7 février 1986 - 7 février 2015

Haïti-Duvalier : Que sont devenus les barons de la dictature ?

09/02/2015
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Environ une année après l’ordonnance (du jeudi 20 février 2014) de la cour d’appel près du tribunal de première instance de Port-au-Prince, désignant le juge Durin Duret Junior pour effectuer « un supplément d’instruction », qui s’intéresse désormais aux « consorts » du défunt dictateur Jean-Claude Duvalier, que sont devenus les barons du régime duvaliériste ?
 
Cette question se pose également à l’occasion du 29e anniversaire de la chute de la dynastie Duvalier, le 7 février 1986, après 29 ans de règne tyrannique du père Francois, puis du fils Jean-Claude, causant des dizaines de milliers de morts.
 
Les magistrats de la cour d’appel avaient corrigé la copie du juge d’instruction Carvès Jean, auteur d’une instruction considérée comme superficielle par les défenseurs des victimes et d’une ordonnance âprement dénoncée, qui avait recommandé uniquement des poursuites contre l’ex-dictateur pour des crimes financiers. Une ordonnance qualifiée par les organisations de droits humains, « d’ordonnance de la honte ».
 
Après la mort de Jean-Claude Duvalier, le sort de tous les suspects cités dans les réquisitoires d’informer du Parquet en date des 20 avril 2008 et 18 janvier 2011, et l’identification de ceux entrant dans la rubrique "et consorts" sont au centre de l’attention.
 
Sur les listes initiales dressées par le procureur figurent : Franck Romain, Christophe Dardompré, Michèle Bennett, Simone Ovide Duvalier, Jean Sambour, Samuel Jérémie, Auguste Douyon, Jean- Robert Estimé, Ronald Bennett, Frantz Merceron, Edouard Berrouet, Bernardin Rosarion, Gérard Prophète, Milice Midi, Saint-Voiyis Pascal et Rony Gilot.
 
Situation des consorts du régime cités par la justice
 
Certains d’entre eux sont déjà morts. Il s’agit de Simone O. Duvalier, Frantz Merceron, Edouard Berrouet, Bernardin Rosarion, Gérard Prophète et Milice Midi.
 
D’autres, par contre sont encore vivants, tels que Christophe Dardompré, qui a été le garde du corps de Jean Claude Duvalier jusqu’à sa mort, Franck Romain, qui est à la retraite, et très âgé.
 
Michèle Bennett, réputée comme étant la « dame de fer du régime », a fait une apparition publique le 11 octobre 2014, aux funérailles de son ancien mari. C’est elle qui a fait les funérailles à côté de ses deux fils, Nicolas et Ania. Michelle Bennett, aurait détourné plus de 94 millions de dollars.
 
A côté de Michèle Bennett Duvalier et d’autres membres de la famille Duvalier, émergent des noms, tels : Jean Sambour, Auguste Douyon et Frantz Merceron dans ce « siphonage » systématique des ressources économiques du pays.
 
Jean Sambour, qui vivait aux Etats-Unis, est retourné en Haiti où il a été assassiné le 13 octobre 2003.
 
« Samuel Jérémie est en Haïti. Il a eu son procès et a été condamné. Il a fait de la prison. Il est sorti, après avoir purgé une partie de sa peine. Il vit en Haïti paisiblement. Auguste Douyon appelé Ti-Pouch, qui était le secrétaire privé de Jean Claude Duvalier, vit aussi paisiblement en Haïti. Il est à cheval entre les Etats-Unis et la République Dominicaine », affirme le Docteur Rony Gilot joint au téléphone à ce sujet.
 
Gilot est cité comme consort. Ministre de Duvalier, Dr Rony Gilot, actuellement secrétaire général du parlement, s’est dit surpris d’apprendre que son nom figure dans ce réquisitoire d’informer daté de 2008.
 
« Si jamais on a besoin de moi, je suis un homme ouvert. Je n’ai pas peur que l’on me pose des questions. Toutes ces personnes, je les connaissais, mais je ne participais pas à leurs activités. J’étais dans un autre domaine. J’écrivais des livres, donc je ne faisais pas partie de la police des Duvalier. J’étais médecin et professeur de chirurgie à la faculté de Médecine et de Pharmacie à cette époque », a argué Rony Gilot en toute quiétude d’esprit.
 
Le Docteur Rony Gilot, ancien député sous le régime de Jean-Claude Duvalier, demeure un farouche défenseur du régime dictatorial, à travers des textes apologétiques, voire révisionnistes, qui tentent de réhabiliter moralement et politiquement Duvalier. Son livre intitulé « Au gré de la mémoire, François Duvalier le mal-aimé » en est un exemple.
 
Jean Robert Estimé, ancien ministres des affaires étrangères de Duvalier, vit actuellement en Haïti. Il était le directeur général d’un projet baptisé Watershed initiative for national natural environnemental resources (Winner, un projet de l’agence américaine pour le développement international / Usaid).
 
