La corruption rose et les fonds PetroCaribe (2)

15/11/2014
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Les interventions de Marie-Carmelle Jean-Marie contre la gabegie de l’équipe dirigeante la conduiront à démissionner en avril 2013, soit un mois après avoir défendu le BMPAD. Elle a sauvé son estime d’elle-même malgré le fait qu’elle soit revenue au gouvernement en avril 2014, suite aux pressions des bailleurs de fonds. Aller-retour nécessaire aussi pour assurer que les politiques salariales, fiscales, monétaires, bancaires, douanières protègent les intérêts des milieux d’affaires contre les velléités sacrilèges des dirigeants lòbey qui ne font qu’improviser. Atansyon pa kapon avec un chanteur obscène qui a fait sa carrière dans l’irrévérence et le blasphème ! Mais en même temps, les milieux d’affaires ne se laissent pas guider par leurs sentiments et veulent défendre leurs fondamentaux. Pas question de lâcher le réel pour l’incertain, la proie pour l’ombre !
 
Le 27 août 2014, la nature désastreuse de la gestion de PetroCaribe est soulignée avec force par plusieurs sénateurs de la république au cours de la séance de présentation du projet de loi de finances 2014-2015 par Marie-Carmelle Jean-Marie, ministre des Finances. À cette occasion, « Steven Benoit a critiqué l’usage que le pouvoir fait du fonds PetroCaribe. D’après lui, il serait mieux d’utiliser ces fonds dans des projets de développement durable en guise des programmes de lutte contre la pauvreté. "Le PetroCaribe est une véritable gargote, a-t-il déploré. C’est de la politique que vous faites avec cet argent alors que nos enfants auront à le remettre. Ce n’est pas pour cela que Chavez…" [1] »
 
En clair, rien de positif ne se dégage des fonds PetroCaribe sinon que des magouilles pour permettre aux bandits légaux de devenir des millionnaires en dollars américains sur le dos du peuple haïtien. Le mot sur toutes les lèvres est : Yo salopete kob PetroCaribe ya(l’argent de PetroCaribe est dévoyé). En effet, il est impossible de démêler l’écheveau. Il y a trop de nœuds et tous les fils sont de la même couleur et de la même grosseur. Combien de bandits légaux aujourd’hui étaient des partis LAVALAS et INITE hier et du parti duvaliérite avant-hier ? Les fils de la pelote sont les mêmes et ils se cassent dès qu’on essaie d’identifier leur provenance. Sa rèd !
 
La médiocrisation de la vie
 
Le gouvernement américain s’est rendu compte qu’il n’est plus hasardeux pour ses intérêts qu’Haïti reçoive l’assistance du Venezuela pour son approvisionnement pétrolier et celle de Cuba afin de permettre la construction de centrales électriques. Dans son entendement, la profondeur de la gangrène est telle qu’il n’y a rien à craindre. Le retour du dictateur Jean-Claude Duvalier en Haïti le 16 janvier 2011 sous le gouvernement Préval en est la preuve la plus éloquente. La médiocrisation de la vie induite par ce retour de Duvalier a conduit un groupe de victimes parmi lesquels Robert Duval, Alix Fils-Aimé, Nicole Magloire, Michèle Montas, etc . à adresser une lettre de protestation le 14 février 2011 à Monsieur René Préval, Président de la République ; Monsieur Jean Max Bellerive, Premier Ministre ; Monsieur Paul Denis, Ministre de la Justice et de la Sécurité publique [2]. Le désenchantement provoqué par l’absence de justice est d’une telle ampleur que seules les absurdités peuvent avoir droit de cité. Les dictatures systématiques culminant dans le duvaliérisme se sont données pour objectif de zombifier l’Haïtien à un tel point qu’il ne puisse revendique cette valeur universelle qu’est la justice.
 
Il s’est donc installé un ordre normatif conduisant au désastre car refusant l’universel et bloquant le devenir avec le sens du chen manje chen qui prédomine. Singulier petit pays !, avait dit Louis Joseph Janvier. Il existe en effet une situation globale caractérisée par une absence patente de justice [3]. Un indicateur central est le refus de création depuis 2007 du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) et sa vassalisation à partir de sa création en juillet 2012 afin de permettre à tous les bandits légaux de pavaner pendant que d’honnêtes citoyens sont arrêtés et maintenus en prison pour leurs opinions politiques. Comme l’explique la Communauté européenne dans son rapport du 10e FED en Haïti : « La refonte de la justice est dans l’immédiat le défi principal auquel est confronté le gouvernement. Il constitue la clé de voute du processus de stabilisation et conditionne lourdement l’ensemble des politiques de réforme. L’impunité et la corruption généralisée gangrènent la collectivité nationale, éloignent le citoyen de l’affirmation de ses droits, réaffirment les inégalités, handicapent l’efficacité des réformes économiques et affaiblissent la reprise des secteurs productifs [4]. »
 
Les choix des projets sont faits sur des bases totalement farfelues. Il s’agit de dépenser l’argent dans des projets inutiles ou à rentabilité douteuse. Par exemple, deux aéroports limitrophes dans le Sud sont financés, l’un aux Cayes au coût de vingt-six millions de dollars UD et l’autre à l’Ile-à-Vaches au coût de cinq millions de dollars US. La distance entre les Cayes et l’Ile-à-Vaches n’est que de dix kilomètres par mer. C’est à croire qu’Haïti a des ressources financières inépuisables ou encore que les irresponsables dirigeants n’ont aucune idée de la notion d’optimisation dans l’utilisation des ressources rares [5]. Duvalier avait démontré en imposant son crétin de rejeton à 19 ans qu’on n’avait besoin d’aucune qualification pour être président de la république ou gestionnaire des affaires publiques. La voie est donc tracée !
 
