La terre, un terreau pour la paix

13/10/2010
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“Notre écosystème appartient à l’humanité”
 « Si le complexe problème de l’accès à la terre n’est pas résolu, il est difficile d’espérer qu’une solution politique du conflit armé et social puisse donner des fruits en Colombie ». Telle est l’hypothèse centrale de Rafael Figueroa Rincón, avocat colombien et membre du Programme Suisse pour la Promotion de la Paix en Colombie (SUIPPCOL). Cette plateforme regroupe onze ONG suisses actives dans ce pays sud-américain et compte avec l’appui du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). “Les communautés ont décidés d’exercer leur droit à la participation directe dans les discussions sur les politiques publiques à grande échelle, sur des thèmes qui les affecteront dans le futur, comme l’exploitation des hydrocarbures, les concessions minières ou la construction de grandes œuvres d’infrastructure, entre autres”, souligne Figueroa pour commencer cet entretien exclusif.
 
Q: Pourquoi la terre joue-t-elle un rôle si important dans la Colombie actuelle?
 
R: Le contrôle des ressources naturelles qui se trouvent dans les territoires des communautés, leur accès ainsi que l’appropriation de terres des communautés sont le butin de la guerre en Colombie. Elles sont accumulées par les élites et les pouvoirs régionaux qui contrôlent de véritables armées privées, ainsi que le pouvoir politique et économique au niveau local. Dans ce contexte de conflit armé et de dépouillement des communautés, se développent en plus de grands investissements privés, dans de nombreux cas d’intérêts multinationaux, ce qui, bien sûr, accentue le problème.
Les 31 communautés et organisations qui font partie du Réseau des Initiatives et Communautés Pour la Paix depuis la Base n’ont pas seulement été victimes de la violence et du conflit armé, mais principalement du dépouillement de leurs terres et des ressources qui existent dans leurs territoires. Même des représentants du nouveau gouvernement ont identifié ces deux thèmes comme la pierre angulaire du conflit armé.
 
Construirela paix depuis le territoire
 
Q: Pouvez-vous donner un exemple concret pour mieux comprendre de telles affirmation?
R. Un exemple très concret est le vol des terres des communautés paysannes de *El Garzal*, au sud du département de Bolivar. Ces communautés, qui vivent depuis plus de 50 ans sur leurs terres en se dédiant exclusivement à la production vivrière, ont été durant les 10 dernières années l’objet de pressions illégales, de menaces et de disparitions forcées. Et ont mêmes été victimes de l’utilisation de la justice et des autorités locales, qui cherchent à déplacer plus de 300 familles paysannes et à les dépouiller définitivement de leurs terres. Avec pour objectif de remettre ces parcelles à un ancien commandant paramilitaire du Bloc Central Bolivar, qui a dominé publiquement et ouvertement la région du Magdalena Medio durant plus de sept ans. Cette personne ne s’est jamais démobilisée ni livrée à la justice, mais est demeurée, au contraire, dans la vie civile et a fondé une compagnie de culture du palmier à huile. Et c’est cette entreprise qui promeut toutes les actions illégales contre les communautés.
 
Le Territoire: la “Mère-Terre” même
Q. Dans d’autres pays d’Amérique Latine, les mouvements sociaux mettent l’accent sur la terre et la réforme agraire comme principale bannière revendicative et stratégique. Mais ils se réfèrent beaucoup moins au concept de territoire. Que signifie, dans votre perception colombienne, cette notion de “territoire”?
 
R. En général, on présente le territoire comme le lieu et le corps où les communautés paysannes, les minorités ethniques et les femmes tissent leur vie collective, culturelle, économique, sociale et politique. Le territoire est un horizon beaucoup plus large que le concept de terre, qui, de manière presque exclusive, se réfère à un espace physique délimité, situé en zone rurale, et qui peut être exploité économiquement pour la production ou l’exploitation des ressources qui s’y trouvent. Le territoire inclut bien sûr la terre, mais il va au-delà, parce qu’il incorpore également tout le patrimoine immatériel généré par les communautés qui l’ont habité et conservé, qui le chantent dans leurs chansons, qui le représentent dans leurs histoires, l’ont fait partie de leurs us et coutumes, de leurs langues et dictons populaires. Les revendications actuelles en Colombie se dirigent de plus en plus non seulement à la réforme agraire, à l’accès et à la démocratisation de la terre, mais en plus elles exigent la reconnaissance d’un statut spécial du territoire, politique et juridique, ainsi que des droits qui en découlent. Ces statuts ont même été recueillis comme instruments internationaux, comme dans la Convention 169 de l’Organisation International du Travail, ou dans la Déclaration des Peuples Indigènes des Nations Unies.
  
Q. Quelles sont les nouvelles perspectives qui se font jour avec le nouveau gouvernement de Manuel Santos, en relation à la terre et au territoire?
 
