Prévention & solidarité, des remèdes pour démocratiser la santé
19/10/2004
- Opinión
Une maison rustique, à moitié finie au milieu de la colline.
Un drap sépare le cabinet de consultation de la salle
d'attente. Celui qui arrive doit rarement s'identifier.
« Comment allez-vous Mr. Antonio, votre tension a baissé ? »,
dit l'infirmière vénézuélienne Carlota Núñez, 53 ans. Antonio
entre, et peu à peu des habitants du quartier « Las Terrazas
d'Oropeza Castillo », du municipe de Sucre, à Caracas, se
déplacent dans la salle d'attente improvisée.
Dans le cabinet, un des onze mille médecins cubains qui
participent au programme de santé Barrio Adentro [A
l'Intérieur du quartier, ndlr] donnent les soins de base à la
population. Mesurer la pression artérielle, calmer les crises
d'asthme, vacciner les enfants et s'occuper des accouchements,
font parties des tâches du médecin Carlos Cordeiro, qui
s'occupe en moyenne de 25 personnes par jour.
« Nous faisons de la médecine préventive. L'idée est que les
personnes apprennent à vivre mieux et n'aient pas besoin de
médicaments », explique-t-il. Quand c'est nécessaire, plus de
100 variétés de médicaments, apportés de Cuba, sont à la
disposition des habitants et sont gratuitement distribués.
Le médecin, de 31 ans, qui laissa sa famille à Cuba il y a 11
mois, raconte que le terrain où l'on a construit le cabinet
est un don d'un voisin du quartier. « Nous avons dû terminer
de construire la maison. Toute la communauté a aidé. Un voisin
a apporté la table, un autre a fait la couchette, un autre a
fait don des chaises, des briques et du ciment. Nous sommes
habitués à travailler avec peu , dit Cordeiro qui vit dans une
des trois chambres de la maison. Je reçois 24 heures sur 24.
Si quelqu'un a besoin d'une consultation, Carlota
(l'infirmière) m'appelle et nous y allons immédiatement ».
Ceci est une des phases du programme de santé né d'un accord
de coopération entre Cuba et le Venezuela, et qui débuta en
2001. Le pays, le quatrième plus grand exportateur de pétrole
dans le monde, envoie 53 mille barils quotidiennement à l'île.
Outre l'assistance aux programmes d'alphabétisation du
gouvernement présidé par Hugo Chávez, Cuba envoie de l'aide
médicale et des médicaments au Venezuela.
Étant donné le manque de technologie et d'infrastructure
adéquate dans les hôpitaux publics, près de 17.000
Vénézuéliens sont allés à Cuba pour bénéficier de traitements
et se soumettre à des opérations chirurgicales en
ophtalmologie et traumatologie.
Privatisation et santé
L'exclusion et l'élitisme sont aussi des maladies récurrentes
depuis des décennies. Le Venezuela est un exemple du
démantèlement du système de santé publique promu par le
néolibéralisme appliqué en Amérique latine au cours des années
1990. L'application de politiques de privatisation et de
décentralisation a annihilé la possibilité de maintenir
opérationnels les hôpitaux publics, remplacés par le marché
rentable que constituent les cliniques privées.
Pour la population pauvre, ayant peu de ressources
financières, il restait seulement deux alternatives : le
paiement des consultations médicales (qui coûtent en moyenne
35.000. bolivars, 18 dollars US), ou faire la queue dans un
hôpital public, dans l'attente de soins. La privatisation est
arrivée à un tel point, que dans les hôpitaux publics, les
patients « ont été habitués » à payer pour être reçus et à
acheter eux-mêmes les produits utilisés par les médecins.
« Avant nous devions sortir à l'aube, au risque de notre vie.
Il fallait faire la queue toute la journée et souvent on
rentrait à la maison sans avoir été reçu à la consultation ,
raconte Paula Páez, de 77 ans, qui reçoit quotidiennement la
visite du médecin pour contrôler sa tension. Ici beaucoup de
gens mouraient par manque de soins. Si on avait la tension
haute, le temps de chercher un auxiliaire médical, il était
déjà trop tard, la personne faisait un infarctus », commente-
t-elle.
Maladie des riches
L'accès au quartier n'est pas facile. Pour y arriver, il faut
prendre les vieilles jeeps qui circulent dans les rues
étroites et esseulées de la colline. Dans la nuit les rues
sont désertes et il n'y a aucun moyen de transport.
