La corruption rose et les fonds PetroCaribe (4)

17/11/2014
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L’augmentation de la corruption dans les finances publiques transforme Haïti en une vraie caverne d’Ali Baba ! Et comme le constate le Dr. Rony Gilot [1], on trouve de tout dans les trésors accumulés par les bandits légaux. L’examen de routine d’un contrat signé avec une firme dominicaine révèle que cette dernière a été maquillée en « firme haïtienne » juste deux mois avant, pour construire huit kilomètres de route au coût de 33 millions de dollars alors que le coût moyen par kilomètre est d’un million de dollars. A partir de ce dangereux précédent, on enregistre d’autres records absolus en cascade. Puis, c’est une firme seulement créée le 28 juillet 2010 qui reçoit un contrat de gré à gré trois mois plus tard, le 8 novembre 2010 pour construire le Palais législatif. Du n’importe quoi !
 
34 autres contrats sont signés de gré à gré en ignorant toutes les procédures de passation de marché et d’appels d’offres. 9 contrats sont signés avec une firme qui fait la construction, la supervision et l’évaluation des travaux. Enfin c’est le comble avec la firme fantôme J & J Construction qui a fait son dépôt de bilan devant notaire le 27 septembre 2010, mais qui décroche 11 contrats de supervision de travaux en 2010 et 2011. Ayant fait ce triste constat, le premier ministre Garry Conille ne veut pas être payé à ne rien faire et demande qu’on mette fin à ces pratiques de corruption. La kleptocratie veille au grain et décide de se débarrasser de Conille qui voulait arrêter ce désastre, cette dégringolade, cette inondation de corruption. En ne voulant pas compromettre sa crédibilité, il a failli y passer ! La mafia déballe ses réseaux mercenaires dans la presse des libres tribunes et sur les murs. Le complot prend corps. On connaît la suite. Conille a eu le même sort que le premier ministre Michèle Pierre-Louis sous le gouvernement de René Préval. Elle avait dû démissionner le 30 octobre 2009 car elle avait demandé qu’un audit des fonds du Centre National des Équipements (CNE) soit réalisé. Dans le sérail de la corruption, il faut être stérile et montrer une volonté d’abêtissement pour survivre.
 
La résultante logique est l’absence de transparence et de mise en concurrence dans la gestion des marchés publics, ce qui explique la mauvaise note D obtenue par Haïti dans le dernier rapport sur l’évaluation d’Haïti du PEFA (Public Expenditure and Financial Accountability) [2]. Au fait, sur un total de 28 indicateurs, seul un indicateur dans le rapport de septembre 2011 (dépenses réelles totales par rapport au budget initialement approuvé) a atteint un niveau de performance satisfaisant avec la note B. Le constat est le même pour la Communauté Européenne dans son rapport publié en Août 2014 [3]. La situation s’est visiblement détériorée car au rapport précédent de 2007, il y avait huit (8) indicateurs sur vingt-huit (28) avec la note B. Et de ce fait, les principaux bailleurs de fonds ne font pas confiance au gouvernement et préfèrent passer par des organisations non-gouvernementales (ONG) pour l’exécution des projets qu’ils financent. Comme l’explique Michel Soukar dans son bilan annuel de 2013, « Les démarches du Gouvernement en vue de la réactivation de l’aide directe butent sur la mauvaise gestion des fonds du Programme Petro Caribe et la perception élevée de la prévalence de la corruption en Haïti [4]. » L’exécution de projets humanitaires avec le financement provenant des fonds PetroCaribe renforce cette perception. C’est aussi le cas avec la non-publication de l’audit réalisé par le Venezuela tandis que l’USAID [5] a publié en août 2014 l’audit des deux dernières années du projet Éducation pour tous financé à hauteur de 13 millions de dollars US.
 
Les institutions financières internationales tentent de mettre des balises pour limiter les dégâts. Toutefois, il y a fort à parier que les techniques de détournement des bandits légaux faussent tous les calculs d’actualisation de la valeur de la dette et qu’il soit trop tard quand les experts seront mis devant le fait accompli. Le rythme d’augmentation de la dette malgré les allègements de dettes consentis d’une part et la remise de dette d’autre part, suite au séisme de 2010, n’augure rien de bon. Surtout quand les projets financés n’ont aucun retour sur investissement permettant d’augmenter la capacité de remboursement du pays. Ce sont des projets qui n’ont pour seul objectif que d’augmenter les prix unitaires en permettant aux bandits légaux d’engranger au passage de substantiels commissions déposées dans des banques offshores sous des noms d’emprunt.
 