Urgences douteuses
 
Parallèlement au gaspillage des fonds PetroCaribe, le déficit budgétaire ne cesse d’augmenter pendant que six carnavals sont organisés et que 40 millions de gourdes sont dépensés pour célébrer le deuxième anniversaire de la prise du pouvoir par les Tèt kale. Comme l’indique le tableau 2, c’est le cas aussi avec l’endettement intérieur servant à financer le déficit budgétaire.
 
Tableau 2. Dette Publique et Déficit public [6] (2010-2014)
 
 
De plus, on assiste à l’organisation de dizaines de voyages à l’étranger dont certains aux coûts scandaleux ont suscité l’intervention critique de l’archevêque Guyre Poulard [7] au début de janvier 2013. Par exemple, les per diem payés au président avoisinent les 20 000 dollars par jour, soit quatre fois le montant alloué au président antérieur [8]. Toutefois, malgré ces critiques, le président Martelly n’en a cure et fait à sa tête. Huit mois plus tard, en août 2013, « A la tête d’une délégation de 84 personnes, le dictateur haïtien a laissé le pays pour une tournée de près de 12 jours à l’étranger. Tournée qui va coûter au trésor public déjà vidé, la rondelette somme de $ 5,364.000 US (5 million trois cent soixante quatre mille dollars US) [9]. »
 
La dilapidation des fonds publics s’appuie sur la politique de l’urgence et de la catastrophe. Ce que le journaliste Roberson Alphonse nomme des « urgences douteuses sans contrôle parlementaire » [10]. C’est ainsi que se justifient tous les contrats conclus sans appel d’offres avec l’option gré à gré. C’est aussi ainsi que les procédures du contrôle législatif sont écartés. De toute façon, « les informations fournies au Corps législatif pour l’examen et le vote du projet de loi de finances sont insuffisantes, ce qui limite l’exercice du contrôle parlementaire sur le projet de loi de finances. L’accès du public aux informations budgétaires est aussi extrêmement limité, ce qui réduit la capacité de la société civile à évaluer la réalisation des objectifs de politique publique du gouvernement [11]. »
 
Les bandits légaux prient l’enfer pour leur envoyer des catastrophes (cyclones, séismes, etc.) afin qu’ils trouvent un prétexte à corruption en passant outre toutes les procédures administratives régulières. Dans cette optique de corruption, le parlement constitue un obstacle à éliminer ou à handicaper car son fonctionnement normal est une épée de Damoclès que les bandits ne peuvent pas tolérer sur leurs têtes. Il faut donc le rendre inopérant en refusant d’organiser des élections partielles. Ce procédé machiavélique utilisé par le président Préval est suivi à la lettre par le président Martelly. La désinvolture prend des proportions telles que parfois, les ministres refusent carrément de se présenter aux séances de convocation du parlement.
 
La dette totale d’Haïti qui représentait 50% des exportations en 2011, soit 887 millions de dollars US a pratiquement triplé sous le gouvernement de Martelly, soit 2158 millions de dollars US (tableau 3), ce qui représente 108% de nos exportations en 2014. Qu’on se rappelle que le Venezuela a annulé 395 millions de dollars de la dette de PetroCaribe cinq mois après le séisme de 2010. Le fardeau de la dette est d’autant plus lourd que l’argent emprunté a servi à la consommation et non à des investissements productifs ayant une certaine rentabilité et permettant de rembourser en temps opportun les échéances. Avec le gaspillage des carnavals, des voyages et des sinécures de la bande de jouisseurs Tèt Kale, on voit difficilement comment Haïti va pouvoir rembourser 50 millions de dollars US l’an au cours des 23 prochaines années pour payer la dette PetroCaribe.
 
(à suivre)
 
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- Leslie Péan ést économiste, écrivain
 
[1] Bertrand Mercéus, « Produits pétroliers, " l’Etat est contraint de modifier les prix à la pompe ", selon MCJM », Le Nouvelliste, 27 août 2014.
 
[2] Haiti Liberté, Vol. 4, numéro 32, 23 février-2 mars 2011, p. 3.
 
[3] International Crisis Group, Keeping Haiti safe : Justice reform, 27 octobre 2011.
 
[4] République d’Haïti - Communauté Européenne, Document de stratégie pays et programme indicatif national pour la période 2008-2013, p. 38.
 
[5] Thomas Lalime, « Deux aéroports dans le sud, un gaspillage de ressources », Le Nouvelliste, 4 avril 2014.
 
[6] Global Finance and IMF World Economic Outlook, April 2014.
 
[7] Robenson Geffrard, « Mgr Guire Poulard demande des comptes », Le Nouvelliste, 11 janvier 2013.
 
[8] Radio Kiskeya, « L’Archevêque de Port-au-Prince, Mgr Guire Poulard, sort de sa réserve et dénonce la corruption et le gaspillage des ressources publiques », 3 janvier 2013.
 
[9] « President Michel Joseph Martelly s’offre un voyage de plus de $ 5,364.000 US (5 million trois cent soixante quatre mille dollars US », Pyepimanla-histoire, August 20, 2013.
 
[10] Roberson Alphonse, « Urgences juteuses sans contrôle parlementaire », Le Nouvelliste, 29 avril 2013.
 
[11] Ecorys Macro group, Évaluation PEFA Haïti 2011, Rotterdam, The Netherlands, janvier 2012, p. 13.
 
Source AlterPresse, 16 novembre 2014
 
https://www.alainet.org/es/node/165595
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