La nature dans la tourmente de la mondialisation
09/10/2007
- Opinión
Actuellement, en Amérique latine, la mondialisation est à la base de nombreux problèmes liés à l’environnement. Le flux des exportations poursuit sa croissance, mais cette insertion internationale de la région continue à reposer sur les matières premières, des ressources naturelles peu traitées et à faible valeur ajoutée, dont l’exploitation entraîne de graves conséquences pour l’environnement.
Certains reconnaissent la gravité des problèmes environnementaux, mais considèrent la mondialisation comme un phénomène inévitable. Par conséquent, ils renoncent à envisager un changement de l’essence des mécanismes internationaux ; ils préconisent de faire entrer la Nature sur les marchés mondiaux et de la gérer aux moyen de mécanismes économiques. D’autres, par contre, estiment que la conservation des ressources naturelles exige une autonomie face à la mondialisation, une condition indispensable pour aller vers un développement durable qui ne détruise pas l’environnement.
Ces points de vue ont été discutés lors du Congrès latino-américain des parcs nationaux et autres zones protégées, qui s’est tenu du 30 septembre au 6 octobre à Bariloche, en Argentine [1]. Conservation International (CI), une institution transnationale qui travaille dans le domaine de la conservation dans plusieurs pays du continent, a donné un exemple probant de fatalisme face à la mondialisation [2]. Elle a présenté un document intitulé « Una tormenta perfecta en la Amazonia » [3] – rédigé par Timothy Killeen, un chercheur des Etats-Unis établi en Bolivie depuis plusieurs années et membre de CI– dans lequel sont exposés avec des détails marquants les problèmes environnementaux qui se posent en Amazonie. Son pronostic est terrifiant : selon toutes probabilités, seuls 30 à 40% de l’Amazonie pourront être préservés. L’analyse de CI contient de nombreux exemples de mécanismes pervers de la mondialisation actuelle et de ses effets néfastes sur l’environnement, mais ses propositions trahissent une acceptation fataliste du phénomène. Selon l’organisation, il n’y a pas d’alternatives réelles et possibles face à cette vague mondiale, et il ne reste donc qu’à s’adapter à ses règles ; il faut reconnaître la prédominance des marchés et les influencer par le biais de mécanismes de régulation. Les propositions de l’organisation se basent donc essentiellement sur des mécanismes de marchés, et préconisent notamment de rendre payant les « services environnementaux » ou de subventionner des systèmes de production plus respectueux de l’environnement.
Le hic, c’est qu’une bonne partie des propositions de CI tendent à renforcer le caractère dépendant du développement régional. En effet, beaucoup d’efforts se concentrent sur la vente de crédits pour la fixation du carbone par reboisement, la forêt étant considérée comme une machine à capter les gaz à effet de serre émis dans les pays industrialisés. Au même titre qu’aujourd’hui nous vendons des matières premières, nous vendrions des « bons de carbone », qui transformeraient nos terres en bouches d’égout écologiques et permettraient aux pays industrialisés de maintenir leur niveau d’émissions polluantes.
Ces mécanismes cantonnent l’Amérique latine dans un rôle d’ « amortisseur environnemental global » soumis aux aléas d’un marché vert transnational plié aux modes de production capitaliste contemporaine. Cette voie n’apporte pas de changements dans les types de développement, et laisse sans solution la plupart des problèmes actuels, qui vont de la redistribution de la richesse à la nécessité de choisir nos propres options d’industrialisation.
Mais la plus grande faiblesse de la proposition de CI est qu’elle semble flotter dans un vide géopolitique. Elle ne dit que peu de choses à propos des règles internationales du commerce, de l’intégration régionale à l’intérieur de l’Amérique latine ou des différentes positions gouvernementales sur le développement et la mondialisation. S’il est vrai que les nouveaux projets d’intégration des réseaux routiers sont examinés, le fait que leur but actuel est de favoriser une immersion encore plus marquée dans les marchés mondiaux ne fait pas l’objet d’une analyse adéquate. Les questions clés comme le rôle de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), les termes de l’échange commercial ou les flux de capitaux servant au financement de l’extraction des ressources naturelles ne sont pas abordés. En bref, CI se laisse emporter par la tourmente mondiale.
