Les grands médias impliqués dans le coup d’État

17/08/2009
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Pour savoir d’où vient le coup d’État du 28 juin 2009 contre le président Manuel Zelaya, et d’où vient également le soutien au gouvernement putschiste de Roberto Micheletti, il faut se tourner du côté du pouvoir médiatique, contrôlé par une poignée de familles puissantes qui règnent sur le Honduras.
 
Avant le coup d’État, les grands titres de presse écrite (El Heraldo, La Prensa, La Tribuna) et les principales chaînes de télévision ont bien préparé le terrain aux putschistes, en diffusant des messages bien connus sur notre continent. Depuis que Zelaya a décidé d’adhérer à L’Alternative bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA) et qu’il s’est rapproché du Venezuela pour obtenir des tarifs préférentiels sur les dérivés du pétrole, les médias ont commencé à répéter sans cesse que le président hondurien s’était aligné sur l’axe communiste dirigé par Fidel Castro et Hugo Chávez. En même temps, les médias faisaient la sourde oreille aux programmes gouvernementaux qui bénéficiaient aux secteurs les plus pauvres de la population en termes de salaires, d’éducation, de santé et d’accès aux services de base.
 
Cette attitude des médias n’a rien de surprenant dans la mesure où leurs propriétaires font partie de cette oligarchie hondurienne qui souhaite que rien ne change afin que ses privilèges perdurent. La Tribuna est la propriété de l’ex président Carlos Flores Facussé, du Parti libéral, La Prensa et El Heraldo appartiennent à Jorge Canahuati, un proche du Parti national, et président de la Commission des relations internationales de la Société interaméricaine de presse (SIP).
 
Comme les grands médias ne couvraient pas les mesures mises en place par le gouvernement, Zelaya a ordonné que les messages du gouvernement soient diffusés sous forme de communiqués officiels sur les chaînes nationales, en même temps qu’il créait une chaîne d’État, Canal 8 TV del Estado, dans le même objectif. Habitués au monopole de l’information, les grands médias ont crié au scandale et ont commencé à comparer Zelaya à Chávez, à parler de « totalitarisme » et de violations à « la liberté d’expression ».
 
Les grands médias ont donné leur aval au coup d’État contre Zelaya qu’ils ont d’ailleurs appelé « succession présidentielle ». Ils appuient le régime putschiste de Micheletti qu’ils nomment « gouvernement de transition », et ils couvrent toutes les manifestations organisées en sa faveur. Ce traitement de l’information s’articule avec un gros travail de manipulation sur ce qu’il se passe dans le pays et à l’étranger. Tous les actes de résistance au coup d’État sont occultés ou minimisés, alors que les micros, les écrans et d’autres espaces sont ouverts à ceux qui appuient le régime putschiste. Le 24 juillet, alors que Zelaya traversait la frontière depuis le Nicaragua et entrait au Honduras, les chaînes de télévision diffusaient des feuilletons, des dessins animés et une manifestation en faveur de Micheletti. Le journal La Prensa,  la Banque Ficohsa et l’Association hondurienne des maquiladoras font partie des financeurs ayant souscrit un contrat auprès de trois entreprises de lobbying, dans le but de convaincre le gouvernement étasunien d’appuyer le régime putschiste.
 
Supprimer la liberté d’expression
 
Pour s’assurer que le coup d’État soit un succès, les putschistes ont imposé une coupure médiatique, afin d’empêcher que les gens s’informent, s’expriment, réagissent et se mobilisent. Dans un premier temps, les militaires ont fait taire les médias qu’ils considéraient comme « dangereux », Canal 8 del Estado, Radio Globo, Radio Progreso, et aussi des chaînes câblées comme Telesur, Cuba Visión Internacional et même CNN. Simultanément, l’électricité a été coupée afin que personne ne puisse émettre ni recevoir d’information.
 
Alors que Micheletti avait annoncé que la situation du pays « était retournée à la normale » et que Radio Globo et Radio Progreso pouvaient émettre à nouveau, les deux stations ont été l’objet d’une terrible persécution qui visait à les faire taire à nouveau. En effet, ces deux radios font partie des rares médias qui informent sur ce qu’il se passe réellement dans le pays. Les émetteurs de Radio Progreso, situés dans la ville du même nom, ont été pris d’assaut par les miliaires, après que le directeur de la radio, le prêtre jésuite Ismael Moreno et d’autres collaborateurs de la radio aient été harcelés. Radio Globo fait face à une menace de fermeture depuis que l’avocat José Santos López, qui prête ses services aux forces armées, a présenté une demande auprès de la Commission nationale des télécommunications (CONATEL). Il a sollicité la suspension de Radio Globo, l’accusant « d’inciter à l’insurrection et de mettre en danger la vie des citoyens ». López demande que le matériel de la radio soit saisi et ses installations confisquées. Radio Globo transmet à l’échelle nationale et permet que les gens s’expriment, comme l’on fait Radio Progreso dans le Nord du pays avant d’être contrainte au silence, Canal 36, ou bien encore Eduardo Maldonado dans son émission Hable como hable sur Maya TV canal 66, ainsi que quelques radios communautaires[1].
 
Ce climat hostile envers la presse indépendante a donné lieu à des situations bien plus graves encore : des journalistes, des photographes et des cadreurs ont reçu des menaces de mort ou bien ont été victimes d’agressions physiques. Le 3 juillet, le journaliste Gabriel Fino Noriega a été assassiné, son corps criblé de sept balles. Il travaillait pour Radio Estelar dans le département d’Atlántida. Une commission internationale composée de civils ayant visité le Honduras a conclu « qu’avec les informations disponibles jusqu’à présent, il est impossible d’attribuer la responsabilité de cette mort directement à la force publique, même si les informations démontrent que Fino Noriega s’exprimait en faveur de la consultation populaire et contre le coup d’État. Cela pourrait néanmoins permettre, lors d’une future investigation, de lier sa mort au contexte politique actuel[2].
 