On s’achemine à grands pas vers une impossible soutenabilité de la dette extérieure de PetroCaribe. Les emprunts de la bande à Martelly risquent de placer Haïti dans une situation d’insolvabilité générale se caractérisant par l’obligation de contracter de nouveaux emprunts pour assurer le service des anciennes dettes, comme ce fut le cas au cours du 19e siècle. Une situation similaire à celle d’un système de Ponzi, du nom de cet américain Charles Ponzi qui a instauré un système d’escroquerie par cavalerie lui permettant de devenir millionnaire en six mois à Boston en 1920. Un autre homme d’affaires connu pour ce genre d’escroquerie financière est Bernard Madoff qui fut le président à New York pendant 48 ans d’une société d’investissement (hedge fund) de 1960 à 2008. En promettait des retours sur investissement de 8 à 12%, Madoff a pu engranger d’énormes profits jusqu’au jour où éclata la crise financière et sa bulle spéculative.
 
Le système de Ponzi politique que met en place Martelly consiste justement à s’accaparer de tous les pouvoirs avec sa bande afin de pouvoir instaurer un dispositif de système de Ponzi sur le plan économique et financier en commençant par l’institutionnalisation des bons du Trésor remplaçant les bons de la Banque centrale et placés chez les banques commerciales avec un taux d’intérêt de 5%. Ces titres d’État composés en billets et certificats de trésorerie demandent une gestion parcimonieuse des finances publiques pour ne pas se voir qualifiés de « bonda » comme ce fut le cas pour les bons du trésor sous le gouvernement de Davilmar Théodore alias Papa Da. En effet, si les bons du trésor sont gérés avec la même désinvolture que les fonds provenant des taxes collectées sur les appels internationaux et sur les transferts d’argent, Haïti est partie pour des pleurs et des grincements de dents. Le système Ponzi à la Martelly consiste à contracter des dettes sans se soucier de la capacité de les rembourser et à hypothéquer l’avenir des générations futures qui auront à les rembourser. Le système Ponzi à la Martelly se focalise sur le présent en faisant des dépenses anarchiques tout en sachant qu’il ne sera pas vivant pour assister au résultat de la catastrophe finale qu’il met en place.
 
La politique économique extravertie de Martelly se base sur deux piliers que sont le tourisme et l’industrie d’assemblage. La première est complètement illusoire et veut vendre Haïti sous le label de destination « Hispaniola » afin de bénéficier des circuits de voyage développés par la République Dominicaine. L’offre touristique multi destination envisagée concernerait les circuits Puerto Plata-Cap-Haitien ou encore Punta Cana-Jacmel. Cette stratégie se heurte au traitement dont sont victimes les Dominicains d’origine haïtienne qui sont dénationalisés. Le gouvernement dominicain a préféré se retirer de la Commission Inter Américaine des Droits de l’Homme (CIDH) plutôt que d’annuler les décrets discriminatoires TC 168-13 et TC 169-14. Cette approche touristique souffre des faiblesses structurelles en matière sanitaire mais surtout politiques car un tel projet porteur pour être réceptif du côté dominicain demande un tout autre traitement des Dominicains d’origine haïtienne.
 
La seconde repose sur la politique des bas salaires qui ne sont même pas payés aux ouvrières (2 personnes sur 3 sont des femmes) et aux conditions de travail exécrables dans les « factories ». Les enquêtes conduites par les organisations Better Work d’une part et Workers Rights Consortium d’autre part attestent en avril 2013 que seulement 16% des ouvrières sont payées le salaire minimum à la pièce des 300 gourdes pour une journée de huit heures de travail [6] et que les ouvrières doivent travailler plus de huit heures pour gagner le salaire minimum tandis qu’elles ne sont pas payées les heures supplémentaires. La conformité par rapport aux normes et règles n’est pas respectée par les patrons. Selon le dernier rapport d’octobre 2014, « sur les 23 usines qui ont été évaluées plus d’une fois, cinq usines ont amélioré leur taux moyen de non-conformité. Dix-huit usines enregistrent des taux moyen de non-conformité plus élevés sur cette période que la précédente, et trois sont restées au même niveau [7]. » Au fait, comme le documente Workers Rights Consortium [8], un regroupement indépendant financé par 180 universités, il s’agit d’un racket de vol systématique des salaires des ouvrières. Selon l’ONG Haïti Grassroot Watch, les ouvrières dépensent la moitié de leurs salaires de misère en frais de transport et pour un repas à midi [9].
 
