FSM 2004
Militarisation, guerre et paix
18/01/2004
- Opinión
Le 17 janvier, 18 heures : quatre membres de la délégation se
retrouvent sur le vaste espace extérieur, appelé Maidan, où
s'étaient rassemblés lors de la séance d'ouverture quelques milliers
de personnes. La nuit commence à tomber et la température se fait
plus clémente. Ce soir, l'auditoire est beaucoup plus réduit, voire
clairsemé, compte tenu de la dimension du lieu. Une fois passé le
temps des inévitables essais de la sono, les intervenants
apparaissent sur le très vaste podium, qui porte le nom d'un poète
indien, Faiz. Le programme, de nos voisins, car nous n'avons pu
accéder assez rapidement au stand de distribution de cette denrée
précieuse et rare, nous a déjà permis de nous informer de l'identité
des acteurs de l'événement : un Sud-africain, un Irakien, une
Vietnamienne, une Argentine, un Malaysien et un Coréen, auxquels est
venu s'ajouter un Palestinien ; les deux sexes et plusieurs
continents donc. Chacun parlera sa langue, ce qui signifie que les
langues autres que l'anglais seront traduites dans cette langue, et
que tous les exposés seront traduits en Hindi ; le temps de respirer
et d'échanger de premiers commentaires à voix basse.
Le sud-africain Dennis Brutus, militant des luttes contre
l'apartheid, et ancien détenu, fait office de président. Comme les
autres intervenants, c'est avec les mots de sa propre lutte,
derrière lesquels on reconnaît immédiatement la trajectoire de son
pays, qu'il aborde le thème de la conférence. La globalisation
néolibérale est le vecteur d'une mondialisation de l'apartheid,
devenu lui-même " global ". Exploitation et racisme sont les deux
faces de la même pièce, ou, si vous préférez du même billet, vert,
cela va sans dire.
Abduk Amir al Rekaby, intervenant irakien qui se réclame de la
" Coalition démocratique " (Democratic coalition), nous rappelle
qu'en Irak, la guerre n'a rien d'une abstraction puisqu'elle est
vécue au quotidien, ni d'une nouveauté car la société irakienne en
souffre depuis longtemps, tant dans la réalité nationale du pays que
dans les affrontements internationaux directs. Il en vient à douter
de la capacité du genre humain à s'organiser dans le respect mutuel
des individus et nations. L'histoire de l'Irak a fait la preuve, si
besoin était, que la dictature conduit au colonialisme, à la défaite
et à l'affaiblissement des capacités de résistance nationale. La
tâche à accomplir est immense et longue ; certes le fait du peuple
irakien, mais entre nos mains à nous tous que le forum a réunis.
Nguyen Binh, intervenante vietnamienne, dont le passé est lié à la
guerre de libération de son pays face à l'agression états-unienne,
établit directement le lien entre la guerre, plutôt les guerres, et
la mondialisation néolibérale et son cortège d'inégalités
croissantes et de misère. Sa formulation est nuancée, il s'agit
toujours de ce qu'elle appelle " le côté négatif de la
mondialisation ". L'histoire de son pays, et la manière dont il peut
percevoir les menaces qui pèsent actuellement sur lui, la conduisent
à souligner l'importance de la préservation de l'indépendance
nationale. L'espoir est bien entre les mains du mouvement
altermondialiste, mais il lui reste à s'organiser, à préciser ses
objectifs et coordonner ses efforts.
L'intervenant palestinien, dont le nom n'était pas précisé dans le
programme, peut-être Ziad Assad selon les oreilles les plus fines,
appartient à une association de secours médical. On ne surprendra
personne en affirmant qu'il introduit son exposé en rappelant que la
violence de la répression et de la guerre font le quotidien de son
peuple : une vieille histoire qui renvoie à la création d'Israël
mais dont les trois dernières années ont marqué une accentuation
paroxystique. Le mot " atrocité " lui vient naturellement à la
bouche. Et désormais, le mur, réplique monstrueuse, à une toute
autre échelle, du mur de Berlin. Pour les Palestiniens qui vivent à
proximité, ce qui est en jeu est non seulement la perte de la terre
mais la désarticulation de la vie quotidienne. C'est à faire tomber
ce mur que nous sommes invités.
