Agriculture : les contradictions du marché libre
09/09/2002
- Opinión
Les femmes jouent et ont joué un rôle primordial dans la production agricole, dans la
culture et l'entretien des semences et dans l'alimentation des familles et des
communautés. De fait, on parle aujourd'hui d'une « féminisation de l'agriculture » et
on signale à juste titre que les femmes jouent un rôle-clé dans le développement de
l'agriculture durable, indispensable pour penser un monde sans faim et respectueux
de l'environnement.
Cependant, il faut dire également, qu'à l'heure actuelle, on compte 800 millions de
personnes qui souffrent de la faim de façon chronique et que beaucoup d'entre elles
se trouvent dans les campagnes des pays les plus pauvres, en Afrique, en Asie, en
Amérique Latine et aux Caraïbes. Dans le même temps, la terre, l'eau et les forêts
commencent à se faire rares. Certaines organisations environnementalistes affirment
que durant les 10 années qui se sont écoulées depuis le Sommet de la Terre de Rio
de Janeiro, la superficie des forêts a été réduite de l'équivalent de l'ensemble des
territoires allemand, français et suisse réunis.
Les causes de cette réduction ne sont pas seulement liées à l'extrême détérioration
de l'environnement -dont la responsabilité incombe, en grande partie, aux pays les
plus riches- mais aussi au fait que la propriété de la terre est concentrée en très peu
de mains. Ainsi, les femmes possèdent à peine 2 % du total des terres de la planète,
malgré leur participation active et majoritaire dans la production agricole.
D'après la Division du développement rural de la FAO (Organisation des Nations
Unies pour l'alimentation et l'agriculture), les femmes accomplissent entre 25 % et
45 % des travaux agricoles en Colombie et au Pérou. Dans le Sud-Est asiatique, les
femmes représentent jusqu'à 90 % de la main d'œuvre nécessaire à la culture du riz,
alors qu'en Egypte les femmes représentent 53 % des travailleurs agricoles.
Nonobstant, ces petites agricultrices ont un très faible accès à la propriété, à
l'héritage et à la gestion de la terre, et peu ou pas accès aux systèmes de crédit, de
formation et de technologie.
Le Sommet mondial de la Terre, qui s'est tenu en Afrique du Sud du 26 août au
4 septembre derniers, a justement mis en évidence cet « apartheid entre riches et
pauvres » : entre ceux qui ont accès à la terre et à l'eau et ceux qui ne l'ont pas ; entre
ceux qui maîtrisent la haute technologie et ceux qui n'y ont pas accès ; entre le
commerce juteux de « l'agrobusiness » et les conditions difficiles auxquelles sont
confrontés les petits agriculteurs. En définitive, le Sommet du développement durable
a mis en évidence certaines des contradictions, polémiques et dangers relatifs à la
mondialisation et au marché libre.
Dangers et propositions
Lors du Sommet de Johannesbourg, les ONG, les pays en développement (réunis
dans le G-77) et même la Banque mondiale sont tombés d'accord sur ce que les
règles du commerce mondial actuel constituaient un obstacle au développement des
pays pauvres. La faute, ont-ils dit, ne revient pas tant au libre échange en soi, mais à
certaines règles peu claires et à « l'hypocrisie » des pays riches, comme l'a dénoncé
dans un long rapport l'ONG britannique OXFAM.
C'est que, d'un côté, les pays du Nord préconisent le discours du libre échange et
exigent que les pays du Sud ouvrent leurs frontières et réduisent leurs tarifs
douaniers. Mais, d'un autre côté, les pays riches ont augmenté leurs subventions à
des secteurs comme l'agriculture, ce qui leur a permis d'exporter leurs produits à bas
prix -inférieurs même aux coûts réels de production-, portant ainsi préjudice aux
producteurs et productrices dudit Tiers-Monde pour qui l'agriculture resprésente un
secteur stratégique.
De fait, l'année passée, les Etats-Unis ont triplé l'aide aux agriculteurs par rapport à
1996. De la même façon, OXFAM estime que les pays de l'OCDE (Organisation
pour la coopération et le développement économique) dépensent 311 milliards de
dollars en subventions agricoles pour permettre à leurs produits de pénétrer dans des
conditions avantageuses dans les pays pauvres. Les petits agriculteurs des pays du
Sud peuvent-ils, dans ces conditions, les concurrencer ? Non, et bien souvent ils ne
peuvent même pas survivre.