Dans l’économie actuelle, les exportations continuent à augmenter. Elles dépendent en majeure partie des ressources naturelles : au Brésil et dans d’autres pays du Cône Sud, les matières premières représentaient 60% des exportations totales de 2005 ; dans les pays andins, elles atteignaient 84,5%. En d’autres termes, plus de la moitié des exportations sont des exportations de ressources naturelles, ce qui engendre une pression énorme sur l’environnement. Le Chili est souvent présenté comme un exemple de gestion économique sérieuse, et la différence avec ses voisins souvent évoquée, mais sous l’angle de l’économie écologique, on observe que plus de 86% des exportations de ce pays concernent des matières premières (ressources naturelles peu traitées), ce qui correspond aux chiffres du Pérou (85%) ou de la Bolivie (89%). Cette dépendance se retrouve dans presque tous les pays.
Les plans actuels d’interconnexion des réseaux routiers et énergétiques tendent à renforcer cette tendance puisqu’ils ouvrent à l’exploitation différentes zones vierges, en particulier dans les tropiques, et qu’ils les relient aux ports océaniques. Ces deux aspects font que l’Amérique latine reste enchaînée à la mondialisation. De fait, le niveau de consommation des pays industrialisés et des nouvelles économies à forte croissance, comme la Chine, ne peut être soutenu qu’en convoitant les ressources matérielles et énergétiques du Tiers Monde. Par conséquent cette même trame engendre un type de globalisation permettant ce transfert de ressources.
Pour affronter ces problèmes, il faut adopter une autre position face à la mondialisation : la conservation et l’utilisation durable des ressources naturelles n’est possible que moyennant un changement radical dans les styles de développement et de relations à l’échelle planétaire. Toute proposition écologique sérieuse se doit de réclamer un autre type de développement, et par conséquent une autre mondialisation. Il se peut que, dans certains cas, les mécanismes du marché s’avèrent utiles (notamment pour éviter que les entreprises privées fassent porter aux communautés locales et aux municipalités les coûts de la détérioration de l’environnement). Toutefois, il faudra prendre des mesures de fond : la dépendance envers les ressources naturelles ainsi que la consommation d’énergie devront être réduites, et la priorité devra être accordée aux besoins nationaux et régionaux avant de se tourner vers les marchés mondiaux.
Dans cette perspective, l’autonomie s’impose comme un concept clé. Il est indispensable de recouvrer une autonomie face à la mondialisation afin de pouvoir tester d’autres modes de développement permettant d’affronter les conditions et les exigences des marchés mondiaux. On ne peut pas persister à accommoder l’environnement aux marchés. C’est à ceux-ci de s’adapter aux impératifs de la préservation de la nature. A partir de là, il s’agit de faire face à des processus tels que la demande en ressources naturelles et la dynamique des marchés financiers internationaux ainsi que leurs institutions politiques. En d’autres termes, il s’agit de récupérer l’autonomie pour ne pas être emportés dans la tourmente.
NOTES:
[1] [NDLR] http://www.congresolatinoparques200....
[2] [NDLR] Conservation International n’est pas une petite ONG écologiste, loin de là. Tant son conseil d’administration que ses partenaires sont des grandes entreprises multinationales comme Mc Donald, Intel, BP, etc.
[3] [NDLR] http://web.conservation.org/xp/CIWE....
Traduction : Chloé Meier Woungly-Massaga, pour le RISAL (http://risal.collectifs.net).
Certains reconnaissent la gravité des problèmes environnementaux, mais considèrent la mondialisation comme un phénomène inévitable. Par conséquent, ils renoncent à envisager un changement de l’essence des mécanismes internationaux ; ils préconisent de faire entrer la Nature sur les marchés mondiaux et de la gérer aux moyen de mécanismes économiques. D’autres, par contre, estiment que la conservation des ressources naturelles exige une autonomie face à la mondialisation, une condition indispensable pour aller vers un développement durable qui ne détruise pas l’environnement.