La corruption rose bonbon et l’éducation gratuite
 
Enfin le gouvernement Martelly déclare la guerre à la connaissance. Comme le décrit judicieusement le philosophe Patrice Dalencour, « ceci conduit à un comportement quasi réflexe de "zapping". S’intéresser sérieusement à un sujet plus de cinq minutes se transforme en une véritable épreuve à laquelle rien n’a préparé. Tout effort d’attention prolongé et toute attention deviennent intolérables à ces intoxiqués du "tout divertissement" » [10]. Haïti se trouve en plein dans un déchirement national marqué par une absence de pensée. Une situation similaire à celle de la Grèce du IVe siècle avant Jésus-Christ. En effet, dans ce pays alors, Helvétius rappelle, citant le vieil Aristippe de Cyrène, que : «  Penser, c’est s’attirer la haine irréconciliable des ignorants, des faibles, des superstitieux et des hommes corrompus, qui tous se déclarent hautement contre tous ceux qui veulent saisir dans les choses ce qu’il y a de vrai et d’essentiel  [11]. »
 
Dans le domaine du savoir, le gouvernement Martelly sème aussi des graines de calamité. En effet, les méthodes de gestion folklorique et caricaturale ne s’appliquent pas uniquement aux fonds PetroCaribe. Les taxes illégales prélevées sur les appels téléphoniques entrants ainsi que sur les transferts financiers de la diaspora subissent le même sort. Déjà, en 2012, Denis O’Brien, patron de la Digicel avait réclamé un audit pour statuer sur les 26 millions de dollars [12] qui s’étaient volatilisés du Fonds National de l’Éducation (FNE), une entité sans existence légale qui finance le Programme de Scolarisation Universelle, Gratuite et Obligatoire (PSUGO). Aucun audit n’a jamais été réalisé et publié. Simple effet d’annonce de coquins passés maitres dans l’art de l’évitement.
 
(à suivre)
 
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- Leslie Péan ést économiste, écrivain
 
[1] Rony Gilot, op. cit. p. 168-170.
 
[2] Ecorys Macro group, Evaluation PEFA Haïti 2011, op. cit., p. 76.
 
[3] Évaluation de la coopération de l’Union européenne avec la République d’Haïti 2008-2012, Rapport final, Volume II, Freiburg, Germany, Août 2014, p. 47.
 
[4] Michel Soukar, Bilan 2013, 27 octobre 2013.
 
[5] Inspector General, Audit of USAID/Haiti’s Education Activities, San Salvador, August 11, 2014.
 
[6] Better Work Haïti : industrie du vêtement, 6e Rapport Semestriel dans le cadre de la Législation HOPE II, Genève, Organisation Internationale du Travail (OIT), 16 avril 2013, p. 15.
 
[7] Better Work Haïti : industrie du vêtement, 9e Rapport Semestriel dans le cadre de la Législation HOPE II, Genève, Organisation Internationale du Travail (OIT), 16 octobre 2014, p. 27.
 
[8] Workers Rights Consortium, Stealing from the poor : Wage theft in the Haitian Apparel Industry, October 15, 2013.
 
[9] Gender Action, Building back by half ? Gender issues in IFI investments in post-earthquake Haiti, Washington, D.C., 2013, p. 22. Lire aussi « Salaries in the "new" Haïti », Haïti Grassroot Watch, P-au-P, Haïti, 2012.
 
[10] Patrice Dalencour, De l’enthousiasme au désenchantement – un éducateur s’interroge, Pétion-Ville, C3 Éditions, 2013, p. 48.
 
[11] Helvétius, De l’esprit dans Œuvres complètes, Tome 2, Paris, 1793, p. 324.
 
[12] Stephan Strom, « A billionaire lends Haïti a hand, » New York Times, January 6, 2012,
 
Source AlterPresse, 18 novembre 2014
 
https://www.alainet.org/es/node/165588
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