Face à une situation d'exclusion, de conditions de vie
précaires et d'accès difficile, les médecins vénézuéliens
« éduqués » selon la logique de la privatisation de la santé,
n'osent pas monter dans les collines pour s'occuper de la
population. Le président de la Fédération médicale
vénézuélienne (FMV), Douglas Leon Natera explique : « Le
gouvernement dit qu'il ne pourra pas garantir notre sécurité.
Comment allons-nous nous mettre au beau milieu de la colline,
où il y a tout sorte de marginaux ? » Pour lui, il n'est pas
possible d'exercer sa profession dans des conditions
précaires. « Cette histoire qui dit qu'avec un stéthoscope, on
peut sauver des vies, est une fiction », affirme-t-il.
En accord avec les données du ministère de la Santé, d'avril
2003 à juillet 2004, 16.485 vies ont été sauvées, 808
accouchements effectués pour un total de plus de 43 millions
de consultations ddans le cadre du programme Barrio Adentro.
Un des arguments de la FMV pour justifier son opposition au
programme du gouvernement, est qu'il laisse 11.000 médecins au
chômage ou sous-employés, comme les qualifie Natera, pour
employer des Cubains qui, selon lui, gagnent 750 dollars US
par mois pour « diffuser une idéologie ». Au début du
programme, la campagne de l'opposition pour expulser les
médecins cubains du pays disait, parmi d'autres arguments, que
les Cubains venaient « injecter le communisme » dans les
veines de la population.
Quant au paiement des médecins de Barrio Adentro, selon le
ministère de la Santé, le gouvernement cubain se charge de
payer le salaire des professionnels, qui est remis à la
famille à Cuba, et le gouvernement vénézuélien se charge d'une
rémunération mensuelle proche de 420.000 bolivars (210 dollars
US) pour les frais de nourriture et de transport.
L'argument du président de la FMV pour justifier la préférence
des médecins vénézuéliens à rester au chômage au lieu de
s'incorporer au programme de gouvernement est simple : « Nous
n'allons pas nous soumettre à ces conditions. Le gouvernement
doit équiper les hôpitaux et les ambulatoires », affirme
Natera.
L'absence de l'Etat dans les hôpitaux publics est aussi
ressentie par la population. Bien que la présence des médecins
cubains ait réduit de 25% les consultations régulières, quand
les patients, dans un état grave, sont envoyés dans les
hôpitaux, ils doivent faire face à la précarité. Il manque des
médecins et des médicaments.
Gustavo Salas, directeur du programme Gestion Ciudad, qui fait
partie de Barrio Adentro à Caracas, admet que beaucoup
d'hôpitaux sont toujours abandonnés. Selon lui, une des
difficultés de l'Etat pour agir efficacement, est le conflit
politique intense dans le pays. « Dans les états où les
gouverneurs et les maires sont de l'opposition, nous nous
trouvons face à une résistance et à du sabotage pour réformer
les hôpitaux », affirme-t-il.
Pour autant, la réforme et le rééquipement des hôpitaux ne
sont pas jusqu'à présent les priorités dans le programme
actuel de santé. La création de petits cabinets dans les
périphéries, et des dénommées cliniques populaires,
constituent la stratégie principale de Barrio Adentro. « Les
hôpitaux sont loin de ces communautés, c'est pourquoi nous
donnons la priorité aux cliniques qui se trouvent aux pieds
des collines », explique Salas.
Changement de conception
Le rejet d'une grande partie des médecins vénézuéliens pour le
concept de médecine préventive qu'on prétend développer dans
le pays, est justifiable sous l'optique néolibérale. Rééduquer
la population pour prévoir des maladies, signifie marcher à
contre-courant des intérêts du marché pharmaceutique et des
cliniques privées.
« Nous faisons face à la résistance des médecins qui
contrôlent le marché de la santé. Si nous parvenons à la
perfection lors des consultations, nous mettons fin à leur
affaire », explique Diana Verdi, de la Coordination des
comités de santé, qui intègre le groupe de 800 médecins
vénézuéliens qui se sont incorporés au programme Barrio
Adentro.
Les centaines de volontaires qui intègrent les comités de
santé parcourent les quartiers pour faciliter le travail des
médecins qui pendant l'après-midi laissent les cabinets et se
consacrent à des visites à domicile. « Nous avons besoin
d'éduquer à la santé. Ceci signifie une planification
familiale, une bonne alimentation et la pratique de sports.
