Heros et victimes de l’anti-reforme agraire
29/05/2007
- Opinión
Je vous présente un petit héros : il s’appelle Eduardo Sousa Pereira Júnior. Il a 9 ans. Depuis l’âge de trois mois, il vit avec son père, Eduardo, et sa mère, Maria Aparecida, dans le campement de « Gurita », dans la commune de Jataí, dans l’Etat de Goiás [1]. Aux côtés d’autres familles, il vit sous une bâche noire, entre la clôture du latifundium et l’autoroute, dans l’attente de recevoir la terre. Il a vu et entendu beaucoup de choses, depuis les visites menaçantes de la police à celles des malfrats en passant par les insultes provenant des voitures qui passent. Il vit la dureté inénarrable du quotidien. C’est cela son enfance. De plus, il y a la poussière, l’humidité de la nuit, la toux. Eduardo est un petit antihéros de l’anti-réforme agraire.
Il y a aussi les travailleurs de la canne à sucre. Selon une recherche dela Délégation Régionale du Travail (DRT) de São Paulo, 416 travailleurs agricoles du secteur de la production d’alcool de canne à sucre sont morts en 2005 dans l’Etat de Goiás. L’incidence de l’épuisement et des crampes sur la mortalité est préoccupante, vu que la plus âgée des personnes décédées n’avait que 55 ans. Ces gens et d’autres encore sont des héros et des victimes de la politique agraire actuelle.
Une anti-réforme agraire serait-elle donc en cours dans notre pays ?
Il y a deux éléments qui vont dans ce sens : premièrement, le non-respect de la « fonction sociale de la propriété », qui est inscrite dans la constitution et, deuxièmement, la nouvelle méga politique énergétique des agro-combustibles menée par le gouvernement.
La Constitution brésilienne de 1988 a produit un véritable petit bijou, digne de cette « charte citoyenne », à savoir la « fonction sociale de la propriété ». Et ce point figure dans le titre même des « droits et garanties fondamentaux », où, dans l’article XXIII il est dit : « La propriété répondra à sa fonction sociale ». Nous sommes, de fait, face à une innovation juridique de type copernicien. Dans la Charte de Ribeirão Preto [ville de l’Etat de Sao Paulo, ndlr], les membres du ministère public provincial et fédéral, au cours du séminaire sur « L’environnement et la réforme agraire », en date du 13 décembre 1999, ont - avec un sérieux juridique admirable - déclaré au sujet de cette préciosité constitutionnelle ce qui suit : « La fonction sociale définit le droit de propriété. La fonction sociale n’est pas une limitation du droit d’usage de la propriété, mais l’élément essentiel interne qui soutient la définition de la propriété. La fonction sociale fait partie du contenu du droit de propriété ». C’est donc la fin du néfaste droit absolu de la propriété privée.
La Constitution a introduit un mécanisme de garantie de cette fonction sociale et également de l’établissement de l’« ordre » agraire. Il s’agit de l’ « expropriation par intérêt social, à des fins de réforme agraire, de l’immeuble rural qui ne remplit pas sa fonction sociale » (Art. 184). Mais, malheureusement, ce à quoi nous assistons, c’est l’abandon, par le pouvoir exécutif, de la terre à la voracité de la privatisation nationale et étrangère. Même face à la pression pour réviser les indices de productivité en vue de réaliser le timide plan de réforme agraire, le gouvernement préfère acheter la terre plutôt que faire le pas de l’expropriation. Et le pouvoir judiciaire, à d’honorables exceptions près, ne fait rien d’autre que garantir la défense du latifundium au moyen d’une quantité industrielle d’ordonnances contre les expropriations et de la condamnation des leaders des mouvements sociaux. En 2006, 19.449 familles ont été délogées par la force de leur terre.
80% des expropriations effectuées au cours des dix dernières années ont été obtenues grâce aux occupations de terre par les organisations paysannes. Sans cela, l’idée même d’expropriation serait déjà lettre morte. En effet, le lobby ruraliste [grands propriétaires terriens, ndlr] du Congrès, attaché aveuglément au latifundium, œuvre souterrainement à la criminalisation de l’occupation de terre en voulant caractériser celle-ci comme étant du terrorisme et donc comme un « crime pervers ».
L’omission de la garantie de la fonction sociale de la propriété à travers l’expropriation viole ouvertement et fondamentalementla Constitution. Cette fracture de la fonction sociale ne constitue-t-elle pas un crime dont est responsable l’Etat ?
