ZLEA : migration et exclusion
31/07/2002
- Opinión
Ces dernières années, le nombre des immigrants qui ont cherché de meilleures conditions
de vie dans les pays riches, a augmenté. Ce phénomène se vérifie en Amérique Latine et
Centrale, dans les Caraïbes, en Afrique et en Asie. Il n'est pas difficile de faire la relation
entre l'augmentation des migrations et la mise en place de politiques néolibérales
d'ajustement structurel, les privatisations, la réduction des droits des travailleurs et les
politiques compensatoires.
Quelques données suffisent pour comprendre l'étendue du phénomène migratoire. Selon
l'OIT, plus de 120 millions d'immigrants se sont déplacés dans la décennie des années 90.
Dans certains pays, les chiffres continuent d'augmenter.
D'après les données du gouvernement péruvien, 2,2 millions de péruviens se trouvent à
l'extérieur des frontières, dont 75 % en situation irrégulière. Entre 250.000 et 300.000
émigrants sortent annuellement du Pérou à destination de l'Argentine, du Chili, du Japon,
de l'Italie, de l'Espagne et des Etats-Unis. La situation de l'Equateur voisin n'est pas
différente. Plus de 290.000 équatoriens ont quitté le pays entre les années 2000 et 2001,
en direction de l'Europe et des Etats-Unis. En Espagne, il y a 300.000 équatoriens dont la
moitié est « sans papiers » ou clandestins. 3 ;5 millions de mexicains se trouvent dans la
même situation aux Etats-Unis.
Le cas du Brésil n'est pas différent. Plus de 2 millions de brésiliens sont hors des
frontières, dont la moitié aux Etats-Unis. Au Japon, le nombre de brésiliens approche les
300.000. Concernant les brésiliens, ce sont les professions libérales qui émmigrent, en
général faute de perspectives au Brésil. Du point de vue social brésilien, ils sont
déclassés, c'est-à-dire qu'ils occupent des fonctions qui ne correspondent pas à leur
qualification professionnelle. Economiquement, dans le contexte brésilien, la plupart d'entre
eux progressent car, bien qu'ils occupent des emplois sous-qualifiés, ils réussissent à
épargner.
Face à ce phénomène qui déplace des millions de personnes, il est nécessaire de se
demander quelle est la cause profonde de cette situation.
La recherche de conditions de vie meilleures
Eduardo Tamayo, journaliste équatorien, interprète ainsi les déplacements :
« l'impossibilité de satisfaire les besoins fondamentaux et l'énorme écart entre les maigres
ressources (pour la minorité qui a un emploi) et le coût élévé du panier de la ménagère
poussent non seulement les secteurs populaires, mais aussi les classes moyennes, à
chercher désespérément une issue dans l'émigration... Dans plusieurs des pays
mentionnés, s'applique le modèle du Fonds Monétaire qui conjugue des mesures
d'ajustement, la confiscation de l'épargne des citoyens par les mafias de la banque, la
corruption, le chômage et l'appauvrissement généralisé. Tout cela contribue à démanteler
les états nationaux et à les placer dans une situation de non-développement et de non-
futur. » (América Latina en movimientos, n° 352, avril 2002)
Les droits au travail, à l'alimentation, à la terre, au logement, à l'éducation et à l'information
sont bafoués. Ainsi, des millions de personnes sont contraintes à migrer continuellement, à
la recherche de conditions de vie meilleures.
La cause profonde est une « globalisation qui ne redistribue pas les richesses, qui
globalise le libre accès aux marchés, mais n'est pas solidaire ; qui élimine les barrières
commerciales, mais interdit la libre circulation des personnes ; qui défend le marché libre
comme un droit, mais qui empêche d'autant plus l'accès direct aux droit fondamentaux. »
(Déclaration de Bruxelles, juin 2002)
Dans le monde entier, croissent à la fois le nombre de pauvres et la concentration des
richesses. Le PIB mondial est estimé à 25 milliards de milliards de dollars, dont presque
18 pour les 7 pays les plus riches. Les 7 milliards de milliards restants correspondent au
PIB du reste du monde, soit plus de 180 pays. Des 500 plus grandes entreprises du
monde qui possèdent 3 % du PIB mondial, 85 % se trouvent aux Etats-Unis. Ce pays, avec
à peine 4 % de la population mondiale, contrôle 22 % des richesses de la planète.
