Une citerne sur un million

Les paysans brésiliens à la conquête de l’eau

15/12/2005
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Le grand fleuve Amazone est très loin et la forêt n’est qu’une image de cinéma. Ici, l’eau est un produit de luxe. L’agriculture est menacée et la survie de millions de familles paysannes est devenue une odyssée quotidienne. Telle est la réalité de la région semi-aride du Brésil, qui couvre une surface de 900.000 km2 réparties sur divers Etats, soit 22 fois la superficie de la Suisse. Dans un contexte de sécheresse et de dépression économique, la lutte menée depuis des années par les mouvements sociaux s’est convertie en victoire et laisse entrevoir une option pour l’avenir. « En décembre 2004, ils ont fini la construction de ma citerne et la vie paraît avoir commencé à changer », murmure avec une énorme émotion José Luiz Santana. Ce petit paysan vit dans la commune de Turmalina (vallée de Jequitinhonha, au nord de l’Etat de Minas Gerais). Agé de 57 ans, Santana – père d’une famille de 7 enfants – vit depuis plus de trente dans cette région, où la sécheresse dure pratiquement 6 mois sur 12. Il ne peut pas survivre sur ses 3 hectares de terre brûlés par le soleil, avec une production minime de salades et de farines de manioc. Il est donc obligé de travailler comme « ouvrier rural » dans un autre champ plus grand et gagner à peine 6 francs (4.50 dollars) par jour. Sa double journée de travail – sur sa petite parcelle et sur celle de son patron – l’épuise physiquement. Et, pour contrepartie de sa grande dignité de travailleur infatigable, il est analphabète et son visage est édenté par une vieillesse précoce. « Avec la citerne, nous aurons suffisamment d’eau pour couvrir les besoins de la famille durant les 6 mois de sécheresse… Un rêve devenu réalité… même si le défi pour l’avenir, c’est d’obtenir de l’eau pour les salades et pour irriguer ma parcelle », souligne Santana. Une victoire du mouvement social Derrière la citerne de Santana, on trouve toute l’histoire des luttes menées par le mouvement social brésilien, plus précisément dans la « Coordination du Brésil semi-aride » (ASA) qui réunit plus de 1000 organisations sociales, syndicats, ONG, paroisses et les mouvements les plus divers au niveau national (dont 70 mouvements dans l’ASA du Minas Gerais). Résultat de ces luttes : la mise en œuvre du « Programme pour 1 million de citernes rurales » promulgué par l’ancien gouvernement, mais qui a commencé à fonctionner réellement depuis l’arrivée de Lula à la présidence du Brésil, explique Valdemir Lopez Viana. Il est coordinateur de ce programme dans le Centre d’agriculture écologique Vicente Nica (CAV), l’organisation la plus active pour la construction des citernes dans l’Etat de Minas Gerais. Chaque citerne est une construction conique, simple mais solide, qui permet de récolter 16.000 litres d’eau de pluie, avec une durée de vie d’au moins 40 ans et dont le coût avoisine les 650 dollars par unité. Seul 20 % de cette somme sera remboursée par le bénéficiaire, ce qui permet d’alimenter un fonds géré par les différentes communautés locales pour réaliser des projets sociaux dans cette région. Plus de 100.000 citernes ont déjà été construites durant ces trois dernières années pour un nombre équivalent de familles dans les régions les plus touchées par la sécheresse. « Un pas essentiel pour améliorer la qualité de vie, même si ces familles sont confrontées au défi stratégique de survivre comme producteurs », nous déclare Lopez Viana. En effet, chacune de ces citernes est prévue pour palier au déficit d’eau pour les besoins domestiques. Même si dans ces régions paysannes la consommation, l’autosuffisance alimentaire, la survie et l’amélioration de la qualité de vie sont des parts indivisibles d’une réalité globale qui attend des réponses depuis des années. « Pour cette raison, il est prévu de mener un nouveau programme, dénommé P1+2 (Une terre et deux eaux) qui vise à étendre, à l’avenir, l’approvisionnement d’eau de pluie aussi pour les activités productives », signale le technicien du CAV, expert en la matière pour la vallée de Jequitinhonha. Eau et éducation populaire Avec orgueil, José Luiz Santana montre la nouvelle citerne, qui est opérationnelle ã partir de la nouvelle saison des pluies. Il n’oublie pas d’expliquer que « mes enfants ont été instruits au nettoyage de la citerne, pour assurer qu’elle reste toujours utile et nous apporte de l’eau à boire ». Chaque construction de citerne s’accompagne d’un « intense processus d’éducation populaire », souligne Lopez Viana. Un long processus pour les organisations sociales, qui comprend une quantité d’étapes successives : « l’étude des familles les plus nécessiteuses ; la discussion avec celles-ci ; la construction participative de la citerne ; les cours de santé publique qui l’accompagnent ; le débat sur la participation financière du bénéficiaire pour le fonds commun et la gestion de ce fonds ; la construction de projets sociaux… » Une citerne, une goutte d’eau dans une région semi-aride, une parcelle d’utopie collective qui naît et vit… une victoire significative du mouvement populaire brésilien. Beat « Tuto » Wehrle et Sergio Ferrari, de retour deTurmalina, Minas Gerais, Brésil Traduction H.P. Renk, Collaboration E-CHANGER, Encadré ---- Un pas de plus en avant Geraldo Luiz de Macedo est un petit agriculteur de la commune de Turmalina. Après plusieurs années de travail dans la récolte de sucre à Sâo Paulo, il a décidé de retourner à son lieu d’origine et de se lancer dans la production. Bénéficiaire d’une citerne grâce au programme « Un million » et proche d’une source d’eau naturelle, il a transformé sa petite parcelle en paradis productif. Actuellement, il vend ses produits (principalement des salades fraîches) chaque samedi au marché de Turmalina. Propriétaire d’un camion de transport, il peut ainsi commercialiser sa récolte. Une double goutte d’eau (citerne et source naturelle) qui rendent possible « l’éradication » de la sécheresse. Deux gouttes d’eau et une proposition de vie productive, qui a aujourd’hui la saveur d’une double victoire. (Tuto Wehrle et Sergio Ferrari)
https://www.alainet.org/de/node/113830
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