La révolution silencieuse
23/04/2014
- Opinión
Anba frechè limyè zetwal
Nan randone boujon bèl flè ak rizèt lawouze
Samdi 24 jiyè a setè diswa nan Legliz Sakrekè
Yasmin ak Bòb ta kontan kè kontan
Pou tout lafanmi Titis ak Dirèt ak zanmi toupatou
Ta la ansanm pou ride yo trese
Yon bouke riban lanmou san bout
Texte de Rassoul Labuchin
Nan randone boujon bèl flè ak rizèt lawouze
Samdi 24 jiyè a setè diswa nan Legliz Sakrekè
Yasmin ak Bòb ta kontan kè kontan
Pou tout lafanmi Titis ak Dirèt ak zanmi toupatou
Ta la ansanm pou ride yo trese
Yon bouke riban lanmou san bout
Texte de Rassoul Labuchin
C’était en juillet 1981 et c’était l’un des premiers cartons d’invitation à un mariage écrit en créole. Il y en a eu certainement d’autres depuis mais le phénomène restait très rare à l’époque. Un ami ayant reçu le carton m’avait appelé pour me dire qu’il n’en comprenait pas le libellé. Je lui ai lu le contenu à haute voix pour qu’il puisse comprendre la langue maternelle qu’il parlait mais ne lisait pas.
A l’avance, j’avais signifié au prêtre célébrant mon mariage que je ne voulais pas d’un mot français prononcé durant la cérémonie. Je suppose qu’il est sorti ravi de l’expérience, car son sermon en créole a été applaudi, chose inédite dans une église catholique à Port-au-Prince.
Ma plus grande satisfaction d’avoir choisi de faire une cérémonie en créole m’est venu de façon insolite. Deux ans plus tard, 1h45 de l’après-midi, je suis au bureau de douane de Port-au-Prince et je me résignais déjà à ne pas pouvoir dédouaner un conteneur avant la fermeture à 2h. Un employé de la douane m’approche et me demande s’il pouvait m’aider. Surpris je lui dis, avec beaucoup d’audace, qu’il fallait absolument que je sorte ce conteneur de la douane avant la fermeture. Il m’a regardé avec un sourire et m’a dit : « Vous ne me connaissez pas, mais moi je vous connais. Je suis un membre de la chorale de l’église du Sacré-Cœur et j’ai beaucoup apprécié que vous ayez exigé que toutes les chansons chantées durant votre cérémonie de mariage soient en créole. Je vais vous aider ». J’ai réussi in extremis à sortir le conteneur.
Depuis, le créole a fait son petit bonhomme de chemin et a conquis ses lettres de noblesse dans la culture et la société ainsi que dans les communautés haïtiennes d’outre-mer. On se souvient de Radio Haïti Inter où feu Jean Dominique a été l’un des pionniers dans la diffusion de nouvelles en créole. Aujourd’hui, le créole occupe une plus grande place que le français dans toutes les stations de télévision et de radio. Les responsables de communication dans le pays ont fini par accepter que la langue parlée par la majorité des haïtiens est sans nul doute le créole et l’ont pris pour acquis. Très peu de publicités sont diffusées en français. Le phénomène Bicha a fait école. Au rythme des musiques racines ou konpa, il existe des spots publicitaires en créole qui sont des chefs-d’œuvre musicaux et littéraires ; feu François Latour a marqué de très belle manière la publicité en créole. Le succès retentissant qu’a connu la pièce de théâtre « Pèlin Tèt » de Frankétienne demeure mémorable dans l’histoire du théâtre haïtien avec un record de 33 représentations. Les contributions du linguiste Pierre Vernet et de la réforme de Joseph Bernard sont inestimables et demeurent pertinentes. Qu’il s’agisse de l’église catholique, protestante, baptiste, adventiste, pentecôtiste ou autres, grâce au créole, la parole de Dieu est devenue, au sens propre et au figuré, musique à l’oreille des fidèles. Longtemps avant ces églises, le vodou s’est approprié naturellement la langue. La bible a été traduite en créole. Les documents comptables, les procès verbaux des réunions ainsi que toutes autres pièces de certaines organisations paysannes comme les mutuelles de solidarité de KNFP (Konsèy Nasyonal Finansman Popilè) sont strictement en créole, d’autant plus que toutes les décisions sont prises dans ces mutuelles en assemblée générale dans cette seule langue qui facilite ainsi la vraie démocratie. Les leaders politiques s’évertuent à utiliser la langue créole comme outil de communication alors qu’auparavant on pourrait parier qu’ils voulaient s’assurer que le peuple ne comprenne rien de leur discours en français. La constitution de 1987 reconnait le créole comme langue officielle. En 1992, le passeport haïtien est émis pour la première fois en créole et en français. A date, c’est le seul acte de l’état civil qui soit en créole. Autant de jalons qu’a posés le créole après une longue traversée du désert.
