Le pacte des partis pour une nouvelle Constitution: ficelé et bien ficelé
- Opinión
«L’heure est venue de nous retrouver», a proclamé avec enthousiasme le sénateur Felipe Harboe [membre du Parti pour la démocratie, fondé par Ricardo Lagos en 1987, social-démocrate], au siège du Congrès, lorsque les représentants des principaux partis politiques ont finalement signé, aux premières heures du 15 novembre, l’Accord pour la paix sociale et une nouvelle Constitution. Harboe, ancien sous-secrétaire à l’Intérieur sous les gouvernements de Michelle Bachelet et Ricardo Lagos, a remercié «tous ceux qui ont contribué à la conclusion de cet accord»: à savoir, les partis de droite au gouvernement, ceux de l’ancienne Concertación [Coalition des partis pour la démocratie, réunissant le Parti pour la démocratie, le Parti socialiste, le Parti démocrate-chrétien, créée à l’occasion du référendum de 1988 sur le maintien au pouvoir de Pinochet], certains secteurs du Frente Amplio [créé en janvier 2017 et dirigé par Beatriz Sánchez], les principaux médias au Chili et les chambres de commerce, comme la Confédération de la production et du commerce, dont les porte-parole se sont précipités le lendemain pour célébrer «la bonne politique» dont ont fait preuve les signataires du pacte et pour appeler au retour de la «paix sociale» (Emol, 15 novembre 2019).
L’accord établit, tout d’abord, un référendum en avril de l’année prochaine. Les Chiliens devront alors répondre s’ils veulent ou non une nouvelle Constitution et, le cas échéant, quel type d’organe devrait la rédiger. Il y aura deux options: une «convention constitutionnelle mixte», composée de 50% de citoyens élus ad hoc et de 50% de parlementaires, ou une «convention constitutionnelle» dans laquelle tous les membres seraient élus spécifiquement pour ce rôle.
Quelle que soit l’option gagnante, les constituants seront élus «avec le même système électoral que celui qui régit l’élection à la Chambre des députés». En outre, la Convention constituante devra approuver les règles avec un quorum des deux tiers de ses membres en fonction. Elle siégera pendant neuf mois, avec la possibilité d’une prolongation de trois mois supplémentaires. Ensuite, ce qu’elle aura approuvé sera soumis à un référendum de ratification et, enfin, elle devra avoir l’approbation du Congrès.
Malgré la joie exprimée par les marchés le lendemain de l’annonce de l’accord, il y a toujours des insatisfaits. Guillermo Teillier, secrétaire général du Parti communiste, a déclaré à la presse: «Personne n’a rien demandé au véritable protagoniste, au peuple.» Ni son parti, ni le Parti progressiste, ni plusieurs membres du Frente Amplio ne soutiennent ce qui a été convenu lors de la réunion du Congrès le 15 novembre.
Au même titre, l’opposition a été exprimée par l’Unité sociale – composée de plus d’une centaine d’organisations sociales et, dans une large mesure, protagoniste des mobilisations qui ont lieu depuis le 18 octobre – qui considère que l’accord «a été conclu entre quatre murs et derrière le dos des mouvements sociaux» et «fait sur mesure pour les partis politiques». Parmi les membres de l’Unité sociale figurent la Central Única de Trabajadores, les principales fédérations étudiantes du Chili, la Coordinadora Feminista 8Mars, la Coordinadora No+Afp [contre le système de retraite privatisé par capitalisation], ainsi que les organisations des peuples indigènes, de défense de l’environnement et des pobladores.
Les mouvements rejettent le quorum élevé «qui perpétue le veto des minorités», l’âge minimum de 18 ans pour participer au processus constituant, l’absence de mécanismes de participation plurinationale et de parité des sexes, et considèrent que les mécanismes de représentation et d’élection établis par ce Pacte sont «fonctionnels aux parties responsables de la crise politique et sociale actuelle». Au lieu de cela, ils ont appelé à la poursuite des assemblées populaires, des débats publics ouverts et des trawün dans tout le pays dans le cadre d’un processus qui conduise à une Assemblée constituante nationale «convoquée et élue par le peuple, sans intervention du Congrès ou de l’exécutif en place».
(Article publié par l’hebdomaire Brecha, le 6 décembre 2019; traduction pour A l’Encontre de Ruben Navarro)
10 - décembre - 2019