Beverley Keene est une économiste argentine. Elle appartient au
" Jubilé sud " (Jubilee South). Certes, la guerre est en Irak, mais
c'est de guerre sociale dont il s'agit dans son pays, ou si l'on
préfère, d'un terrorisme économique et financier dont les armes sont
la misère et la faim. Jusqu'où faut-il pousser la métaphore ? Très
loin, si l'on en juge par le nombre des victimes, car ce terrorisme
économique tue massivement. Le service de la dette justifierait-il
tout ? C'est aux dictateurs, aux dirigeants corrompus et aux
créanciers eux-mêmes (qui en ont profité pour financer leurs
entreprises locales), qu'on doit ce fléau. Mais l'Argentine est
aussi " dans la guerre ", au sens premier du terme et sans effets
rhétoriques, par la présence croissante des forces états-uniennes,
dans leurs bases et à travers leur assistance dans l'exercice de la
répression. Pour Beverley Keene, au-delà des régions du monde et des
modalités-militaires, économiques ou sociales-c'est contre tous les
peuples que les États-Unis mènent cette guerre.
Chandra Muzaffar est un militant de la paix malais. C'est la
puissance militaire états-unienne qu'il met en avant : le plus grand
pouvoir militaire de l'histoire de l'humanité, dont l'objectif n'est
autre que le contrôle du monde. Et cela dans l'intérêt d'une élite
sociale soucieuse de l'accroissement de sa richesse, dans le cadre
d'un capitalisme qui est celui des sociétés transnationales et de la
finance, sans oublier, pour Chandra Muzaffar, le sionisme et
l'évangélisme chrétien (christian evangelism). Vient alors le
cortège des misères du monde : croissance des inégalités,
corruption, fonte des cultures dans le même moule, extrémisme
religieux. Selon l'enseignement du Bouddha, ce n'est pas par le feu
qu'on éteint le feu, entendez que la violence n'éteindra pas la
violence du monde. L'espoir est donc dans " le " mouvement, soit le
mouvement altermondialiste. Mais l'empire états-unien, en dépit de
sa puissance militaire, est faible, pense-t-il. On le verra quand
les créanciers des États-Unis vendront leurs bons du trésor. Le
recours à la guerre sans limite en fournirait bien la démonstration…
Geun Soo Hong est un membre de l'organisation " Solidarité pour la
paix et la réunification de la Corée " (Security for peace and
reunification of Korea). La guerre est, pour lui, latente dans la
division de la péninsule. Ce sont bien les États-Unis de George W.
Bush qui, par leur politique, constituent la menace principale sur
la paix entre les deux fractions du pays, bien plus, selon Geun Soo
Hong, que Kim Jong Il. Une fois encore, l'auditoire est invité à
contribuer, par son action militante, à la sauvegarde de la paix
dans le monde. Il nous appartient de réfuter les sophismes qui
gouvernent le nouveau militarisme : celui qui veut la paix ne doit
pas préparer la guerre ; la guerre n'est pas moins chère que la paix
[un argument qui devrait toucher les néolibéraux !]. La vie et
l'amour doivent gouverner le monde. Nous nous y retrouvons, car
c'est bien ce " nouveau monde possible " qui en train de se dévoiler
sous nos yeux, alors qu'un des metteurs en scène de l'événement
tourne un des dix panneaux qui composent la vaste fresque, située à
la gauche du podium. Elle montrait originellement une explosion
nucléaire : on voit ainsi se substituer au champignon atomique, la
figure enchanteresse d'un arbre énorme qu'ornent fleurs, fruits et
animaux. Seule nous déconcerte la figure d'un serpent enroulé autour
du tronc, évocateur, dans notre culture, d'un paradis dont nous
venons d'être exclus.
* Gérard Duménil, Jacques Weber. Attac France
http://www.france.attac.org/a2339
https://www.alainet.org/fr/articulo/109190
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