Equateur : affrontement politique sans issue
- Análisis
Dans un climat marqué par de violents attentats et un conflit non résolu autour de la Cour suprême de justice, le gouvernement de Lucio Gutiérrez tente d’imposer le traité de libre-échange (TLC) avec les Etats-Unis qui serait l’apogée du projet néolibéral.
L’affrontement politique pour le contrôle de la Cour suprême de justice dure maintenant depuis trois mois, sans trouver d’issue. Il faut rappeler que le 8 décembre dernier, le gouvernement de Gutierrez avait réussi à former une majorité au Congrès qui démit les membres de la Cour suprême de justice et d’autres organismes de l’Etat.
En leur lieu et place, il avait nommé des fonctionnaires liés au Partido Roldosista Ecuatoriano (PRE), dirigé par Abdala Bucaram [1], et au Partido Renovador Institucional Acción Nacional (PRIAN), d’Alvaro Noboa [2]. D’autres partis de gauche, comme le Mouvement populaire démocratique et le Parti social équatorien (PSE) ont également appuyé le gouvernement, en échange de leurs quotes-parts respectives de pouvoir.
Si Gutiérrez a réussi à écarter de la Cour suprême de justice, du Tribunal suprême électoral et du Tribunal constitutionnel León Febres Cordero, son ex-allié du Parti social chrétien (PSC), ce sont maintenant l’ancien président Abdala Bucaram, en fuite au Panamá et le multimillionnaire Alvaro Noboa qui exercent une grande influence dans ces institutions d’Etat.
L’opposition hétérogène à Gutiérrez, composée du PSC, de la Gauche démocratique (Izquierda Democrática -sociale-démocrate) et du Mouvement Pachakutik [3] a dénoncé l’illégitimité de cette cour, nommée de façon inconstitutionnelle. En effet, une majorité parlementaire n’avait pas les attributions pour réformer la Constitution et réorganiser l’appareil judiciaire.
De larges secteurs citoyens et les mouvements sociaux ont également remis en cause la politique de concentration des pouvoirs de Gutiérrez. Cette contestation a atteint son point culminant lors de l’immense « marche du peuple » de Quito du 16 février dernier.
La situation que traverse l’Equateur « est la conséquence d’un projet autoritaire qui s’est formé tout au long des 20 dernières années », a déclaré à ALAI le Dr Santiago Ortiz, professeur de la Faculté latino-américaine de sciences sociales (FLACSO).
« L’affaire de la Cour n’est que la partie émergée de l’iceberg. Les violations du droit et les menaces qui sont faites sont la conséquence de la mise en place d’un projet d’Etat autoritaire qui laisse de côté tout ce qui est en rapport avec les politiques sociales ou la garantie des droits.
Il s’agit d’un gouvernement autoritaire, il y a ici un problème de violation des droits de l’Homme qui est la conséquence d’un modèle qui en plus d’instaurer le libre-échange est aussi un modèle politique. Dans cette optique il a besoin, comme en ont eu besoin un Menem (Argentine) ou un Fujimori (Pérou), d’un régime présidentiel fort. Ceci implique que tout soit concentré autour de l’exécutif : le contrôle de l’appareil d’Etat, et des autres pouvoirs, comme le pouvoir législatif et la Cour suprême. Ce haut degré de concentration du pouvoir n’est pas une invention de Gutiérrez, ce n’est qu’une étape d’un long processus déjà en œuvre dans l’assemblée constituante de 1998 qui donnait l’essentiel des pouvoirs à l’exécutif.
« Au milieu de cette dispersion, tant des secteurs dominants que des secteurs populaires, et devant l’absence d’un front de résistance au néolibéralisme, le gouvernement veut imposer le traité de libre-échange et consolider la transition vers le modèle néolibéral», affirme Ortiz.
La situation politique est bloquée. D’un côté, l’opposition parlementaire affirme que l’actuelle Cour suprême de justice doit être démise, pour en nommer une autre, mais ne parvient pas à réunir une majorité de 51 voix pour concrétiser son projet. Du côté du gouvernement, le président Gutiérrez maintient que l’unique solution est l’organisation d’un référendum, et la désignation des juges par un collège électoral constitué par des délégués de la société civile.
