ce qui équivaut à 2,3 millions de mètres cubes par jour.

 

 Pour l’Argentine, l’achat du gaz bolivien se montre lui-aussi problématique. Le gouvernement bolivien de Carlos Mesa a offert de vendre à l’Argentine entre 2 et 4 millions de mètres cubes de gaz et il lui a même proposé de l’électricité. La signature de l’accord de vente du gaz sera officialisée pendant la rencontre entre Kirchner et Mesa prévue pour les 13 et 14 avril dans le village frontalier de La Quiaca. Mais le sujet du gaz est très sensible en Bolivie.

 

La seule éventualité que le Chili puisse profiter de cette transaction a causé préoccupation et rejet. Le ministre du Développement économique de Bolivie, Xavier Nogales, a prévenu que si « une molécule de gaz était vendue » au Chili, ce serait une raison suffisante pour fermer la porte et mettre fin au contrat avec l’Argentine. On doit se rappeler que la tentative de l’ex président Gonzalo Sánchez de Lozada de vendre du gaz pour et par le Chili a provoqué une révolte populaire qui a abouti à sa chute en octobre de l’année dernière. Des organisations sociales et syndicales boliviennes ont exigé du président Mesa qu’il suspende la signature de la convention d’exportation de gaz à l’Argentine parce qu’elles estiment qu’elle profitera aux transnationales pétrolières et au Chili. Par une lettre envoyée au président Mesa, elles exigent l’application d’une politique souveraine en cette matière en adoptant une nouvelle Loi des hydrocarbures qui permette de sauver le gaz des mains des transnationales. Elles exigent aussi le départ du ministre des Hydrocarbures Antonio Araníbar, impliqué « dans l’entrée illégale d’ENRON en Bolivie et dans l’offre gracieuse de 130 millions de dollars à cette entreprise » américaine.

 

La lettre des mouvements sociaux de la Bolivie met le doigt sur la plaie car les principaux responsables de la crise énergétique sont des acteurs transnationaux qui cherchent à augmenter leurs profits mais pas à résoudre les problèmes énergétiques de nos pays. En Argentine, l’espagnole Repsol YPF contrôle 50% de la production du gaz.

 

En Bolivie, cette même transnationale possède des réserves de 12,9 trillons de pieds cubes de gaz sur les 54,9 trillons de pieds cubes existant sur le territoire bolivien, ce qui équivaut à 24,8%. La française Total, Petrobras, Maxus, Móvil, Arco, BGBC, Chaco et Vintage possèdent également d’importants pourcentages des réserves gazières boliviennes. Petrobras intervient aussi en Argentine. L’espagnole ENDESA contrôle en Argentine 20% de la capacité électrique installée et la distribution à 2,1 millions de clients à Buenos Aires, à travers EDESUR. Cette même transnationale est présente au Chili à travers ENDESA Chili.

 

La Centrale ouvrière de Bolivie (COB) a décidé d’organiser une marche nationale le 15 avril et une grève illimitée à partir du 2 mai en opposition à la vente de gaz naturel à l’Argentine, laquelle rapportera, selon les syndicalistes, 500 millions de dollars à Repsol/YPF et Petrobras et moins de 25 millions de dollars à l’État bolivien.

 

 Hydrocarbures : Lettre ouverte au Président Mesa Bolivie, le 6 avril 2004

 

 Lettre ouverte à M. Carlos D. Mesa Président de la république M. le Président : À six mois des pénibles événements d'octobre, où le peuple a combattu pour récupérer le gaz naturel des mains des entreprises transnationales, l'objectif de cette bataille populaire semblerait avoir été oublié.

 

Au milieu d'une crise croissante, nous observons que vous, Monsieur le Président, n'avez pas tenu vos promesses d'octobre passé.

 

- Vous nous parlez de "récupérer l'idée de souveraineté" des hydrocarbures, tandis que les entreprises pétrolières, qui ont trouvé en Bolivie un véritable paradis, continuent leur domination totale et absolue sur les hydrocarbures.

