Le projet Capriles et la nostalgie de la voie capitaliste pour l’agriculture vénézuélienne
05/03/2012
- Opinión
Le Venezuela agraire antérieur à 1930 avait pour noeud central des relations sociales le “latifundio”: Nous disons “relation sociale” car cette immense étendue de terre improductive, accumulée dans peu de mains et appelée “latifundio”, est l’expression d’une forme particulière d’organisation sociale et en particulier de processus productifs. Autour de l’improductivité de la terre s’articulent des relations d’exploitation agraire qui vont de la vassalité exprimée sous des formes de métayage ou de location jusqu’à des formes d’esclavage et de surexploitation. Sa logique est la dépossession et la concentration de la richesse – la terre – dans peu de mains.
Politiquement le “latifundio” est le reproducteur d’une mentalité conservatrice et des usages despotiques dans la configuration du régime. Socialement, son résultat est la pauvreté pour d’immenses masses paysannes condamnées à l’analphabétisme.
Bien que la configuration du nouveau modèle productif centré sur le pétrole à partir de 1930 a déplacé la terre comme axe de l’accumulation capitaliste, comme pouvoir et comme lignage, il n’a pas entraîné la dissolution du latifundio comme institution fondamentale de la trame sociale vénézuélienne. Au contraire celui-ci a survécu et a coexisté avec l’oligarchie de l’argent configurée autour de la capture de la rente pétrolière et des formes rudimentaires d’industrie, agro-industries et commerciales dérivées de ce processus.
Timidement, dans la perspective du développement d’un modèle agro-industriel rachitique, la bourgeoisie tenta dès la décennie des années 60 un processus de réforme agraire. Cependant le recensement de 1998 nous montre une carte agraire sous l’emprise du latifundio, qui occupait alors une étendue de 6.762.399 hectares, avec les séquelles de la pauvreté rurale et de l’improductivité.
Dans les années 90, en lien avec l’hégémonie du capital financier international et de son nouveau mode d’accumulation appelé néo-libéralisme, la bourgeoisie vénézuélienne, sans toucher à la structure du latifundio, a tenté inutilement de 1989 à 1998 d’approfondir la voie capitaliste pour l’agriculture vénézuélienne. Dans ce sens s’est ajouté un modèle drastique de dérégulation et d’ouverture économique (dont l’élimination des taxes sur les importations).
Ce modèle a introduit en outre l’élimination de toute mesure de protection interne pour la production agricole nationale. Cette politique a eu pour résultat une crise majeure de l’agriculture vénézuélienne. Il ne pouvait en être autrement vu l’entrée dérégulée de biens agricoles (eux oui, subventionnés) que les pays développés exportaient sur le marché vénézuélien. En complément de cette politique s’est produit une augmentation des taux actifs d’intérêts et une chute du crédit agricole. Le rythme de la productivité agricole a décroché, passant de 15.915.235 tonnes d’aliments produits en 1988 à 17.160.577 tonnes d’aliments produits en 1998, soit une croissance de seulement 8% entre 1988 et 1998.
Mais la prétention de la bourgeoisie vénézuélienne de l’époque et d’aujourd’hui, qui a pour têtes visibles les grands groupes privés Mendoza et Capriles García, était de faire fonctionner la terre sur la base du discours capitaliste de la productivité. Pour atteindre cet objectif, à l’instar de ses pairs latino-américains, elle s’est reconvertie dans le négoce de l’agro-industrie et des cultures liées. Ce qui a signifié un changement radical dans la géographie des relations agraires car semer une hectare de palme africaine, de soja ou de maïs pour produire de l’éthanol, génère un excédent financier supérieur à tout autre produit ou usage du sol agricole. Rapidement les formes de production d’auto-consommation et d’autres biens agricoles destinés à l’alimentation nationale ont disparu, tandis que s’imposait la monoculture avec toutes ses séquelles négatives.
La voie capitaliste pour l’agriculture vénézuélienne, associée à l’horizon de la concentration de la terre dans peu de mains, à la crise agro-alimentaire et à la déprédation de l’environnement, a été stoppée à partir de 1998 par un modèle socialiste. Depuis 12 ans, nous vivons un progrès constant dans la démocratisation de la terre et du crédit agricole, en même temps que la lutte pour récupérer la productivité agricole en vue de produire des aliments pour la population, le tout formant une voie révolutionnaire de souveraineté agro-alimentaire.