La proposition de l’exécutif a été rejetée par l’opposition, et reçue avec indifférence par ses propres alliés, le PRE et le PRIAN. Ceux-ci la voient d’un mauvais œil, craignant de perdre les positions acquises dans la Cour actuelle. Il faut se souvenir que « l’alliance du gouvernement avec le PRE, le PRIAN et les secteurs dits indépendants n’est pas très forte.
Ce sont des accords à court terme, qui tiennent surtout à des concessions de l’appareil d’Etat à ces secteurs, mais sans projet à long terme », poursuit Ortiz. Le député du Mouvement Pachakutik, Antonio Posso, a qualifié la proposition de référendum formulée par le Président de la République de farce faite au peuple équatorien, à travers laquelle il cherche à appliquer la stratégie du fait accompli, à gagner du temps, et à continuer dans la débâcle actuelle du domaine juridique national.
Climat de violence
Pendant que se poursuit le conflit politique, le pays vit dans un climat de confusion caractérisé par des menaces et des attaques contre des opposants au régime qui commencent à inquiéter les organismes internationaux de défense des droits de l’Homme. L’un des faits les plus graves est l’attentat subi par le député socialiste Enrique Ayala, la nuit du 5 mars, victime de « pistoleros » qui ont tenté de l’assassiner. Il s’ajoute à une longue série d’attentats, qui se chiffrent à vingt pour la seule année dernière, d’après les organismes de défense des droits de l’Homme.
Depuis le 1er février 2004, quand le président d’alors de la Conaie [4], Leonidas Iza, a été attaqué à l’arme à feu par des inconnus, les menaces de mort, les attaques des domiciles ou des bureaux d’opposants, et les procédures judiciaires contre des journalistes sont à l’ordre du jour.
La situation revêt une telle gravité que la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH) a demandé, le 28 février dernier, que le ministère des Affaires étrangères équatorien prenne des mesures de protection envers les journalistes Paco Velasco, Diego Oquendo et Orlando Pérez, le producteur de télévision Carlos Vera, le dirigeant des Chambres de Commerce Blasco Peñaherrera Zola, l’ex-ministre du Bien-être social et ex-collaborateur de Gutiérrez Patricio Acosta, le conseiller municipal de Pachakutik Antonio Ricaurte et les membres d’ONG Diego Guzmán, María Paula Romo et César Montúfar.
Plusieurs d’entre eux ont refusé la protection policière, affirmant qu’ « il vaut mieux être seul que mal accompagné ». Selon les organismes de défense des droits de l’Homme, il existe dans le pays une structure para-policière chargée de « la chasse aux opposants ». Dans presque tous les cas, les victimes avaient émis des critiques à l’encontre du gouvernement de Gutiérrez. Mais ces derniers jours, la violence a touché Rosa Cabezas, gouverneur de la province d’Esmeraldas, membre du groupe officialiste « Parti Société Patriotique » [le parti du Président, ndlr], qui a été touchée dans le dos par un tir, alors qu’elle se rendait à Quito.
Le gouvernement a nié toute implication dans les attentats. Pourtant, l’impunité est le trait commun à tous ces cas. La police n’a pas publié de communiqué sur l’avancement des enquêtes, personne n’a été arrêté, et les mobiles des attaques n’ont pas été éclaircis.
NOTES:
[1] Abdalá Bucaram Ortiz fut élu président de la République d’Equateur pour la période d’août 1996 à août 2000. Il fut cependant rapidement renversé par le mouvement social (1997) et quitta le pays pour se réfugier au Panama suite aux accusations de corruption dont il était l’objet. (ndlr)
[2] Homme d’affaire millionaire dans le secteur de la banane, Alvaro Noboa était candidat à la présidence du pays en 2002. Il a perdu au second tour face à Lucio Gutierrez. (ndlr)
[3] Bras politique du mouvement social et indigene. (ndlr)
[4] La Confédération des nationalités indigènes d’Equateur (CONAIE) est le principal mouvement social équatorien. Il rassemble les principales organisations indigènes du pays. (ndlr)
Traduction : Pierre Doury, pour RISAL (www.risal.collectifs.net/).
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