Ronald Bennett, pour sa part, est le frère de Michèle Bennett, le beau-frère de Jean Claude Duvalier. A un moment donné, il avait eu des problèmes avec la police américaine.
 
Saint-Voiys Pascal, ancien député de Cayes-Jacmel et de Marigot (sud-est), est aujourd’hui diminué par l’âge, mais il est encore vivant.
 
Des accusations graves
 
Toutes les personnes figurant dans la liste du réquisitoire d’informer de 2008 ont été accusées de présomptions graves, comme auteurs, complices de crimes contre l’humanité, crimes financiers, actes de corruption, forfaiture, concussion de fonctionnaires, détournements de fonds, vols et association de malfaiteurs.
 
La rubrique « consorts » demeure ouverte. Mais le temps commence à presser en ce qui concerne ceux qui auraient été impliqués dans l’appareil répressif de François Duvalier, puis de son fils Jean Claude.
 
Au cours de la période 1971 à 1986, la dictature duvaliériste a été accusée de persécutions politiques, viols, vols, arrestations arbitraires, tortures, exécutions sommaires, emprisonnements, déportations, assassinats, et enlèvements. Outre les crimes financiers, le parquet, suivi par la cour d’appel en février 2014, avait retenu la qualification de crimes contre l’humanité pour plusieurs de ces crimes, comme le demandaient les victimes.
 
« Les crimes odieux commis en Haïti sous le régime de Jean Claude Duvalier constituent des crimes contre l’humanité en raison de leur nombre, de leur ampleur et de leur caractère odieux et systémique » indique ainsi le Réseau national de défense des droits humains (Rnddh), dans un rapport sur l’ordonnance du juge d’instruction Carvès Jean.
 
Moins de trente ans après, quelques témoins sont toujours hantés par les images d’horreur qui se cachent derrière les noms comme ceux de Franck Romain, Roger Lafontant, Boss Peintre, Ti Bobo, Abel Jérôme, Jean Valmé.
 
Une procédure qui ne fait que commencer
 
Me Pascal Paradis, directeur général d’« Avocats Sans Frontières Canada » (Asfc), signale que « la mort de l’ancien dictateur Jean-Claude Duvalier ne marque pas la fin de la procédure judiciaire engagée en Haïti pour faire juger les plus hauts responsables des violations graves des droits humains qui ont été commises de 1971 à 1986. Parmi lesquels figurent ses proches collaborateurs Jean Valmé, Rony Gilot et Emmanuel Orcel [...] ».
 
Plus récemment, certains d’entre eux, se sont retrouvés lors des funérailles de l’ex-dictateur Jean Claude Duvalier, le 11 octobre 2014.
 
Les avocats des plaignants attendent l’ordonnance du juge Durin Duret Junior.
 
Selon l’un des avocats des victimes, Jean Joseph Exumé, « lorsque les plaignants avaient porté plainte, ils l’avaient fait contre Jean Claude Duvalier ainsi que ses acolytes, c’est-à-dire contre les auteurs et les co-auteurs des crimes qui avaient été perpétrés contre eux, mais ils n’avaient pas cité des noms ».
 
Il revient au juge d’instruction de déterminer qui sont les autres accusés et ce qu’ils comptent faire pour les poursuivre.
 
Le juge d’instruction a pour obligation d’appeler les accusés, renchérit Me Exumé, ne serait-ce que pour indiquer la situation de ces personnes.
 
Faisant une radiographie de la justice haïtienne, Me Exumé estime qu’elle est « dans un état pitoyable et qu’elle est inopérante. Mais le droit des gens à la vérité sur les faits qui se sont passés, sur les conditions dans lesquelles les crimes ont été perpétrés, et sur leurs responsables, demeure ».
 
« Est-ce qu’on a la volonté politique de poursuivre ces accusés du régime duvaliériste ? ». Telle est la question, ajoute Me Jean Joseph Exumé.
 
Selon Pierre Espérance, directeur exécutif du Réseau national de défense des droits humains (Rnddh), le juge Durin Duret Junior qui instruit actuellement le dossier, a déjà entendu plusieurs plaignants, des victimes, des témoins, ainsi que quelques inculpés visés dans le cadre de ces procédures.
 
« Beaucoup d’entre eux se trouvent à l’intérieur du pays, certains occupent des fonctions clés au sein du régime de Michel Martelly, alors que d’autres se trouvent dans le secteur privé. Un juge qui se respecte a pour obligation d’aller rechercher l’adresse de ces gens afin de les traduire devant la justice », soutient Pierre Espérance.
 
« L’un des problèmes fondamentaux en Haïti, c’est la question de l’impunité. Les crimes commis restent impunis alors que les bourreaux se pavanent dans les rues en toute quiétude. Ils sont arrogants, ils n’ont jamais reconnu leurs crimes. Il faut qu’il y ait des explications sur la question », renchérit-il.
 
Un éventuel procès pourrait prendre plusieurs années encore.
 
6 février 2015
 
https://www.alainet.org/es/node/167497
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