Les barrios ne descendent pas

21/04/2014
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Journaliste et historien des médias, diplômé de l’Université Centrale du Venezuela (UCV). Prix National de Journalisme. Directeur du journal Últimas Noticias (centre, critique du gouvernement) depuis 2001. Professeur titulaire de l’UCV, dont il dirigea la faculté de communications sociales (1983-86). Président de l’Association Vénézuélienne des Journalistes.
 
Il y a peu, un matin de mars, je recevais un journaliste européen, parmi tous ceux qui visitent le Venezuela lorsqu’il fait l¨actu¨. Certains d’entre eux visitent les médias pour recueillir des témoignages et des opinions qui les aident à se faire une idée plus complète de la situation du pays pour les reportages, chroniques ou articles qu’ils doivent envoyer dans leurs pays. A une de ses questions, j’ai parlé des ¨guarimbas¨ (barrages violents des militants de droite), de leur composition de classe, de leur localisation à Caracas et dans d’autres villes, toujours dans des secteurs où vivent des familles de classe moyenne et gouvernées par des maires de partis d’opposition, ainsi que de leur éventuel financement, qui fait aujourd’hui l’objet d’une enquête du Parquet.
 
Le bureau du directeur de Últimas Noticias possède de grandes baies vitrées qui donnent sur de vastes zones de Petare, avec ses collines peuplées de barrios (quartiers populaires) et d’immeubles résidentiels et industriels. Le journaliste me les montra et m’interrogea “Et là ? Ils ne montent pas de guarimbas ?
 
Je lui ai expliqué. Dans ces barrios, quartiers populaires, pas de guarimbas, pas de barrages, pas de violences. Malgré leurs efforts, ils n’ont pas réussi à attirer les jeunes ni à les enrôler. Le journaliste ne comprenait pas. Si les violences visaient la pénurie, la faim, les mauvaises conditions de vie, etc… comme l’affirment les médias internationaux, jusqu’á en faire l’image même du Venezuela pour la majorité de ceux qui vivent hors de notre pays -, pourquoi les plus pauvres de Caracas étaient-ils absents de ces manifestations, pourquoi ne participaient-ils pas aux actes de violence ?
 
Aerial view of Venezuela's biggest slum of Petare in Caracas
 
Je lui ai dit qu’il est vrai qu’il y a des pénuries et que je crois que c’est le problème numéro un du pays, de devoir faire de longues files pour accéder à beaucoup d’aliments et de produits de première nécessité, mais qu’ils ont les moyens de les acheter; le problème est de les trouver, difficulté qui n’est pas limitée aux quartiers populaires, puisque différents niveaux de la classe moyenne ont aussi des difficultés pour acquérir certains produits.
 
Je lui ai raconté ce qui s’est passé à Caracas en février 1989. Un matin, dans une agglomération voisine, Guarenas, les gens ont commencé à protester violemment lorsqu’ils apprirent que la hausse des prix du transport jusqu’à la capitale. En peu de temps, la protestation s’étendit avec férocité et commencèrent les pillages des commerces. Des milliers de personnes, au départ venues des quartiers populaires, ensuite d’autres classes, sortaient de magasins et de centres commerciaux les bras chargés de tout ce qu’ils trouvaient. Cela dura trois jours. Les forces de police et la Garde Nationale ne purent l’empêcher, on vit même en certains lieux la police mettre de l’ordre pour que les pillages se déroulent normalement ! Finalement le gouvernement lâcha l’armée pour contenir la population. On parla officiellement de 500 morts mais d’autres estimations s’élèvent à plusieurs milliers de victimes.
 
Ce massacre de deux à trois mille personnes par l’armée fut ordonné par le président social-démocrate Carlos Andrés Pérez pour écraser la rébellion populaire anti-FMI du 27 février 1989.
 
Ce massacre de deux à trois mille personnes par l’armée fut ordonné par le président social-démocrate Carlos Andrés Pérez pour écraser la rébellion populaire anti-FMI du 27 février 1989.
 
Il y a une grande différence : à l’époque les magasins étaient bien fournis mais les gens pauvres, quasi la moitié de la population, n’avait pas de quoi acheter. Aujourd’hui ils ont de quoi acheter, malgré certaines pénuries actuelles.
 
Le collègue fut surpris.
 
L’ explication réside dans quelques statistiques. Par exemple le revenu mensuel d’une famille en 2011 était de 4.282 Bolivars; un an plus tard ils avait augmenté à 6.252 bolivars, et au 31 décembre 2013 il est de 8.514 bolivars. Soit un doublement du revenu en deux ans seulement.
Quant au nombre d’inscrits à l’université, puisqu’on a tenté de faire croire qu’un ¨mouvement étudiant¨ était à l’avant-garde des manifestations : en 2000 il y avait 862 mille 862 étudiants dans les universités, en 2005 ils étaient un million 526 mille 625 et en 2013, 2 millions 629 mille 312. Même courbe ascendante pour les investissements sociaux : de 11 milliards 458 millions mensuels en 2005 à 134 milliards 414 millions l’an passé. En matiére de santé on est passé de 8 milliards en 2005 à prés de 89 milliards en 2013. Bien que ce secteur présente encore des failles.
 
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Le fait qu’il y ait une meilleure protection sociale pour les pauvres – grâce aux énormes investissements – et qu’aujourd’hui – y compris les personnes âgées – vivent mieux qu’il y a 10 ou 15 ans, explique pourquoi les barrios, soit 80 % de la population, ne sont pas descendus des collines pour se joindre aux manifestations de la classe moyenne; ni à la version pacifique d’un secteur majoritaire de la droite, ni à la version violente.
 
J’ignore ce que le journaliste écrivit pour son journal.
 
 
- Eleazar Diaz Rangel, ultimasnoticias.com.ve
Traduction de l’espagnol : Thierry Deronne
 
22 avril 2014
 
https://www.alainet.org/es/node/84955
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