Un peu de lumière sur 20 ans de violence
Sortie du rapport de la Commission de la vérité et de la réconciliation
18/09/2003
- Opinión
Créée par un décret en date du 2 juin 2001 sous la
présidence intérimaire de Valentín Paniagua, la Commission
de la vérité - devenue ultérieurement Commission de la
vérité et de la réconciliation - était composée de 12
membres, dont 7 nommés par le président Paniagua et 5 par
l'actuel président Toledo. Elle a commencé le 8 avril 2002
l'auditon des victimes et des témoins de la violence qui a
sévi au Pérou de 1980 à 2000. Le nombre de victimes donné
par la Commission s'avère plus élevé que les estimations
habituelles. (DIAL)
La présentation du rapport de la Commission de la vérité et
de la réconciliation a soulevé des passions de toute espèce
car plusieurs officiers généraux à la retraite et des hommes
politiques en vue, liés à la stratégie antisubversive des
différents gouvernements, ont violé systématiquement les
droits humains, comme l'a fait également le Sentier
lumineux.
Le rapport final de la Commission de la vérité et de la
réconciliation qui porte sur les violations des droits
humains pendant deux décennies au Pérou a été la principale
nouvelle de la fin de la semaine passée [fin août] dans les
différents moyens de communication dans le monde.
Plus de 69.000 Péruviens sont morts ou ont disparu du fait
des groupes de guérilleros, des paramilitaires et des forces
armées dans la guerre intérieure qu'a connue le pays entre
1980 et 2000. Le président de la Commission de la vérité et
de la réconciliation, Salomón Lerner Febres, a eu des
paroles très dures : « La liste comprenant les noms de
dizaines de milliers de personnes que nous remettons à la
nation est démesurément longue », a-t-il dit. Il dénonça
ensuite un double scandale : l'assassinat, la disparition et
la torture à grande échelle, et l'inertie, l'incapacité et
l'indifférence de ceux qui pouvaient empêcher cette
catastrophe humanitaire et ne l'ont pas fait. Il a rendu le
Sentier lumineux responsable du conflit et a accusé les
forces armées et la police de crimes de lèse-humanité.
Trois victimes sur quatre ont été des paysans et des
paysannes dont la langue maternelle était le quechua. Il a
déclaré qu'on a trouvé de nombreuses preuves indiquant qui
sont les responsables de crimes graves. Elles seront remises
aux institutions compétentes pour que la loi soit appliquée.
Dans le rapport, on a rassemblé les actions entreprises par
les gouvernements qui ont vu le développement de la
violence : celui de Fernando Belaunde (1980-1985), de Alan
García (1985-1990), et celui du fugitif Fujimori (1990-
2000), sans manquer d'indiquer les responsabilités de chacun
à chaque période.
La Commission propose une série de recommandations afin de
satisfaire l'objectif de réconciliation du pays avec le
passé. Le président Alexandro Toledo a déclaré : « Nous ne
pouvons pas ouvrir les portes de l'avenir sans ouvrir celles
du passé, sans vengeance et sans impunité. » Il a parié en
faveur d'une justice sans pressions ni interférences afin
que soient jugés tous les responsables.
La publication du rapport a provoqué diverses réactions,
tant de la société civile que des représentants des
« pouvoirs durs », qui depuis plusieurs mois ont mené une
campagne d'opposition à la Commission de la vérité et de la
réconciliation. Il est explicable que le travail de la
Commission engendre des passions de toute espèce étant donné
que de nombreux officiers généraux à la retraite et des
hommes politiques en vue, liés à la stratégie antisubversive
des différents gouvernements, ont violé systématiquement les
droits humains comme l'a fait le mouvement terroriste du
Sentier lumineux.