Mais, le créole écrit tarde à emboiter le pas au créole parlé. En effet, depuis Dezafi de Frankétienne, combien de romans en créole ont été publiés par nos écrivains haïtiens ? Combien de livres didactiques ont été publiés en créole ? Combien de journaux ou magazines sont édités en créole ? Existe-t-il un concours pour les œuvres en créole ? Pourquoi l’Académie du Créole est-elle encore en gestation ? Le fait même que je doive écrire en français pour parler du créole, donne une idée sur la complexité des rapports que la société haïtienne tisse avec sa propre langue maternelle : cet article aurait très peu de chances d’être publié s’il était écrit en créole ! [1]
Par bonheur, il se passe silencieusement quelque chose d’extraordinaire dans l’utilisation de la langue créole écrite en Haïti. Une certaine libération de la parole et de la pensée est en train de provoquer un divorce de fait avec la langue française. L’introduction du téléphone portable et des messages (SMS, BBM etc.) dans les coins les plus reculés du pays, a provoqué une nouvelle manière de communiquer entre une grande majorité d’haïtiens de toutes les couches sociales. Puisque le SMS, par exemple, est moins cher et qu’après 5 communications payées on en obtient 50 gratuitement, il est devenu le moyen de communication par excellence pour beaucoup d’haïtiens plus particulièrement pour les jeunes. Ainsi le créole écrit, de plus en plus, en vient à occuper un espace certain dans les coutumes et la manière de penser pour beaucoup d’haïtiens. Sans aucune inhibition, sans retenue, en abréviation improvisée et sans se soucier des fautes de grammaire ou d’orthographe, une grande majorité de créolophones sont en train de se défaire du carcan de la langue française pour s’exprimer librement avec toute l’inventivité de cette langue imagée. Le créole est réinventé, repensé et, avec, la société haïtienne elle-même.
L’histoire de la colonisation nous apprend que les langues ont été et sont encore un outil de domination des peuples. Imposer une langue étrangère à une population, est une manière d’essayer de lui transmettre une façon de penser et d’être qui n’est pas la sienne ; en quelque sorte la soumettre. S’exprimer dans une langue qui est sienne et sans se sentir dévalorisé, est une révolution dans toute l’acception du terme. Il y a là une estime de soi qui est fondamentale pour tout être humain et pour tout peuple.
Si la révolution de 1804 a triomphé par les armes et la force, celle qui se passe aujourd’hui en Haïti est silencieuse mais tout aussi profonde et significative. A l’instar de la période d’isolement et d’ostracisme d’Haïti après 1804, une nouvelle langue prend corps et évolue en Haïti sans tuteur, sans aucune influence, ou presque, de l’extérieur.
Face à un matraquage systématique de cultures et de langues étrangères venant de divers horizons « blan », les haïtiens se sont retranchés derrière ce qu’ils ont de plus sacré et qui les caractérise le mieux : leur langue créole.
- Marcel Duret est Ex Ambassadeur d’Haïti à Tokyo
[1] NDLR : Pas valable pour AlterPresse
23 avril 2014
Source AlterPresse:
https://www.alainet.org/es/node/85021
Del mismo autor
- Pour une sortie de crise 12/11/2015
- La révolution silencieuse 23/04/2014
- Chavez and the world 18/03/2013
- Chavez et le monde 16/03/2013