R. Le Gouvernement actuel a montré un changement par rapport au précédent en ce qui concerne la politique agraire. Nous sortons de 8 années de négation absolue de la part de l’ensemble de l’Etat de thèmes comme le vol ou l’extrême concentration de la terre – qui place la Colombie au 15e rang mondial de l’iniquité en matière de propriété de la terre. Plus grave encore a été l’absence de réparation et de restitution des terres arrachées aux presque 4 millions de déplacés. Aujourd’hui, le nouveau gouvernement, au contraire, a annoncé comme étant l’un des thèmes fondamentaux à résoudre le dépouillement et la restitution des terres aux victimes, au travers du lancement du projet de loi de restitution des terres volées.
Cependant, les bonnes intentions n’impliquent pas nécessairement une modification fondamentale de la politique agraire globale et des visions économiques de fond. Les communautés croient qu’avec ces politiques, on cherche à rendre plus efficaces les modèles économiques agroindustriels et extractifs qui ont été développés durant les 8 dernières années et qui, précisément, génèrent iniquité, concentration de la terre et abandon de l’économie paysanne.
Pour le gouvernement national ainsi que pour les organisations et communautés en Colombie, un défi fondamental consiste non seulement à générer le débat sur les aspects fondamentaux de la restitution et la formalisation de l’accès à la terre, mais également à ouvrir une véritable concertation sur le modèle économique, qui doit assurer la permanence des communautés paysannes, indigènes et afro-descendantes, ainsi que la souveraineté alimentaire du pays.
 
“Notre écosystème appartient à l’humanité”
Q : SUIPPCOL organise durant la seconde quinzaine d’octobre une champagne de sensibilisation en Suisse sur ces thématiques. Comment voyez-vous ces initiatives provenant de la communauté internationale?
 
R. La solidarité internationale directe joue un rôle fondamental pour la promotion des revendications légales et légitimes des communautés en Colombie en faveur de leurs terres et leurs territoires. La campagne en Suisse essaye de promouvoir un rapprochement entre la société civile helvétique et les communautés et organisations qui résistent au dépouillement et à l’exploitation irrationnelle de leurs ressources. Il est important que soit compris également comment un apport international visant à préserver ces territoires et écosystèmes, qui, pour leur valeur en terme environnementaux et alimentaires, devraient intéresser le monde entier, parce qu’ils appartiennent à l’humanité toute entière. Au travers de cette campagne, nous voulons promouvoir une initiative visant à convertir ces territoires en lieux protégés par la société civile suisse et par les autres organisations, peuples et personnes du monde, qui sont intéressés à la construction de la paix à partir du territoire. Il n’y a pas de doute que cela constituerait un pas fondamental pour la préservation de la terre et le territoire en Colombie, et, finalement, pour la construction d’une paix soutenable et durable. Les problèmes que nous affrontons dans notre pays ne pourront être résolus qu’au travers du rôle protagoniste de la société civile colombienne – et en particulier des communautés et organisations qui affrontent cette réalité au quotidien. Mais également avec la fraternité active d’autres peuples, organisations et personnes de bonne volonté du reste du monde.
 
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Sergio Ferrari, collaboration de presse de E-CHANGER, ONG de coopération solidaire présente en Colombie et membre de SUIPPCOL. Traduction Mathieu Glayre, E-CHANGER
 
PORTRAIT
 
Rafael Figueroa Rincón ,30 ans,  est avocat et coordinateur de la Stratégie d’incidence politique sur la Terre et le Territoire du programme SUIPPCOL depuis plus d’une année. Depuis sept ans, il mène des recherches et est actif dans le domaine des droits des minorités ethniques et les droits à la terre et au territoire. Il a accompagné de nombreuses communautés et organisations afro-colombiennes, indigènes et paysannes du pays, particulièrement dans les régions du Chocó, Guajira, Bolivar, Córdoba, Cauca, Magdalena Medio, Caquetá et Nariño. Actuellement sa tâche principale consiste à appuyer le Réseau d’Initiative et Communautés de Paix depuis la Base. Dans sa tentative de freiner le dépouillement de leurs terres et territoires par des groupes paramilitaires, les pouvoirs économiques et politiques locaux, ainsi que les grands projets d’extraction, agroindustriels et multinationaux. Les deux principales actions de cette stratégie sont l’incidence politique et l’action légale. (Sergio Ferrari)
 LA REVENDICATION DU TERRITOIRE
Le territoire a été défini de diverses manières par les différents secteurs du Réseau d’Initiative et Communautés de Paix depuis la Base qu’accompagne SUIPPCOL.
Pour les communautés indigènes, le territoire est l’espace de vie, de survie sociale et culturelle, c’est la *Pacha Mama*, la Mère Terre. C’est le monde à partir duquel les être humains entrent en relation avec les esprits des plantes, des animaux et de tous ce qui se meut dans cet environnement.
Pour les communautés noires du Pacifique colombien, le territoire prend son sens dans le cadre d’une relation particulière entre la communauté, les êtres humains et la nature, relation dans laquelle celle-là n’est pas seulement ce qui environne l’être humain, en ce sens que tant les individus comme la communauté sont des sujets qui font partie de la nature.
Pour les communautés paysannes, le territoire est une espace et une scène de cohésion, de mobilisation et de transformation sociale, où elles ont généré des expériences autonomes et endogènes de développement, qui intègrent des éléments stratégiques de défense de l’espace et de ces ressources naturelles, ainsi que de nouvelles formes d’organisation sociales, afin d’exercer le pouvoir et le contrôle de leurs régions.
Pour les femmes, le corps comme leur premier territoire est traversé par diverses formes de violence et par la guerre. De là, la nécessité de reconnaître et d’identifier les différentes violences contre le corps afin de pouvoir le récupérer en tant que territoire reconnu, autonome et comme espace de vie en commun quotidienne. (SFi)
https://www.alainet.org/fr/active/41587
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