Pour continuer à dominer le monde, les Etats-Unis doivent étendre leur commerce, c'est-
à-dire vendre leurs produits à de nombreux pays, sans restrictions ou barrières
douanières. D'où la pression pour mettre en place la ZLEA, Zone de Libre Echange des
Amériques. Ce traité vise à résoudre les problèmes des produits des Etats-Unis, mais il
est loin d'apporter une solution aux problèmes sociaux de l'Amérique Latine. Au contraire,
s'il est mis en place, outre qu'il accentuera les problèmes sociaux, il détruira la production
nationale des pays, par l'augmentation du chômage et de l'émigration, la destruction de
l'économie familiale, l'éclatement familial et culturel, la déstabilisation des démocraties et
l'élargissement du fossé entre les majorités dépossédées et les minorités qui tiennent le
pouvoir, et il augmentera la dette externe des pays pauvres.
Il suffit de se pencher sur le cas du Mexique et d'examiner les conséquences de l'ALENA
sur ce pays. Bien que le PIB ait pas mal augmenté, les inégalités sociales se sont
exacerbées. Le nombre de mexicains qui gagnent moins que le salaire minimum a
augmenté d'un million. Huit millions de familles se sont appauvries et le nombre de
personnes qui vivent dans un état de pauvreté est passé de 49 % de la population à 75 %.
Dans la seule année 2000, 200.000 emplois ont été supprimés dans le secteur privé.
Globaliser la résistance
Contre un système global qui exclut un nombre toujours plus grand de personnes, seule
une lutte globale pourra indiquer des alternatives possibles. Par conséquent, la lutte contre
la ZLEA est notre lutte à tous. Le Plébiscite sur la ZLEA est un instrument important de
cette lutte. Il a pour objectifs de conscientiser et mobiliser le peuple, d'élever le niveau de
conscience politique, de changer le modèle économique actuel, de défendre la
souveraineté nationale, d'interdire la mise en place de l'accord sur la ZLEA et de contribuer
au débat et à la construction d'un projet populaire pour le Brésil.
Lors de la manifestation contre la ZLEA à Porto Alegre, en février 2002, pendant le 2ème
Forum Social Mondial, les engagements suivants ont été pris pour exprimer notre lutte
commune :
Lutter pour les droits fondamentaux de nos peuples : souveraineté, identité, autonomie et
liberté, satisfaction des besoins fondamentaux ; lutter contre le capital financier et ses
intérêts insatiables, contre le paiement de la dette externe, la manipulation économique et
la corruption politique. Bref, démasquer et combattre la ZLEA en participant au Plébiscite.
Du fait de leur culture, de leurs coutumes et des différentes formes qu'ils ont de se
manifester et d'exiger leurs droits, les émigrants qui partent aujourd'hui vers les pays
riches, apportent avec eux un grand potentiel transformateur et mobilisateur. Si nous
observons l'histoire, tout au long des siècles, nous constatons que les grandes évolutions
de l'humanité ont presque toujours été précédées de mouvements migratoires. L'exode
des émigrants vers les pays riches montre le besoin urgent de changements dans
l'économie et la politique des pays pauvres. Le capital financier qui se concentre dans les
pays riches, bien souvent grâce au paiement de la dette externe des pays pauvres, est
celui qui fait défaut à ces derniers pour créer des emplois, satisfaire les besoins
fondamentaux des populations, bref celui qui pourrait ouvrir de nouvelles perspectives et
éviter l'émigration.
Nous avons divers exemples de lutte des immigrants. Aux Etats-Unis, la Coalition de Lutte
pour les Droits des Immigrants « Sans Papiers » a organisé des manifestations de
quelques dizaines de milliers d'immigrés. Au Brésil, les immigrés renforcent la Campagne
Nationale pour une Nouvelle Loi sur les Etrangers en participant au Cri des Exclus, aux
Audiences Publiques, etc.
Il s'agit de stimuler et d'encourager les immigrants à participer aux luttes populaires, pour
que nous puissions tous être citoyens partout dans le monde. Si le capital financier ne veut
pas de frontières, pourquoi devrait-il exister des murs pour les immigrants ? Ces murs
peuvent être physiques mais aussi prendre la forme des nouvelles législations sur
l'immigration, toujours plus restrictives, comme c'est le cas aux Etats-Unis, en France, en
Italie, en Espagne, pour ne citer que ces pays.
Oui, il est nécessaire de globaliser la solidarité et la justice. La lutte des immigrants y
contribue certainement.
* Luiz Bassegio est secrétaire national du Service Pastoral des Migrants (SPM).
https://www.alainet.org/fr/articulo/108213
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