Retour sur la participation d’Haïti au 21e sommet ibéro-américain

Haïti en Amérique Latine : Un revenant à invoquer ou une histoire à revendiquer ?

08/11/2011
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Lors du 21e sommet ibéro-américain, tenu à Asunción (Paraguay) les 28 et 29 octobre 2011, des chefs d’État et de gouvernement de pays latino-américains ont fait des promesses à Haïti, allant dans le sens d’un renforcement de leur coopération avec la république caribéenne, selon les informations rassemblées par l’agence en ligne AlterPresse.

Cette attitude traduit, une fois de plus, l’intérêt de l’Amérique latine de se rapprocher d’Haïti et de renouer ses liens historiques avec le frère ainé.

S’agit-il d’invoquer un revenant ou de rendre justice à une histoire ?

Une histoire entre négation et affirmation

À l’aube de l’histoire de l’Amérique latine comme région indépendante, Haïti se présenta comme la nation « aimée » [1] du libertador Simón Bolívar, selon l’expression du philosophe mexicain Leopoldo Zea.

Cependant, le frère ainé et aimé n’a pas été invité au premier congrès panaméricain qui, finalement, aura lieu à Panama le 22 juin 1826.

Cette « exclusion » d’Haïti, par celui qui fut largement aidé par la première république noire dans sa lutte pour l’indépendance sud-américaine, a été considérée comme l’une des premières fissures dans les rapports historiques entre Haïti et l’Amérique Latine, en dépit de l’argument du libertador, selon lequel il voulait d’abord unir l’Amérique colonisée par l’Espagne et, ensuite, étendre cette union aux autres pays du continent.

Nonobstant l’opposition de Bolívar à la participation des États-Unis d’Amérique à la réunion de Panamá [2], le puissant voisin du Nord assistera au Congrès où il demandera de façon expresse, à travers son secrétaire d’État Henry Clay, aux nations latino-américaines de s’opposer à la reconnaissance de l’indépendance d’Haïti.

Malheureusement, la jeune nation haïtienne n’y était pas invitée ; donc, elle ne pouvait pas défendre sa liberté, conquise au prix de tant de sacrifices, et solliciter l’appui des autres pays frères.

Haïti existe comme un spectre

L’histoire d’Haïti en Amérique Latine, voire dans le monde, sera fortement marquée à feu et à sang par la négation de son histoire (qu’on pourrait appeler à juste titre historicide) par le puissant voisin du Nord et d’autres puissances colonialistes.

Par rapport à Haïti, l’Amérique Latine oscillera au cours de son histoire entre ces deux forces : d’une part, l’« imposition » nord-américaine d’exclure Haïti et de nier son existence et son histoire ; d’autre part, sa reconnaissance envers le premier pays libre de la région (le frère ainé) qui s’est montré solidaire d’elle et ce, contre les puissances colonialistes de l’époque.

Il s’agit d’une généalogie contradictoire de la vision de l’Amérique Latine au sujet d’Haïti. Le pays caribéen est de plus en plus vu comme un spectre qui traverse et survole l’histoire de l’Amérique Latine, mais sans y occuper une place bien déterminée.

Par exemple, Ayiti (ou Hispaniola, selon les colonisateurs espagnols) passe dans l’histoire latino-américaine comme la première Île, où s’établit Christophe Colomb dans le « Nouveau Monde », le 5 décembre 1492. Les habitants de cette Île, les Arawaks, sont aussi les premiers à être victimes du génocide, commis par les colonisateurs espagnols contre ces « sous-hommes ».

Le défenseur des indiens, Bartolomé de las Casas, s’inspira largement de cette épisode historique pour illustrer la férocité des colonisateurs espagnols à l’endroit des indiens [3] qui, pourtant, avaient fait preuve d’hospitalité à l’égard des européens.

L’histoire de l’Île Ayiti n’est évoquée qu’en fonction d’une autre histoire (celle des indiens dans l’Amérique hispanique) et d’une autre cause : le statut et le traitement humains à accorder aux indiens du « Nouveau Monde ».

De même, l’Histoire (concrètement en Amérique Latine) ne retient pas, comme l’a très bien souligné l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano [4], le nom d’Haïti ni comme le premier pays libre de l’Amérique (mais plutôt les États-Unis d’Amérique), ni comme la première république qui a aboli l’esclavage (sinon l’Angleterre).

Dans l’imaginaire latino-américain, Haïti « existe » bel et bien, mais comme un spectre.

En fait, dans notre « errance » latino-américaine depuis près de 15 années, nous confirmons de plus en plus que bon nombre de citoyennes et citoyens sud-américains ne savent même pas dans quel continent se situe Haïti.

En outre, la grande majorité des médias de la région parlent de la république caribéenne comme un moribond, un malade agonisant, un pays qui trépasse.

Un revenant à invoquer ou une histoire à revendiquer ?

La reconnaissance, maintes fois exprimée à Haïti par des chefs d’État des pays de l’Amérique Latine pour sa contribution à leur indépendance de l’Espagne, constitue un effort (à applaudir) pour donner existence concrète à ce spectre ou ce « mort vivant ».

La volonté de ces pays latino-américains d’accroitre leur coopération avec Haïti, en ce moment sombre que traverse le pays dévasté par le tremblement de terre du 12 janvier 2010, pourrait se limiter simplement à « invoquer un revenant », si elle ne s’accompagne pas d’actions concrètes, surtout dans le sens de rendre justice à ce « petit grand pays » qui a contribué – si modestement soit-il - à l’histoire sud-américaine.

Avant tout, il faudrait rétablir Haïti dans le concert des nations latino-américaines, en lui donnant la place qu’il mérite. Il s’agit de revendiquer l’histoire d’Haïti comme étant partie intégrante de l’histoire latino-américaine. Ce n’est pas sans raison que la majorité des citoyens latino-américains ne considère pas les Haïtiens comme des « latinos », c’est-à-dire, comme des membres à part entière de l’Amérique Latine. L’exclusion « bolivarienne » de l’un des pays fondateurs d’une « latinoaméricanité » libre et indépendante continue.

L’intégration d’Haïti dans l’Amérique Latine, en vue d’une plus grande coopération réelle, respectueuse et efficace, passe par la réhabilitation de ce pays dans l’histoire de la région.

De cette réhabilitation pourrait surgir (ou sortir plus renforcée) une immense solidarité fraternelle qui n’est autre que « la tendresse des peuples ».

La coopération qui naît de la solidarité entre pays frères est différente de celle qui surgit du désir de domination, de violence, de violation de « droits humains », de l’injustice, de l’arrogance, de l’irrespect d’un pays envers l’autre.

Le défi est de reconstruire le passé et l’histoire en vue de mieux construire le futur. [wel gp apr 08/11/2011 16 :00]

[1] Leopoldo Zea, Filosofía de la historia americana, Fondo de Cultura Económica, México, 1978, p.195

[2] Voir : Simón Bolívar, “Carta al general F. de P. Santander”, Arequipa, 30 de mayo de 1825.

[3] Javier Giraldo, S.J., Derechos Humanos y Cristianismo. Trasfondos de un conflicto, Editorial Dykinson, Madrid, 2008, p. 54

[4] Eduardo Galeano, Texto leído el 27 de septiembre de 2011 por el escritor uruguayo en la Biblioteca Nacional en Montevideo en el marco de la mesa-debate “Haití y la respuesta latinoamericana”.

http://www.alterpresse.org/spip.php?article11865

 

https://www.alainet.org/fr/active/50762
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