La Presse se regarde dans un miroir
05/05/2014
- Opinión
A l’initiative de l’association nationale des médias haïtiens (Anmh), journalistes et patrons de presse ont réfléchi et échangé, le lundi 5 mai 2014 à Pétionville, sur l’évolution de la presse dans la conjoncture actuelle en Haïti, en marge de la journée mondiale de la liberté de presse le 3 mai dernier, a observé l’agence en ligne AlterPresse.
Situation objective de la liberté de la presse, conditions d’exercice du métier de journaliste, financement des médias, salaire des journalistes, problématique de la carrière de journalisme, émiettement de l’opinion comme résultat du pullulement des médias, sont autant de thèmes agités dans une ambiance d’auto-critique.
Liliane Pierre Paul, présidente de l’Anmh, encourage les journalistes à faire preuve de davantage de professionnalisme, sans sombrer dans le sensationnalisme.
« C’est un rempart efficace contre les intimidations, contre l’arbitraire. Ainsi, aurons-nous le peuple comme témoin privilégié de notre travail correct », souligne l’actuelle présidente de l’Anmh.
Plusieurs participants insistent sur l’opportunité, offerte par cet espace de réflexion, de « pouvoir se regarder dans un miroir ».
Hérold Jean-François, directeur général de Radio Ibo, relève combien, aujourd’hui, la presse n’est plus critiquée « uniquement par les secteurs [la] détestant, mais par la presse elle-même ».
Invitant à sortir des réflexions, liées au calendrier, la journaliste Nicole Siméon propose la tenue « d’assises régulières du journalisme en Haïti ».
Salaire des journalistes et syndicalisme
Jean-François reconnaît que des journalistes peuvent se retrouver dans des conditions salariales peu enviables.
Cependant, évoquant « la loi de l’offre et de la demande », le patron de Radio Ibo estime qu’en acteur rationnel, un journaliste en situation de bas salaire doit chercher son bonheur dans une entreprise médiatique lui proposant un meilleur traitement.
« Les médias n’échappent pas à la réalité des bas salaires », constate Jean-François.
Un journaliste, reporter d’une chaîne de télévision privée, informe que certains de ses collègues perçoivent des salaires de 4 à 5 mille gourdes (US $ 1.00 = 46.00 gourdes ; 1 euro = 65.00 gourdes).
La pratique du « journalisme de marché » - consistant à échanger l’espace médiatique contre de l’argent - a été dans les débats.
Cette pratique aurait pour double cause : un mauvais traitement salarial et la négation de tout principe d’éthique, dans le métier, par la ou le journaliste en question.
Voyant les journalistes comme « une élite », « des travailleurs intellectuels » Pierre-Paul met en garde contre tout discours caricatural du journalisme.
La nécessité de mettre en place un syndicat de journalistes est donc actuelle.
Jacques Desrosiers, président de l’association des journalistes haïtiens (Ajh), rappelle que l’Ajh a aussi une mission syndicale, selon ses statuts.
Desrosiers annonce également l’envoi prochain d’une lettre à l’Anmh pour discuter de la question de la convention collective sur les salaires des journalistes.
Eddy Jackson Alexis, ancien dirigeant de l’Ajh, appelle, pour cela, les jeunes journalistes à renforcer l’organisation, en la rejoignant.
Le financement des médias
La majorité des médias haïtiens sont des entreprises commerciales, qui dépendent de la publicité.
Marvel Dandin, directeur général de Radio Kiskeya, trouve « anormal que des médias - qui sont enregistrés sous d’autres titres - fassent une concurrence déloyale aux médias commerciaux ».
Et si l’Etat financerait les médias haïtiens ? Comment ces médias financés garantiraient-ils leur indépendance ?
Il doit s’agir d’une rubrique, établie clairement dans le budget de la république, et non d’une quelconque faveur d’un gouvernement en place, précise Lilianne Pierre-Paul.
En tout cas, certaines participantes et certains participants déplorent la trop grande présence des spots publicitaires dans les éditions de nouvelles.
« Etant des moments de grande écoute, les commanditaires ou leurs agences jettent, quasiment tous, leur dévolu sur les journaux d’informations », confie un patron de média.
Caractéristiques des médias en Haïti
Le secteur des médias en Haïti serait caractérisé par des présences - journalistes, médias, patrons de presse - et des absences, considère le journaliste consultant français Daniel Fra, s’inspirant des discussions du lundi 5 mai 2014 à Pétionville.
Les absences seraient : un organe d’autorégulation, une commission d’attribution de la carte de presse, une université ou un centre de recherche scientifique sur le journalisme, un cadre juridique, un syndicat, une convention collective.
« Les absences constituent des éléments à utiliser pour mettre en place une véritable politique des médias », soutient Fra, qui a suivi les échanges du 5 mai 2014.
Les médias et la conjoncture actuelle
L’évolution des médias dans la conjoncture actuelle est marquée par le « malin plaisir » des autorités gouvernementales à « humilier, agresser verbalement et physiquement des journalistes ».
L’agression du journaliste Gotson Pierre, par le candidat à la présidence Joseph Michel Martelly, en pleine campagne électorale, l’arrogant « taisez-vous » lancé à la presse par Martelly devenu président, le tchuipe (geste de dédain) à l’endroit du journaliste Eddy Jackson Alexis, les injures à la mère du journaliste Etienne Germain, l’agression physique du journaliste Rodrigue Lalanne par un agent de sécurité du président, les menaces du ministre de la communication Rudy Hériveaux, le mépris de Marie Carmelle Jean-Marie, ministre des finances sans décharge : la liste des attaques contre la presse est longue depuis l’arrivée, en mai 2011, de Martelly à la présidence.
Et, en plus, depuis quelques temps, des journalistes reçoivent des lettres de menaces, contenant des projectiles.
« Si nous ne nous renforçons pas, nous nous réveillerons, un matin, comme au temps de la dictature des Duvalier », prévient un cadre administratif d’un média.
Positionnant l’Anmh comme une association, favorable à la conjugaison de toutes les forces du secteur, sa présidente plaide pour « une politique réelle du respect de la liberté de la presse, et non une propagande 2.0 pour la consommation internationale ».
Il ne saurait y avoir d’impunité pour les persécuteurs de la presse, a soutenu le secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (Onu), le Sud-coréen Ban Ki Moon, à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, le samedi 3 mai 2014.
https://www.alainet.org/es/node/85400
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