 

- Nous les Boliviens nous ne sommes plus les propriétaires d'aucune goutte de pétrole, ni d'aucun mètre cube de gaz. Vous, en dépit de vos promesses N'AVEZ FAIT RIEN POUR RÉCUPÉRER CES RICHESSES POUR LA BOLIVIE.

 

- Vous nous avez proposé de percevoir de nouveaux impôts sur les compagnies pétrolières, comme l'ICH, qui dans la pratique signifient seulement un déchargement sur un autre impôt. Vous préférez maintenir votre affirmation trompeuse de "récupérer 50% des impôts pour les Boliviens", bien que de fait on n'en récupère pas le moindre.

 

- Vous avez aboli le DS 24806, mais ne touchez pas aux 84 contrats qui sont déjà en cours et qui permettront l'exploration et l'exploitation pendant 54 ans de nos gisements d'hydrocarbures, en laissant à la Bolivie la miette de 18% de royalties. - Vous nous avez parlé de refonder YPFB, tandis que vos surintendants favorisent et renforcent les entreprises pétrolières transnationales, qui se sont emparées inconstitutionnellement et illégalement de nos hydrocarbures.

 

 - Vous ENGAGEZ des consultants corrompus et avez nommé des fonctionnaires comme l'ex-chancelier Antonio Aranibar, impliqué dans l'entrée illégale d'ENRON en Bolivie et dans le cadeau gracieux de 130 millions de dollars à cette entreprise ; d'autre part, vous RENVOYEZ entre-temps des professionnels comme Juan Carlos Virreyra, celui qui a courageusement enquêté sur les irrégularités de la "capitalisation".

 

- Vous permettez maintenant que ce même Antonio Aranibar, répudié par tout le peuple, lance une campagne cynique de prétendue "solidarité" envers les Boliviens qui vivent en Argentine, qui "souffriraient l'hiver prochain ", puisqu'il y aurait soi-disant une crise énergétique grave dans ce pays voisin.

 

- Votre gouvernement parle de "solidarité" avec les Boliviens en Argentine, quand en réalité votre "solidarité" concerne uniquement les entreprises transnationales REPSOL, TOTAL et PETROBRAS qui opèrent dans les deux pays. - Vous justifiez de cette façon une Convention avec l'Argentine d'aliénation du gaz, à signer les 13 et 14 avril dans la Quiaca et Jujuy, quand, en ces jours "de semaine sainte", personne ne pourra plus s'informer des dommages qu'elle cause au pays et que la signature de cette convention sera par trop nuisible à tout le pays.

 

 - M. Mesa, vous devez déjà savoir qu'il N'Y A PAS une telle crise énergétique en Argentine ; que ce pays a approximativement la même quantité de réserves de gaz que la Bolivie ; c'est donc le premier pays exportateur de gaz en Amérique latine (rapport de British Gaz - 2003) ; que l'affaire provoque annuellement le mouvement de 6.000 millions de dollars pour Repsol, Petrobras, Total et d'autres entreprises qui sont les nouveaux propriétaires du gaz argentin, après la privatisation du gaz par Menem, qui a volé le peuple argentin de la même manière que Sánchez de Lozada en Bolivie.

 

- Les rumeurs de "crise" sont utilisées par ces entreprises afin d'augmenter les prix de leur gaz en Argentine, et même d'augmenter les tarifs d'électricité au Chili (où la REPSOL est présidente de l'Association de distributeurs de gaz naturel) et d'accélérer la signature de la Convention avec la Bolivie.