Le père Gustavo Gutiérrez, promoteur de la théologie de la
libération, a souligné le professionnalisme des membres de
la Commission de la vérité. « Ces personnes sont des
personnalités reconnues à l'intérieur comme à l'extérieur du
Pérou pour leur crédibilité morale et intellectuelle, et
quand elles parlent des atrocités, elles se réfèrent à des
réalités qui ont existé et qu'on ne peut pas occulter plus
longtemps. » Le religieux a affirmé que « les inquiétudes
sont compréhensibles, mais qu'il faut éviter que les
institutions se solidarisent d'avance avec ceux qui, d'entre
leurs membres, ont violé la loi et les droits humains ».
Miguel Jugo, président de APRODEH (Association pour les
droits humains), a exprimé son soutien et son appui total
aux conclusions finales de la Commission de la vérité. Il a
salué l'engagement du président de travailler en faveur de
la justice, la réparation et le renforcement des droits
humains. Il a affirmé qu'il partageait le point de vue des
membres de la Commission de la vérité et de la
réconciliation sur la responsabilité politique présumée des
gouvernements de Fernando Belaunde et de Alan García dans
les événements qui ont porté atteinte aux droits humains
dans la décennie 90. Il a souligné que la Commission de la
vérité et de la réconciliation permettra de reconnaître les
responsabilités pénales d'Alberto Fujimori et de Vladimir
Montesinos.
La responsabilité de l'Église
Le comportement de l'Église catholique a également été
analysé par la Commission de la vérité et de la
réconciliation. Selon le rapport final de la Commission,
« l'archevêché de Ayacucho (dont avait la charge l'actuel
cardinal Cipriani, membre éminent de l'Opus Dei) n'a pas
défendu fermement les droits humains pendant la plus grande
partie du conflit armé ». Bien plus, le document en question
signale que l'archevêché, « pendant la plus grande partie du
conflit armé a mis des obstacles au travail des
organisations ecclésiales liées à cette question (la défense
des droits humains), en même temps qu'il niait la violation
des droits humains ».
Dans une autre partie du texte, il est souligné que l'Église
catholique comme institution a traduit son refus de la
violence terroriste en appuyant des activités de défense des
droits humains, moyennant des organisations comme la
Commission épiscopale d'action sociale (CEAS). En ce sens,
la commission a salué et a rendu hommage aux prêtres,
religieuses, fidèles catholiques et évangéliques qui ont
payé de leur vie la défense des droits humains. Cependant
elle a déploré que quelques autorités ecclésiastiques
n'aient pas réalisé honnêtement leur engagement pastoral.
Le directeur exécutif de la Coordination nationale des
droits humains (CNDDHH), Francisco Soberón, a déclaré :
« Nous qui avons suivi les faits depuis les années 80, nous
avons vu comment Cipriani a soutenu les familles de
disparus, tous ceux qui ont souffert des violations des
droits humains à Ayacucho. »
Ce rapport de la Commission a également un sens éducatif
pour les nouvelles générations, comme le souligne Tania
Pariona, membre de la coordination du JENATSO (Mouvement
national des jeunes, enfants et adolescents travailleurs
organisés) qui a déclaré que « l'enfance et la jeunesse ne
sont pas étrangères à la conjoncture ni aux événements qui
ont eu lieu antérieurement ; rappelons-nous seulement
combien d'enfants, garçons et filles, ont été affectés
physiquement et psychologiquement par la violence
sociopolitique, ce qui a conduit à la création de la
Commission de la vérité et de la réconciliation, précisément
pour faire socialement justice et reconnaître les
responsables ».
Tania Pariona a ajouté : « Nous pensons que, pendant ce
temps, la Commission de la vérité et de la réconciliation a
joué un rôle historique non seulement en raison des
recherches faites mais aussi pour canaliser les informations
et sensibiliser la population à la violation des droits
humains. Comme le JENATSO, nous nous unissons à toute la
solidarité que la société civile revendique dans ces
moments, étant donné que la Commission de la vérité et de la
réconciliation a pu mettre en valeur certains points et
faire des recommandations pour la réflexion de la société.
