Entretien avec Kanayo Nwanze, président du Fonds international de développement agricole:

« Pas de développement planétaire possible sans l’agriculture comme base »

23/07/2009
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  • La terre au service de l’homme
  • Alternatives à la misère
 
La misère du monde battra un record historique en 2009 : selon des estimations récentes de l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), plus d’un milliard de personnes – soit quelque 1020 millions – auront faim. Cela signifie qu’un habitant de la terre sur six souffre de graves carences alimentaires. Une spirale explosive puisqu’en deux ans ce chiffre a augmenté de 200 millions.
 
La lutte contre la misère et la concentration des terres aux mains d’une minorité sont les deux pôles d’une contradiction planétaire quasi insoluble. « Trouver des solutions viables pour affronter le problème de la faim dans le monde implique de donner des moyens suffisants à l’agriculture », souligne Kanayo Nwanze, président du Fonds international de développement agricole (FIDA), une institution spécialisée des Nations Unies, dont le siège se trouve à Rome.
 
Licencié en sciences de l’Université d’Ibadan (Nigéria) et docteur en entomologie agricole de l’Université du Kansas (Etats-Unis), Nwanze fut pendant dix ans directeur du Centre du riz pour l’Afrique, avant d’être élu en avril 2009 à la présidence du FIDA par les délégué-e-s des 165 Etats membres, après avoir été vice-président de cette institution pendant deux ans. Dans son discours d’investiture, Nwanze a exprimé sa philosophie en tant que dirigeant de cette organisation internationale : « Nos impératifs seront de placer l’agriculture au centre des préoccupations gouvernementales, de réduire la pauvreté et la faim et d’atteindre les objectifs de développement du millénaire (ODM) ». L’entretien avec Kanayo Nwanze s’est déroulé à Genève, lors d’une récente réunion de haut niveau des institutions de l’ONU.
 
Sergio Ferrari (SF) : Sur plus d’un milliard de personnes souffrant de la faim dans le monde, trois quart d’entre elles habitent dans des zones rurales. Dans de nombreux cas, elles vivent dans des pays où persistent des formes de propriétés très concentrées et où de nombreuses personnes n’ont aucune terre à disposition. Est-ce un problème insoluble ? Une logique complètement illogique ?
 
Kanayo Nwanzé (KN) : Bonne question…. Il est très important de relever le rôle de l’agriculture dans le développement des civilisations à l’échelle mondiale. Sans aucun doute, aussi bien dans l’Europe des siècles passés que dans la Chine ou l’Inde actuelle, nous constatons que l’agriculture fut et est au centre du développement. Aucune nation n’a réellement réussi à se développer sans tenir compte sérieusement de l’agriculture. Dans de nombreux pays du Sud – et je prends l’exemple concret de plusieurs nations africaines, l’instabilité politique règne quasiment toujours en raison du fait que ces pays en question ne sont pas en mesure de garantir une croissance économique minimum.
En ce sens, je suis convaincu que les investissements dans l’agriculture sont une grande priorité. Au sens large, l’agriculture doit être mise au centre du développement.
 
SF : Néanmoins, les chiffres montrent une avancée soutenue de la misère et de la faim dans le monde. Si la clé du problème se trouve dans l’agriculture, mais que les solutions ne se concrétisent pas, on peut affirmer qu’il s’agit d’un manque de volonté politique. Partagez-vous cette opinion ?
 
KN : Absolument. Les gouvernements des pays émergeants doivent assumer leurs responsabilités. A commencer par le défi d’impulser l’agriculture. Cela implique de donner une réponse à la problématique de l’utilisation des terres à disposition dans ces pays. Une grande partie d’entre elles se trouvent aux mains d’un certain nombre de privilégiés : ceux-ci ne veulent pas comprendre que s’ils ne mettent pas leurs terres à disposition d’une agriculture efficace, il n’y aura pas de croissance de la production et de la productivité.
 
Généralement, l’existence de terres abondantes aux mains de personnes riches qui ne pensent pas à l’agriculture est liée à celle de gouvernements qui ne s’engagent pas réellement en faveur de solutions socio-économiques effectives.
 
SF : Quelles sont les priorités concrètes que les politiques gouvernementales doivent mettre en place pour sortir de la misère ?
 