Par ailleurs, les militaires ont mitraillé Radio Juticalpa à Olancho. Les journalistes Jhonny J. Lagos, du quotidien El Libertador, et Luis Galdanes, animateur de l’émission de radio Tras la verdad, ont été menacés. L’émission du Comité des familles de détenus et disparus au Honduras (COFADEH), retransmise par Radio América, a été suspendue, après que plus de 1000 cas de violations des droits humains y aient été dénoncés au cours des deux semaines qui ont suivi le coup d’État. Le caricaturiste Allan Mc Donald a été détenu, en compagnie de sa fille d’un an et demi, par des militaires qui sont allé l’arrêter chez lui, à Santa Lucía, à huit kilomètres de Tegucigalpa. Ils ont pris ses caricatures et les ont brûlées.
 
Dans la nuit du dimanche 12 juillet, les autorités ont détenu onze journalistes de Telesur et Venezolana de Televisión pendant quatre heures, avant qu’ils se voient forcés de quitter le Honduras le lendemain.
 
Le gouvernement putschiste fait appel à des méthodes subtiles pour abolir le droit à l’information et d’expression : des coupures sélectives d’électricité ont lieu près de certains émetteurs ou des transformateurs afin d’empêcher que les informations parviennent dans certaines localités ; puisqu’il s’agit officiellement de coupures d’électricité et de rien d’autre, le gouvernement donne ainsi la sensation que la liberté de la presse n’est en rien menacée. Les entreprises du câble à l’intérieur du pays ont éliminé de leur programmation les chaînes de télévision qu’ils considèrent comme étant défavorables aux putschistes. À cela, il faut ajouter les menaces de mort contre les journalistes, les écoutes téléphoniques et le blocage d’accès à internet.
 
Nouvel alignement de l’information
 
Face à la gravité de la situation, la SIP, qui regroupe les propriétaires de médias informatifs, a émis une timide déclaration, alors qu’une bonne partie de ses affiliés adhère aux propos des putschistes. Cela contraste nettement avec les communiqués opportuns et très durs qu’elle émet à l’encontre des gouvernements progressistes du continent qu’elle accuse de porter atteinte à la « liberté d’expression », s’appropriant elle-même un droit qui appartient à l’ensemble des citoyens et que les entreprises sont les premières à violer, à commencer par leurs propres journalistes.
 
Le conflit au Honduras a donné naissance à un nouvel alignement international de l’information. D’un côté, CNN a indirectement pris position en faveur des thèses putschistes, en parlant d’une « destitution forcée » et non d’un « coup d’État ». Le groupe espagnol PRISA qui édite le quotidien El País, a pris le parti de faire reposer la culpabilité de tout ce qui s’est passé, sur Manuel Zelaya, car il aurait succombé à la terrible tentation de vouloir être réélu[3]. De l’autre côté, le coup d’État au Honduras a consolidé la chaîne internationale Telesur dans son rôle de réelle alternative face aux grands groupes médiatiques. La chaîne contribue, avec sa couverture systématique et professionnelle, à rompre le cercle de la désinformation - au moins à l’extérieur du Honduras - et rend possible l’expression des acteurs individuels et collectifs de la résistance au coup d’État.
 
Aux côtés de Telesur et des quelques radios, émissions et médias que le gouvernement putschiste n’a pu faire taire, de nouvelles formes de communication se sont développées au Honduras, dans ce double contexte de couvre-feux et d’urgence pour le mouvement de résistance. Ces nouvelles formes de communication ont aussi bien servi à informer qu’à appeler à des manifestations et à des mobilisations. Pour cela, les Honduriens utilisent leurs téléphones portables (70% de la population est équipée), leur messagerie électronique et créent des blogs.
 
Même si 11% seulement des Honduriens disposent d’un ordinateur, les messages parviennent à des endroits stratégiques où ils sont reproduits et distribués à des franges de la population qui sont déconnectées des réseaux informatifs. Afin de rompre le cercle de la désinformation, un groupe de jeunes étudiants de l’université de Tegucigalpa a créé un espace sur Internet appelé « Telegolpe », où ils mettent en ligne via la plateforme You Tube, les vidéos des rassemblements et des manifestations, ainsi que les actes de répression qu’ils filment avec leurs téléphones portables.
 
Le Front national contre le coup d’État diffuse ces messages à travers son propre site Web[4]. Les agences de communication alternatives latino-américaines comme ALAI, ALER et d’autres, ont accordé une importance particulière au coup d’État au Honduras. À l’intérieur du pays, le service de communication de Via campesina Honduras fournit des informations de première main par l’intermédiaire du site de la Minga Informativa de Movimientos Sociales et de sa liste d’envoi électronique Pasa la voz[5], et Alba TV fait de même[6].
 
Notes
 
 
[2] Sur la Mission internationale d’observation sur la situation des droits humains au Honduras, voir Gobierno de facto viola derechos humanos - Informe final
 
 
 
 
 
 
Texte initialement publié en espagnol : Grandes medios involucrados en la asonada, in América Latina en Movimiento, n°447, août 2009, pp 26-28.
 
Traduit en français par info sud télé
 
https://www.alainet.org/de/node/135772?language=en
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