Les résultats, au-delà de l’image catastrophiste que veulent imposer les grands médias liés aux intérêts de la bourgeoisie, sont tangibles; la révolution bolivarienne a liquidé le latifundio à 54%. Sur les 6.762.399 hectares de latifundio 3.654.681 hectares ont été récupérés, distribués et mis en production. Il reste donc à transformer 3.107.718 hectares en terres productives, soit 46%.
Comme nous l’écrivions plus haut, de 1988 à 1998 la production agricole nationale a progressé à peine de 8%. A partir de 1998, comme résultat du modèle de révolution agraire, nous sommes passés de 17.160.577 tonnes d’aliments produits en 98 à 24.686.018 tonnes produites en 2010; soit une augmentation de 44%.
La voie socialiste pour l’agriculture a également abouti à la démocratisation du crédit agricole. Selon les données du MInistère de l’Agriculuture et des Terres, la Banque Agricole Vénézuélienne (BAV) est passée de l’octroi de 19.003.986 Bolivars de crédits en 2006 à 1.226.190.113 Bolivars en 2010. Soit une augmentation de 6.352%. De 2008 à décembre 2010, le Fonds pour le Développement Agraire Socialiste (FONDAS) a versé plus de 77.519 crédits pour un montant de 3.758.944.157 Bolivars. Le FONDAS est passé de 16.755.306 Bolivars de crédits en 1998 à l’octroi de 1.165.871.704 Bolivars de crédits en 2010. Soit une augmentation de 6.858%.
Autre fait à souligner dans ce cycle, le développement d’un Système Agro-industriel de Propriété Sociale avec plus de 21.000 travailleurs et 110 Unités de propriété Agro-industrielle; parmi lesquelles des centres de traitement de céréales, de lait, viande, légumineuses, oléagineux, fruits, légumes, sucre, cacao, café et poisson.
La nostalgie bourgeoise de la voie capitaliste pour l’agriculture ne disparaît pas pour autant. Au contraire elle se transforme en 2012 en projet national de restauration et de contre-révolution, c’est-à-dire de supression de tous les acquis de la population, de restauration de l’appropriation privée de la terre et de l’ensemble des chaînes agro-productives. Ce projet réactionnaire et anti-national (qui curieusement s’affirme progressiste) dévoile ses grandes lignes dans le programme d’”unité nationale” formulé par la bourgeoisie propriétaire de la campagne présidentielle de Capriles Radonski.
Lisons :
• “La première action doit être l’émission d’un message net et cohérent destiné au secteur productif privé et aux consommateurs afin de rétablir la confiance. Le gouvernement d’Unité Nationale devra réaliser des réformes légales et appliquer des politiques destinées à garantir les droits de propriété et les libertés économiques établies par la Constitution. Elle procèdera à revoir et à corriger les mesures légales et les abus administratifs qui ont déterminé l’acquisition illicite d’entreprises, de terres et d’autres biens dans la dernière décennie”.
Ce qui signifie que sera développée une contre-révolution agraire.
• “Le gouvernement d’Unité Nationale prendra des mesures nécessairement graduelles pour démonter l’engrenage de permis, de pré-requis administratifs et autres obstacles qui freinent la production, le transport, le traitement et l’importation d’aliments, de fourrage, d’équipements, de produits et de matières premières”.
Soit le retour à la dérégulation de l’agriculture qui sera rendue au libre marché, avec avantages pour les monopoles.
• “Sera mis en marche le processus de séparation entre entités publiques et activités productives ou commerciales sauf celles indispensables au traitement de la population de moindres ressources ou au maintien de réserves techniques qui dépassent la capacité de stockage du secteur privé”.
On reviendra sur les formes de propriété sociale et on les privatisera, pour rendre au secteur privé le contrôle absolu de la chaîne agro-alimentaire.
Ce qui précède montre clairement le processus radical de contre-révolution qu’affrontera la société vénézuélienne si l’option de la bourgeoisie représentée par Capriles Radoski parvient à la présidence. Ce qui est moins clair c’est comment peut se dire “progressiste” une politique qui rend l’agriculture au capital, aux minorités et qui l’arrache à la population, aux majorités.
Comme l’a répété le président Chávez, c’est un problème de modèles : la société vénézuélienne devra choisir dans les urnes entre le modèle qui bénéficiera à la bourgeoisie et le modèle qui bénéfice aux majorités.
Traduction : Thierry Deronne pour Venezuela Infos, www.venezuelainfos.wordpress.com
https://www.alainet.org/es/node/156267
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