La réforme agraire - un sujet qui a toujours été fort présent dans le discours démagogique gouvernemental mais quasiment absent dans la pratique - a aujourd’hui même disparu du discours. Des calculs, pas encore publiés, estiment qu’en 2006 il n’y a que 40 000 familles à avoir été officiellement « installées » (assentadas). Comme les moyens budgétaires prévus pour 2007 sont pratiquement aussi dérisoires que ceux de 2006, on ne peut s’attendre à aucune avancée significative en terme d’installations de familles. C’est cela la pratique éhontée de l’anti-réforme agraire.
Et qu’en est-il de l’« agro-combustible » ? Là, au contraire, l’argent coule à flots, en commençant par des exemptions fiscales de milliards en faveur des usines. Dans l’une des périodes les plus lucratives pour les usines de canne à sucre dans le pays,la Banque du Brésil a accordé à ce secteur une remise de dette supérieure à 1 milliard de reais [2]], selon des documents obtenus et publiés par le quotidien Folha de São Paulo.
Maintenant, par des alliances conclues avec le grand capital international, le capital étasunien principalement, et en raison de l’agrobusiness de l’énergie dite « propre », le rythme des implantations d’usines d’éthanol dans le pays, avec ce que cela suppose en nombre de cannaies [champs de canne à sucre], est en moyenne une par mois, jusqu’en 2010. Par conséquent, le déplacement est important d’entreprises nationales et étrangères vers la terre, surtout celle possédant des sources d’eau. Jamais la terre n’a été aussi convoitée. Que reste-t-il donc de la réforme agraire qui se mettait en œuvre selon la formule de l’achat de la terre et avec de faibles ressources ? que reste-t-il de la souveraineté territoriale ?
Par là-même, surgit la question de la souveraineté alimentaire. Il s’agit du droit d’accès à la terre, au territoire, aux semences ; il s’agit du droit de s’alimenter grâce en accord avec sa propre culture. En effet, la proposition, tentante il est vrai, d’incorporer l’agriculture familiale dans ce grand projet de l’éthanol - en misant sur la diversification des cultures - est en train de conduire, tout au contraire, à la perte de la petite propriété incorporée au latifundium de la canne sous la forme d’un loyer payé en avance. Cet argent est dépensé, et ensuite la famille ne parvient pas à récupérer sa terre dévastée par la monoculture. A cette tentation même les « quilombolas » [communautés rurales d’afro-descendants, les descendants d’esclaves] et les indiens sont en train de succomber. Demain, les réservoirs remplis [de combustible] au prix de ventres vides ne manqueront pas.
Ce qui est toujours invoqué, c’est la création d’emplois et l’on assiste, en effet, à une course effrénée vers les cannaies, semblable à celle vers les mines. Beaucoup d’écoles du Nordeste ont même dû fermer parce que les élèves sont partis pour couper la canne. Des gens de toute provenance, de la ville comme de la campagne, des paysans qui occupent des terres, des petits producteurs et même des familles « installées » (assentadas). Le travail existe, oui, mais dans un cadre très sombre pour l’avenir. Le travailleur, poussé à entrer en compétition avec les machines, essaie parfois de couper entre 12 et 20 tonnes de canne par jour. Mais les machines, tant craintes par les coupeurs de canne, arrivent bel et bien pour rester. Et au final, il n’y aura ni travail, ni terre, ni réforme agraire. Il ne reste l’anti-réforme agraire.
Mais, heureusement, les organisations sociales commencent à réagir, après un temps de paralysie dû aux expectatives soulevées par le rêve de changements attendus du gouvernement. C’est maintenant l’heure de la réforme qui nous restituera un Etat structuré capable d’accomplir sa véritable raison d’être : être au service du peuple et non au service du patronat capitaliste.
Traduction : revue A l’Encontre (www.alencontre.org). Traduction révisée par l’équipe du RISAL. (http://risal.collectifs.net/)
Il y a aussi les travailleurs de la canne à sucre. Selon une recherche de
Une anti-réforme agraire serait-elle donc en cours dans notre pays ?
Il y a deux éléments qui vont dans ce sens : premièrement, le non-respect de la « fonction sociale de la propriété », qui est inscrite dans la constitution et, deuxièmement, la nouvelle méga politique énergétique des agro-combustibles menée par le gouvernement.