Nous espérons que le rapport ne sera pas enfermé dans les
archives mais qu'il servira comme un moyen pour proposer des
alternatives à de nombreuses familles qui vivent encore les
conséquences de la problématique en question. »
La solidarité internationale
Diverses organisations internationales ont manifesté leur
soutien et leur solidarité avec le travail et le rapport
présenté par la Commission. En ce sens il faut mentionner
les prises de position de l'archevêque Desmond Tutu,
président de la Commission de la vérité d'Afrique du Sud,
des Mères de la place de mai et d'un groupe d'ONG italiennes
au Pérou : Association de solidarité des pays émergents
(ASPEM), Terra Nuova, Mouvement des laïques d'Amérique
latine (MLAL), ARCI, Culture et développement au Pérou,
Coopération internationale italienne (COOPI), Communauté du
Saint Esprit, Groupe de volontaires civils (GVC), qui ont
diffusé un document en appui à la société civile et à la
Commission de la vérité et de la réconciliation. Mirtha
Allende, membre de l'équipe de la Coordination nationale des
droits humains (CNDDHH - www.dhperu.org) a dit que « ce
rapport en appui au travail de la Commission de la vérité et
de la réconciliation que promeuvent les ONG italiennes
aidera à soutenir ce processus de vérité, justice et
réparation par lequel doit passer notre pays pour que les
erreurs du passé qui ont causé tant de souffrances aux plus
exclus du Pérou ne se répètent pas et que nous puissions
remédier à leurs conséquences ».
Des organismes internationaux comme WOLA (Bureau de
Washington pour les affaires latino-américaines), Human
Right Watch et Amnesty International ont également fait
connaître leurs points de vue sur le rapport présenté par la
Commission de la vérité et de la réconciliation.
Face au nombre de morts et de disparus pendant les années de
violence au Pérou, qui s'élève a plus de 69.000 selon les
calculs de la Commission, José Miguel Vivanco, directeur
exécutif pour les Amériques de Human Right Watch
(www.hrw.org) a déclaré que ces chiffres [« dépassent les
estimations antérieures. Ils manifestent l'entière brutalité
de la rébellion au Pérou, ainsi que le niveau des moyens de
répression qui furent adoptés pour la contenir. »] Pour
Vivanco, [« la véritable preuve de la volonté du Pérou de se
confronter à ses abus passés, réside dans la façon dont le
gouvernement gère la question des mises en accusations »],
assurant que le monde [« observera si le procureur général
fait l'effort nécessaire pour la recherche et le jugement »]
des coupables.
De son côté, Amnesty International (www.amnesty.org) a
indiqué que le rapport de la Commission est un « pas
important fait en direction de la vérité et de la justice ».
Elle a souligné que les responsables des violations des
droits humains doivent être jugés, et que les victimes et
leurs familles doivent faire l'objet d'un dédommagement
correct. L'organisation internationale avertit que « pour
éviter que l'histoire ne se répète, les autorités
péruviennes doivent protéger et promouvoir à l'avenir tant
les droits économiques, sociaux et culturels que les droits
civils et politiques ».
Le Bureau de Washington pour les affaires latino-américaines
(WOLA - www.wola.org) a qualifié de « grande avancée » la
remise du rapport final de la Commission. Kimberly Stanton,
directrice adjointe de WOLA, a déclaré : « Le gouvernement
des États-Unis doit reconnaître l'effort fait par le
gouvernement péruvien pour la recherche de la vérité
concernant la période de la violence et lui accorder son
soutien politique et symbolique. »
Traduction de l'espagnol : DIAL.
Article original en espagnol : "Peru : Informe de Comisión
de la Verdad pone el dedo en la llaga", ALAI, América Latina
en Movimiento, 01-09-03.
© COPYLEFT Cristiano Morsolin 2003.
https://www.alainet.org/fr/articulo/109681