Lettre ouverte à Michel Martelly
20/11/2012
- Opinión
Nous sommes une Plateforme regroupant de nombreuses ONGs et organisations de la société civile de 8 pays européens, qui travaillent en Haïti en étroite collaboration et depuis longue date avec des organisations de la société civile haïtiennes. La Coordination Europe Haïti (CoEH) saisit l’occasion de votre visite à Bruxelles pour partager avec vous ses préoccupations concernant la situation en Haïti et plus particulièrement sur trois aspects cruciaux pour votre pays, à savoir : le logement, les droits humains et la sécurité alimentaire.
Le logement :A l’approche du troisième anniversaire du tremblement de terre, près de 400.000 Haïtiens se trouvent toujours sous des abris provisoires de tentes et bâches en plastique dans la zone de Port-au-Prince et aux alentours. Le récent rapport de la FIDH (Fédération Internationale des Droits Humains) Haïti : La Sécurité Humanitaire en Danger [1], publié le 12 novembre 2012, démontre que cette situation est directement liée au manque d’accès aux droits fondamentaux pour les simples citoyens.
Au début de 2012 une délégation de Parlementaires Européens de différents partis politiques ont visité Haïti. Ils ont été choqués de constater, au vu des besoins urgents de tant de personnes, qu’il n’existait aucun ministère spécifiquement responsable pour la question du logement. La délégation s’est exprimé comme suit : « .. quoique le gouvernement compte 18 ministres et 19 secrétaires d’état, aucun n’est responsable de la question du logement ; ils insistent auprès des autorités haïtiennes d’élaborer une stratégie/un plan d’action exhaustif de logement (social) afin de pourvoir une protection adéquate en cas de désastres naturels ; considère que si cela ne se réalise pas, l’Union Européenne devrait réduire ou arrêter son appui à l’Etat Haïtien ... »
Il y a deux ans, le Gouvernement d’Haïti s’est engagé à élaborer un nombre de mesures pour la protection des personnes déplacées. L’Unité de Construction de Logements et de Bâtiments Publics (UCLBP) a été mise sur pied pour formuler un Plan National pour le Logement. La Banque Mondiale a attribué un montant de 300.000 US$ à cet effet. Cependant ces mesures ne sont toujours pas mises en application. Le nombre croissant d’expulsions forcées des camps, souvent accompagné de violence, d’attaques incendiaires, de menaces et intimidations, en témoigne et a été bien documenté par Le Collectif des Organisations pour la Défense du Droit au Logement (Campagne « Under Tents »). Très récemment un incident grave a été documenté dans le camp Lanmèfrape, qui abrite 4.088 familles et où 192 tentes ont été incendiées le 3 octobre dernier.
Droits humains
La COEH a de grandes préoccupations également quant au respect des droits humains. En septembre dernier le Commissaire du Gouvernement démissionnaire a déclaré qu’il avait été révoqué pour avoir refusé d’autoriser l’arrestation arbitraire de personnes sur d’une liste de supposés opposants du gouvernement. Amnesty International a alors publié une Alerte à l’Action concernant 3 avocats de droits civils [2] et l’Union Nationale d’Avocats aux Etats Unis a également publié un communiqué de presse à ce sujet. [3]
D’autre part, beaucoup d’autres nous sommes très préoccupés par le fait que l’Article 297 a été retiré de la Constitution. Cet article supprimait des décrets et des lois arbitraires et de le retirer porte ainsi atteinte aux droits fondamentaux des citoyens, y compris les droits de liberté d’expression et de religion. Cette suppression pourrait résulter en différentes violations des droits et nous considérons que de telles actions sont en conflit avec les principes fondamentaux de la démocratie.
En même temps nous sommes également préoccupés aussi par les récents changements dans la constitution qui octroient au gouvernement un plus grand contrôle sur la nomination des membres du Conseil Electoral Permanent, créant un échappatoire qui pourrait permettre au Président en place de servir pendant deux mandats consécutifs et qui réduisent considérablement les pouvoirs de contrôle du parlement sur le budget national. Ce dernier point est particulièrement préoccupant pour l’Union Européenne, étant donné ses exigences pour une meilleure garantie de bonne gestion et son engagement de lier l’appui budgétaire à des indicateurs de bonne gouvernance.
Toutes ses évolutions ont contribué à créer une telle situation d’insécurité que nos partenaires de la société civile haïtienne nous disent être très préoccupés et inquiets pour la sécurité de personnes qui ont des points de vue critiques vis-à-vis du gouvernement actuel.
Sécurité Alimentaire
La forte sécheresse du début de l’année 2012, la tempête Isaac et l’ouragan Sandy ont à nouveau démontré la vulnérabilité du secteur agricole d’Haïti. Des milliers de tonnes de récoltes ont été perdues, des terres arables ont été ravagées. Nous apprécions les efforts croissants de votre gouvernement pour renforcer la production agricole, cependant nous savons aussi que la situation reste critique selon le dernier Index Global de la Faim qui classifie Haïti à la troisième place des pays le plus touchés par la faim.
Nous vous prions de saisir cette crise afin d’assurer et de faire tout pour que Haïti puisse dans le proche avenir devenir moins - au lieu de plus - dépendant de l’aide alimentaire et de l’importation de denrées. A long terme des efforts bien ciblés sont nécessaires pour renforcer la capacité des familles paysannes afin de résister aux conditions climatiques extrêmes . Nous estimons que l’accès à des petits crédits, un renforcement étendu des services agricoles, de meilleurs liens entre les zones rurales de production et les marchés d’alimentation, des investissement à petit échelle en irrigation et une meilleure gestion de l’eau peuvent contribuer à démontrer que les familles paysannes en Haïti sont la solution clé plutôt que l’obstacle principal – pour garantir la sécurité alimentaire en Haïti.
Des investissements à long terme dans l’agriculture paysanne familiale sont la meilleure solution pour répondre aux priorités urgentes pour Haïti. Il est démontré que c’est la voie la plus efficace et la plus rapide pour réduire la pauvreté, car cela crée de véritables emplois durables, donne un sens réel au concept de la décentralisation et est le moyen le plus certain de restaurer l’environnement qui en soi est le point essentiel pour freiner les effets les plus désastreux des conditions climatiques extrêmes que connaît le pays. Nous osons insister pour donner priorité au secteur de la petite paysannerie et la production alimentaire locale plutôt que de renforcer les grandes productions et la production pour d’exportation.
Relations avec l’Union Européenne
Dans le cadre du ‘Programme pour le Changement’ proposé par l’UE, qui déterminera les lignes directrices d’aide au développement pour le budget de la période 2014-2020, nous insistons auprès de vous et de votre gouvernement d’ être particulièrement attentifs aux deux points fondamentaux pour l’Union Européenne : respect pour les droits humains, démocratie et bonne gouvernance et la croissance inclusive. Ensemble avec nos partenaires de la société civile en Haïti nous veillerons à ce que ces principes soient pris en compte par les deux parties, à savoir votre gouvernement ainsi que l’Union Européenne elle-même.
Pour terminer, en tant que citoyens européens et contribuables qui sont en lien étroit avec nos partenaires en Haïti, nous vous demandons ainsi qu’à votre administration de prendre en compte et d’agir au sujet de toutes ces préoccupations. Nous vous saurions gré de recevoir votre réponse.
Avec nos considérations très distinguées,
Au nom de la Coordination Europe-Haïti
Evert-Jan Brouwer, Président
Bruxelles, 16 novembre 2012
Pour plus d’info : www.coordinationeuropehaiti.eu
Source: AlterPresse
https://www.alainet.org/es/node/162924
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