80% des expropriations effectuées au cours des dix dernières années ont été obtenues grâce aux occupations de terre par les organisations paysannes. Sans cela, l’idée même d’expropriation serait déjà lettre morte. En effet, le lobby ruraliste [grands propriétaires terriens, ndlr] du Congrès, attaché aveuglément au latifundium, œuvre souterrainement à la criminalisation de l’occupation de terre en voulant caractériser celle-ci comme étant du terrorisme et donc comme un « crime pervers ».
L’omission de la garantie de la fonction sociale de la propriété à travers l’expropriation viole ouvertement et fondamentalement
La réforme agraire - un sujet qui a toujours été fort présent dans le discours démagogique gouvernemental mais quasiment absent dans la pratique - a aujourd’hui même disparu du discours. Des calculs, pas encore publiés, estiment qu’en 2006 il n’y a que 40 000 familles à avoir été officiellement « installées » (assentadas). Comme les moyens budgétaires prévus pour 2007 sont pratiquement aussi dérisoires que ceux de 2006, on ne peut s’attendre à aucune avancée significative en terme d’installations de familles. C’est cela la pratique éhontée de l’anti-réforme agraire.
Et qu’en est-il de l’« agro-combustible » ? Là, au contraire, l’argent coule à flots, en commençant par des exemptions fiscales de milliards en faveur des usines. Dans l’une des périodes les plus lucratives pour les usines de canne à sucre dans le pays,
Maintenant, par des alliances conclues avec le grand capital international, le capital étasunien principalement, et en raison de l’agrobusiness de l’énergie dite « propre », le rythme des implantations d’usines d’éthanol dans le pays, avec ce que cela suppose en nombre de cannaies [champs de canne à sucre], est en moyenne une par mois, jusqu’en 2010. Par conséquent, le déplacement est important d’entreprises nationales et étrangères vers la terre, surtout celle possédant des sources d’eau. Jamais la terre n’a été aussi convoitée. Que reste-t-il donc de la réforme agraire qui se mettait en œuvre selon la formule de l’achat de la terre et avec de faibles ressources ? que reste-t-il de la souveraineté territoriale ?
Par là-même, surgit la question de la souveraineté alimentaire. Il s’agit du droit d’accès à la terre, au territoire, aux semences ; il s’agit du droit de s’alimenter grâce en accord avec sa propre culture. En effet, la proposition, tentante il est vrai, d’incorporer l’agriculture familiale dans ce grand projet de l’éthanol - en misant sur la diversification des cultures - est en train de conduire, tout au contraire, à la perte de la petite propriété incorporée au latifundium de la canne sous la forme d’un loyer payé en avance. Cet argent est dépensé, et ensuite la famille ne parvient pas à récupérer sa terre dévastée par la monoculture. A cette tentation même les « quilombolas » [communautés rurales d’afro-descendants, les descendants d’esclaves] et les indiens sont en train de succomber. Demain, les réservoirs remplis [de combustible] au prix de ventres vides ne manqueront pas.
Ce qui est toujours invoqué, c’est la création d’emplois et l’on assiste, en effet, à une course effrénée vers les cannaies, semblable à celle vers les mines. Beaucoup d’écoles du Nordeste ont même dû fermer parce que les élèves sont partis pour couper la canne. Des gens de toute provenance, de la ville comme de la campagne, des paysans qui occupent des terres, des petits producteurs et même des familles « installées » (assentadas). Le travail existe, oui, mais dans un cadre très sombre pour l’avenir. Le travailleur, poussé à entrer en compétition avec les machines, essaie parfois de couper entre 12 et 20 tonnes de canne par jour. Mais les machines, tant craintes par les coupeurs de canne, arrivent bel et bien pour rester. Et au final, il n’y aura ni travail, ni terre, ni réforme agraire. Il ne reste l’anti-réforme agraire.
Mais, heureusement, les organisations sociales commencent à réagir, après un temps de paralysie dû aux expectatives soulevées par le rêve de changements attendus du gouvernement. C’est maintenant l’heure de la réforme qui nous restituera un Etat structuré capable d’accomplir sa véritable raison d’être : être au service du peuple et non au service du patronat capitaliste.
Traduction : revue A l’Encontre (www.alencontre.org). Traduction révisée par l’équipe du RISAL. (http://risal.collectifs.net/)
https://www.alainet.org/en/node/121447?language=es
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