 

- Alors que le peuple bolivien a dit CELA SUFFIT en octobre, avec la mort de plus de 80 personnes : le peuple vous a soutenu, mais pas pour que vous suiviez maintenant la même ligne que Sánchez de Lozada. Pour tout ce qui précède, nous DÉNONÇONS : La convention à signer avec l'Argentine permettra aux entreprises REPSOL et PETROBRAS, qui opèrent dans les domaines de San Alberto et San Antonio, :

 

 1. d'exporter LEUR gaz à Campo Durán (Argentine), à 40 km de la Bolivie, où est établie la plus grande raffinerie du nord de l'Argentine (REFINOR, propriété des mêmes entreprises), REPSOL et PETROBRAS.

 

2. de transporter LEUR gaz, par LEUR gazoduc et de l'industrialiser (GLP, essences, etc....) sur le sol argentin.

 

3. d'augmenter LEUR production de GLP, propane, thermoélectricité, essence, etc. en Argentine, à partir du gaz "bolivien". 4. d'augmenter LEUR exportation de dérivés "argentins" au Brésil, au Chili.... et en Bolivie. Avec la Convention, on exporterait 4 millions de mètres cubes de gaz quotidiens à REFINOR à partir de ce mois de mai (jusqu'à atteindre 20 millions durant l'année 2008, selon le rapport d'une commission argentine qui a visité le pays le 2 mars), laissant au TGN à peine 6%, pour que la Bolivie soit obligée d'acheter à des prix internationaux son propre gaz, qui lui a été arraché !!!

 

 Monsieur le Président, vous permettez la signature de cette convention dans des conditions extrêmement désavantageuses pour la Bolivie, alors que la Loi des hydrocarbures n'a pas encore été modifiée, et qu'on n'a pas non plus réalisé un référendum pour que ces ressources retournent à la propriété et la SOUVERAINETÉ du peuple bolivien.

 

En outre, cette convention d'exportation prive le peuple bolivien d'un instrument de négociation pour la revendication maritime, étant considéré que de toute manière le Chili recevra maintenant le gaz de la Bolivie. Monsieur le président ; Combien d'argent votre gouvernement a-t-il dépensé ces six mois pour convaincre le peuple bolivien qu'il faut "exporter le gaz... OUI", et pour nous dire: "c'est à TOI maintenant... le gaz est entre tes mains" ?. Combien d'argent pour engager vos consultants, amis des grandes entreprises pétrolières, sans prendre en considération les propositions des bases !

 

NOS PROPOSITIONS ET EXIGENCES Nous voulons vous dire, M. le président, que les organisations soussignées NOUS NOUS OPPOSONS A LA SIGNATURE DE CETTE CONVENTION, et exigeons qu'on prenne déjà en considération la proposition d'une nouvelle Loi des hydrocarbures sur la base de ce qu'ont proposé la Coordination national du gaz, la COB, le CODEPANAL, le Bloc social patriotique et le Comité patrie et souveraineté, avec le soutien de spécialistes appropriés et patriotes et de la majorité des organisations ouvrières et paysannes du pays.

 

Nous exigeons aussi la destitution immédiate du ministre Antonio Aranibar qui s'est impliqué dans le scandale ENRON et d'autres mauvaises manipulations en faveur des transnationales Nous exigeons la SUSPENSION de la signature de cette convention si l'on n'a pas auparavant CHANGÉ LA LOI DES HYDROCARBURES.. en faveur du peuple bolivien.

 

Signataires : - Jaime Solares, COB - Roberto de la Cruz, DIRIGEANT DE COD REGIONAL DEL ALTO - Jorge Alvarado, DÉPUTÉ DU MAS - Oscar Olivera, COORDINATION DU GAZ - Enrique Mariaca ; CODEPANAL NACIONAL - Dr. Remo DiNatali ; COMITÉ PATRIE ET SOUVERAINETÉ - Danilo Montenegro ; FÉDÉRATION DES TRAVAILLEURS DE LA RADIO ET DE LA TÉLÉVISION - Hugo Fernández ; UNITAS

 

 Source : ALAI, América Latina en Movimiento , 08-04-02. T

 

Traduction : Hapifil, pour RISAL.

 

https://www.alainet.org/de/node/111151?language=en
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