Face à cette réalité, l'organisation mondiale Via Campesina, dans sa déclaration
adressée au Sommet mondial du développement durable, soutient que « la
libéralisation du marché, les politiques d'ajustement de l'agriculture, des mines et
autres secteurs d'activités, ont été définies dans le but d'augmenter les exportations,
principal moteur du développement économique », et que ce sont justement ces
politiques qui ont fait empirer l'exploitation intensive des ressources naturelles et, par
suite, la dégradation de l'environnement.
Pour Via Campesina, ce sont les pays riches et les producteurs à grande échelle qui
causent le plus de dommages à l'environnement. De plus, l'accaparement du secteur
agricole par les multinationales place les paysans du Sud face au dilemne
d'abandonner la campagne pour les villes ou pour d'autres pays.
Parmi les propositions et les alternatives que présente Via Campesina au Sommet
de la Terre, se trouve la nécessité de ce que les paysans et les paysannes pauvres
aient un contrôle sur la terre, les semences et l'eau pour pouvoir vivre dignement.
Pour cela, elle propose de renforcer les droits des femmes paysannes, d'engager un
processus large et intégral de réforme agraire et de mener à bien des programmes
de redistribution de la terre, fondés sur des mécanismes tels que l'expropriation, et
dans lesquels les Etats assument leurs responsabilités. L'appui gouvernemental au
secteur agricole est indispensable, dit-elle.
Il ne fait aucun doute que l'accès à la terre est un droit humain fondamental, lié à
beaucoup d'autres tels que le droit à l'alimentation et à la santé. Dans ce contexte, la
Commission économique et sociale sur le statut des femmes a établi que la
discrimination pour l'accès à la terre est une violation des droits humains et a pressé
les gouvernements de réviser les lois qui assurent aux femmes des droits égaux et
pleins d'accession à la propriété des terres et des autres ressources.
C'est que le droit des femmes à la terre est un facteur déterminant de leur bien-être,
de leur qualité de vie et du renfort de leur pouvoir. Comme le dit Eve Crowley dans un
rapport de la FAO (Service propriété de la terre, 1999), la terre est une source
d'emplois essentielle et détermine l'accès des agricultrices aux autres ressources
productives et aux services. En même temps, la terre est un facteur social, crucial
pour le développement de l'identité culturelle et le mode de vie du paysannat.
Dès lors, le risque est que les règles du marché libre et l'obsession pour la
productivité et les intérêts commerciaux -qui caractérisent le processus actuel de
mondialisation- détruisent ces modes de vie et mettent en danger la survie des petits
agriculteurs et des petites agricultrices.
Agriculture de subsistance versus libre échange ?
Le libre échange et la multinationalisation du secteur agricole constituent la menace
la plus sérieuse pour l'agriculture de susbsitance, la vie paysanne et, par suite, la
souveraineté alimentaire. Les accords sur la propriété intellectuelle, sous l'impulsion
de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), amèneraient le remplacement de
l'agriculture de subsistance par l'agriculture commerciale, et, entre autres choses, le
remplacement de la propriété collective du savoir local sur les semences et les
plantes à usage agricole et médical par les brevets de propriété exclusive des
multinationales.
Parmi les facteurs qui contribuent à ces changements, dans le contexte du libre
échange, on trouve : la privatisation de la terre et de l'eau ; le manque de crédits et
d'assistance technique pour les petits producteurs et l'agriculture de subsistance ;
l'invasion des organismes transgéniques et un accès inégal à la technologie.
Il est important de mentionner que tous ces facteurs n'affectent pas de la même façon
les hommes et les femmes, puisque les femmes sont plus nombreuses dans
l'agriculture de subsistance et les hommes dans l'agriculture commerciale.
Pour toutes ces raisons, aussi bien Via Campesina que la Coordinación
Latinoamericana de Organisaciones del Campo -CLOC- insistent pour que les plans
et les programmes développés en faveur de la population paysanne tiennent compte
des spécificités de genre et proposent le renforcement des mécanismes de
participation des femmes dans la définition et la gestion des politiques locales et
globales et de leur accès à l'éducation et à la technologie.
Ces propositions parmi d'autres ont pour objectif de base de maintenir et de prendre
soin de la campagne, puisque c'est de cela que dépend l'avenir de l'humanité et la
vie de la planète, tout comme le renforcement de l'égalité des sexes dans le secteur
agricole.
*Martha Cecilia Ruiz, journaliste équatorienne, est collaboratrice de ALAI-Mujeres.
Texte publié en espagnol dans la revue América Latina en Movimientos, n° 358,
10 septembre 2002, Quito, Equateur.
Traduit de l'espagnol par ALAI.
https://www.alainet.org/es/node/108182?language=en
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