Cela fait partie d'une construction collective », dit Diana
Verdi.
Dans le centre des quartiers périphériques, le programme de
santé est plus organisé et homogène. « C'est Barrio Adentro
avec du maquillage », commente Víctor Navas, un des
volontaires du quartier qui sert de guide aux visiteurs
curieux qui veulent voir les réalisations de la dénommée
« Révolution bolivarienne » en périphérie. Différent du
cabinet de la colline, à moitié terminé et construit par la
communauté, celui-ci, situé aussi dans le municipe de Sucre
(commune comptant un million d'habitants) a un aspect et des
couleurs officielles. Il a été construit et a été équipé par
le gouvernement.
Au milieu de la cour encerclée de collines, un groupe de
handicapés faisaient des exercices, avec des poids faits de
récipients en matière plastique remplis de sable, dirigés par
le médecin qui coordonne l'activité trois fois par semaine. À
quelques mètres du groupe de ces nouveaux « sportifs », une
petite file. Des hommes, des femmes et des enfants attendaient
l'appel du dentiste. « Nous avons commencé le traitement quand
est arrivé le dentiste il y a deux mois. Avant, nous n'avions
pas de traitement dentaire, la consultation là-bas coûte cher
», commente María Albaron, mère de deux fils. Une visite à un
dentiste particulier bon marché coûte environ 20.000 bolivars
(10 dollars US).
Recette de la Banque mondiale
Si les 11 mille médecins refusant de travailler dans les
quartiers se résignaient à s'incorporer au programme de santé,
seul la moitié du problème serait résolu. En accord avec l'ex
ministre de l'Éducation supérieure, Héctor Navarro, le manque
de médecins dans tout le pays s'élève à 20.000 professionnels.
Près de 70% de la population manque d'attention médicale de
base. « Nous avons une crise humanitaire dans les mains », dit
Navarro, justifiant la nécessité de l'aide médicale offerte
par Cuba.
A l'instar d'autres secteurs, les problèmes de la santé ne
peuvent pas être étrangers à la structure de développement
économique adoptée par le pays. Dans les années 1970, période
de prospérité pétrolière, la logique d'importation de biens de
consommation s'est imposée. Ainsi, on a considéré que l'on
pouvait se passer du développement industriel et technologique
et, par conséquent, qu'il était inutile de faire progresser le
niveau d'éducation de la population. « A cette époque,
l'orientation de la Banque mondiale était que le pays utilise
les moyens destinés à l'université pour la formation
technique. C'était le maximum qui était nécessaire »,
explique Navarro.
Avec le manque d'investissements et de stimulants pour la
formation supérieure, seul une classe de privilégiés entrait à
l'université. Durant cette période, on a formé une grande
partie des médecins vénézuéliens actuels.
L'alternative proposée par le ministère de l'Éducation
supérieure, et qui a produit le plus de polémiques dans les
universités publiques, dans les facultés de médecine, a été
l'adoption d'un nouveau modèle d'enseignement pour former en
peu de temps de nouveaux professionnels de la santé. Héctor
Navarro croit qu'en un peu plus de trois ans, il est possible
de former un médecin pour les soins de base dans le secteur de
la chirurgie et des premières aides. « La situation réelle
exige la présence de médecins formés. Si quelqu'un a besoin
d'une consultation d'urgence, et il n'a pas six années
d'apprentissage, il va choisir de laisser mourir ces
personnes, comme c'est déjà arrivé », dit-il.
Les secteurs qui s'opposent à la proposition font valoir qu'il
est nécessaire de maintenir la qualité de l'enseignement. « Ce
concept de qualité est complètement coupé de la réalité et
dans ce cas c'est une hypocrisie. A la qualité, il faut
ajouter la justice. Sans justice il n'y a pas de qualité »,
affirme Navarro.
Une autre solution à moyen terme sont les études à l'École
latino-américaine de médecine, de La Havane, qui a plus de
sept mille étudiants de tout le continent. Le premier groupe
de 500 nouveaux médecins retourne au pays à la fin de cette
année. « Au fur et à mesure qu'on forme de nouveaux médecins,
nous allons remplacer les Cubains. Nous savons que nous ne
pouvons pas disposer de cette aide toute la vie », affirme
l'ex ministre.
Traduction : Diane Quittelier, pour RISAL (http://risal.collectifs.net).
https://www.alainet.org/es/node/110808
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