Pour un retrait définitif des forces d’occupation de la MINUSTAH en Haïti

11/09/2011
  • Español
  • English
  • Français
  • Deutsch
  • Português
  • Opinión
-A +A
Soumis à le 12 septembre 2011
 
Le viol d’un adolescent de dix-huit ans par les soldats de la MINUSTAH remet une nouvelle fois sur le tapis la question de la légitimité de la présence de ces troupes étrangères sur le territoire national. Certains observateurs ont déjà insisté sur le caractère illégal et inconstitutionnel de la force onusienne en Haïti, et qu’en fait « la présence de la MINUSTAH induit par elle-même la modification du régime juridique haïtien…que tout simplement la Constitution en vigueur ne prévoit nulle part l’existence d’une telle entité [1]. » Mais cette question proprement juridique ne semble pas préoccuper outre mesure les dirigeants des Nations Unies, la présence de ces troupes répond plutôt à une nécessité de « stabilisation et de sécurité », mission qui en elle-même dépasse, pour eux, toutes formes de justification légale.
 
Une déclaration, en 2006, de la porte-parole de la MUNISTAH, Sophie Boutaud de la Combe, illustre bien cette perception de la présence onusienne dans notre pays : « Aujourd’hui, déclara-t-elle, on est obligé (c’est moi qui souligne) encore d’être là, et je vous garantis de la volonté, que ce soit de Monsieur [Edmond] Mulet, représentant du Secrétaire général, que ce soit du Secrétaire général, que ce sera la dernière fois qu’une mission des Nations Unies vienne en support des autorités haïtiennes [2]. » Déclaration pour le moins péremptoire et condescendante, mais révélatrice d’une politique de prise en charge unilatérale, politique qui, certes, a bénéficié du soutien « légal » du gouvernement de Préval et de celui de Martelly. Pour ces deux gouvernements, en effet, il n’a jamais été question de remettre en cause la présence de la MIUSTAH, malgré certaines élucubrations du président Martelly, qui pourraient laisser penser le contraire. Préval, lui-même, n’a-t-il pas politiquement joué le jeu de la reconduction du mandat de la MINUSTAH en 2009 dans le but, selon toute apparence, d’assurer ses assises dans le cadre des élections de 2011 [3] ?
 
Or, il devient de plus en plus évident surtout au cours des cinq dernières années que la MINUSTAH est dans les faits une force d’occupation, c’est-à-dire une force qui a sa propre logique, ses propres objectifs et qui répond à des besoins qui ne sont pas nécessairement ceux du gouvernement haïtien et encore moins ceux du peuple haïtien. Comme toute force d’occupation qui se considère au-dessus des lois locales, la MINUSTAH développe des stratégies dans le but de rendre plus efficaces ses opérations, mais sans tenir compte si ces dernières correspondent aux besoins de la population. Ses activités contribuent à développer chez ses soldats le sentiment d’une puissance démesurée : comme si ces derniers se sentaient au-dessus des lois haïtiennes, et, par ce fait même, jouissaient d’une grande impunité.
 
Avant même que cet acte odieux et ignoble eût été commis sur le jeune homme de 18 ans, les méfaits et les crimes de ces soldats se multipliaient. Pour preuve : en 2005, plusieurs personnes sont tuées à Cité Soleil par les troupes onusiennes sans une enquête sérieuse n’ait eu lieu ; en 2007, plus de cent soldats originaires du Sri Lanka sont déportés pour accusation d’abus sexuel sur des jeunes adolescentes et on sait maintenant que la MINUSTAH est à l’origine de la bactérie du choléra dans le pays, qui a fait dans l’espace de dix mois plus de 6000 morts et infecté plus de 400 000 personnes.
 
Un État croupion
 
Devant de tels faits, tout gouvernement responsable, qui a à cœur le bien-être de la population et qui considère la souveraineté comme un droit sacré, aurait demandé le retrait immédiat des forces onusiennes. Mais cette demande a été hors de la portée du gouvernement Préval comme elle l’est maintenant de l’actuel pouvoir. Et les raisons d’une telle attitude sont non seulement politiques dans la mesure où ces troupes étrangères assurent à ces gouvernements une certaine stabilité (comme l’ont d’ailleurs compris et Préval et Martelly), mais, ce qui est encore plus important, elles reflètent leur incapacité de faire obstacle à la volonté de l’« international » (particulièrement les États-Unis) bien décidé de prendre en main l’avenir du pays selon ses propres intérêts et en appliquant sans restriction les principes économiques du néolibéralisme, comme en témoigne la création de cette nouvelle structure dénommée : Conseil consultatif présidentiel pour le développement économique et l’investissement. L’État haïtien, plus que jamais affaibli et de plus en plus exclu et marginalisé, ne sert que d’instrument de légitimation d’une politique sociale et économique imposée du dehors. Il est devenu un État croupion, sans pouvoir réel, dépendant totalement de l’« aide » étrangère, même pour son budget de fonctionnement.
 
Le spectacle navrant de Préval qui propose une « réinvention de la MINUSTAH » en vue de la transformer en « un instrument d’aide à la réforme de la justice et à l’amélioration de nos infrastructures de base [4] » illustre bien l’image d’un président impuissant, dépourvu de pouvoir réel, qui ne fait que proposer, suggérer au pouvoir onusien la meilleure façon d’aider le pays. À ce propos, si l’histoire retient quelque chose du gouvernement de Préval, ce serait la transparence de ce dernier (sans subtilité aucune) en ce qui a trait à son impuissance de faire quoi que ce soit.
 
Certains pensaient au départ que la MINUSTAH était une force nécessaire qui aiderait à contenir la criminalité, et on a appris au fil du temps à l’accepter comme un mal nécessaire. Mais ses objectifs officiels n’ont pas abouti. De mal nécessaire, la MINUSTAH s’est transformée en une force répressive, en un mal tout court, comme le sont d’ailleurs devenus plusieurs de ces organismes qui prennent la place de l’État.
 
Aujourd’hui, seules les organisations populaires, par leurs revendications, défendent véritablement la souveraineté de la nation. C’est grâce à elles, à leurs luttes héroïques, avec les moyens disponibles, dans des conditions difficiles que l’on peut parler encore d’une volonté nationale de changement. C’est à elles de demander une fois pour toute et de façon définitive la fin de l’occupation militaire de notre pays par la MINUSTAH.
 
- Alain Saint-Victor est Educateur, journaliste
 
[1] Franginen / Collectif Solidarité Identité et Liberté (KSIL) : La MINUSTAH et le droit international de l’occupation : Quel statut juridique pour Haïti ?, AlterPresse le 18 mars 2009.
 
[2] La MINUSTAH maintient sa volonté de rester au moins 10 ans en Haïti, AlterPresse, 24 novembre 2006.
 
[3] Voir à ce sujet l’article de Lesly Péan : Haïti : La production des sous-hommes et la MINUSTAH, AlterPresse, 17 octobre 2009.
 
[4] Haïti/Nations Unies : René Préval propose de « réinventer la Minustah », AlterPresse, jeudi 2 août 2007
 
- Source: AlterPresse
 
https://www.alainet.org/es/node/152583
Suscribirse a America Latina en Movimiento - RSS