KN : Il s’agit d’investir dans l’infrastructure et l’agriculture. En Afrique, moins de 5 % de la terre est irriguée. De nombreux agriculteurs dépendent exclusivement de la pluie. Sans investissements dans l’irrigation, toute amélioration réelle est inimaginable. J’insiste : on oublie parfois que le développement de l’Europe a reposé sur l’agriculture. De là, on a passé à l’agro-industrie et ensuite à d’autres domaines économiques.
 
En Afrique, certains pays comme le Ghana ont progressé à partir d’investissements réels dans l’agriculture. Si nous regardons à l’échelle mondiale des nations importantes comme la Chine, l’Inde, le Brésil et même le Vietnam, on constate qu’elles ont progressé en priorisant leur agriculture.
 
SF : En analysant les chiffres prévus récemment par la FAO à propos de l’augmentation de la faim dans le monde, il semble que les objectifs du millénaire définis par l’ONU et par la communauté internationale sont inaccessibles… Quelle est votre propre évaluation concernant la réalisation des objectifs du millénaire ?
 
KN : Il est toujours utile d’avoir des objectifs clairs. En ce sens, les objectifs de développement du millénaire sont importants. Dans une première étape, il y a eu des avancées sensibles dans de nombreux pays en développement, particulièrement en Afrique. Néanmoins, à ce moment, personne n’aurait imaginé une crise économique et financière comme celle à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. Cette réalité menace la mise en œuvre de ces mesures, et en particulier l’ODM no 1 qui prévoit une réduction de moitié de la faim et de la pauvreté dans le monde jusqu’en 2015. Excepté quelques nations comme la Chine, je ne pense pas, en étant réaliste, que d’autres pays pourront atteindre cet objectif.
 
SF : Vous êtes plutôt pessimiste quant à la réalisation…
 
KN : Je ne crois pas que l’on puisse être trop optimiste, même s’il n’est pas bon, par ailleurs, d’être trop pessimiste. L’important, c’est d’évaluer maintenant quels progrès nous pouvons continuer d’obtenir au vu de la situation actuelle accentuée par la crise. Il est aussi important que nous ayons pu effectuer quelques progrès. En sachant qu’à l’horizon 2015, si on n’arrive pas à remplir tous les objectifs, nous saurons au moins que nous aurons fait des pas décisifs pour appuyer les secteurs les plus nécessiteux.
 
SF : L’un des objectifs est l’augmentation de la coopération au développement du Nord vers le Sud. En constatant que les pays du Nord ne sont pas toujours très disposés à augmenter leur contribution de manière significative, quel est votre avis sur ce thème si actuel ?
 
KN : Je crois que le FIDA a été précurseur sur cette question. Nous avons fait des progrès incontestables, sur la base d’une très bonne relation entre partenaires, à l’intérieur de notre organisation, entre les pays en développement, les pays producteurs de pétrole et les pays développés, qui nous ont appuyés depuis la fondation du FIDA. Preuve en est la décision commune de définir une augmentation de 67 % du financement du FIDA pour la période 2010-2012.
 
Un autre élément important à relever, c’est la tendance en croissance de la coopération Sud-Sud, entre des nations importantes comme la Chine, l’Inde, le Brésil et entre continents. Je pense que tout cela nous permet d’être optimistes.
 
Je viens de participer en juillet au sommet du G-8 à L’Aquila, en Italie. La décision conséquente d’appuyer avec 20 milliards de dollars la lutte contre la pauvreté, spécialement en Afrique, est un signe révélateur. Je dois souligner le rôle joué par le président Barack Obama dans cette décision et sa demande aux autres gouvernants de respecter cet engagement. Il s’agit là d’un nouvel effort de collaboration entre le Nord et le Sud.
 
Néanmoins, il faut rappeler que les crises alimentaire et environnementale sont très profondes. Il est fondamental de bien clarifier ce dont le Sud a réellement besoin. Par exemple, les dirigeants africains doivent montrer leur dispositions à prendre des engagements sérieux : s’engager activement à répondre aux besoins de leurs populations, promouvoir une bonne gestion gouvernementale, assurer la transparence totale. Il est important de promouvoir un cadre correct et adéquat pour que cette coopération définie par le Nord soit effective et bénéfique.
 
[ONU, Genève, Suisse]
 
- Sergio Ferrari, service de presse E-CHANGER, ONG de coopération solidaire présent en Afrique.
https://www.alainet.org/de/node/135282?language=es
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