Ces points de vue ont été discutés lors du Congrès latino-américain des parcs nationaux et autres zones protégées, qui s’est tenu du 30 septembre au 6 octobre à Bariloche, en Argentine [1]. Conservation International (CI), une institution transnationale qui travaille dans le domaine de la conservation dans plusieurs pays du continent, a donné un exemple probant de fatalisme face à la mondialisation [2]. Elle a présenté un document intitulé « Una tormenta perfecta en la Amazonia » [3] – rédigé par Timothy Killeen, un chercheur des Etats-Unis établi en Bolivie depuis plusieurs années et membre de CI– dans lequel sont exposés avec des détails marquants les problèmes environnementaux qui se posent en Amazonie. Son pronostic est terrifiant : selon toutes probabilités, seuls 30 à 40% de l’Amazonie pourront être préservés. L’analyse de CI contient de nombreux exemples de mécanismes pervers de la mondialisation actuelle et de ses effets néfastes sur l’environnement, mais ses propositions trahissent une acceptation fataliste du phénomène. Selon l’organisation, il n’y a pas d’alternatives réelles et possibles face à cette vague mondiale, et il ne reste donc qu’à s’adapter à ses règles ; il faut reconnaître la prédominance des marchés et les influencer par le biais de mécanismes de régulation. Les propositions de l’organisation se basent donc essentiellement sur des mécanismes de marchés, et préconisent notamment de rendre payant les « services environnementaux » ou de subventionner des systèmes de production plus respectueux de l’environnement.
Le hic, c’est qu’une bonne partie des propositions de CI tendent à renforcer le caractère dépendant du développement régional. En effet, beaucoup d’efforts se concentrent sur la vente de crédits pour la fixation du carbone par reboisement, la forêt étant considérée comme une machine à capter les gaz à effet de serre émis dans les pays industrialisés. Au même titre qu’aujourd’hui nous vendons des matières premières, nous vendrions des « bons de carbone », qui transformeraient nos terres en bouches d’égout écologiques et permettraient aux pays industrialisés de maintenir leur niveau d’émissions polluantes.
Ces mécanismes cantonnent l’Amérique latine dans un rôle d’ « amortisseur environnemental global » soumis aux aléas d’un marché vert transnational plié aux modes de production capitaliste contemporaine. Cette voie n’apporte pas de changements dans les types de développement, et laisse sans solution la plupart des problèmes actuels, qui vont de la redistribution de la richesse à la nécessité de choisir nos propres options d’industrialisation.
Mais la plus grande faiblesse de la proposition de CI est qu’elle semble flotter dans un vide géopolitique. Elle ne dit que peu de choses à propos des règles internationales du commerce, de l’intégration régionale à l’intérieur de l’Amérique latine ou des différentes positions gouvernementales sur le développement et la mondialisation. S’il est vrai que les nouveaux projets d’intégration des réseaux routiers sont examinés, le fait que leur but actuel est de favoriser une immersion encore plus marquée dans les marchés mondiaux ne fait pas l’objet d’une analyse adéquate. Les questions clés comme le rôle de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), les termes de l’échange commercial ou les flux de capitaux servant au financement de l’extraction des ressources naturelles ne sont pas abordés. En bref, CI se laisse emporter par la tourmente mondiale.
Dans l’économie actuelle, les exportations continuent à augmenter. Elles dépendent en majeure partie des ressources naturelles : au Brésil et dans d’autres pays du Cône Sud, les matières premières représentaient 60% des exportations totales de 2005 ; dans les pays andins, elles atteignaient 84,5%. En d’autres termes, plus de la moitié des exportations sont des exportations de ressources naturelles, ce qui engendre une pression énorme sur l’environnement. Le Chili est souvent présenté comme un exemple de gestion économique sérieuse, et la différence avec ses voisins souvent évoquée, mais sous l’angle de l’économie écologique, on observe que plus de 86% des exportations de ce pays concernent des matières premières (ressources naturelles peu traitées), ce qui correspond aux chiffres du Pérou (85%) ou de la Bolivie (89%). Cette dépendance se retrouve dans presque tous les pays.
Les plans actuels d’interconnexion des réseaux routiers et énergétiques tendent à renforcer cette tendance puisqu’ils ouvrent à l’exploitation différentes zones vierges, en particulier dans les tropiques, et qu’ils les relient aux ports océaniques. Ces deux aspects font que l’Amérique latine reste enchaînée à la mondialisation. De fait, le niveau de consommation des pays industrialisés et des nouvelles économies à forte croissance, comme la Chine, ne peut être soutenu qu’en convoitant les ressources matérielles et énergétiques du Tiers Monde. Par conséquent cette même trame engendre un type de globalisation permettant ce transfert de ressources.
Pour affronter ces problèmes, il faut adopter une autre position face à la mondialisation : la conservation et l’utilisation durable des ressources naturelles n’est possible que moyennant un changement radical dans les styles de développement et de relations à l’échelle planétaire. Toute proposition écologique sérieuse se doit de réclamer un autre type de développement, et par conséquent une autre mondialisation. Il se peut que, dans certains cas, les mécanismes du marché s’avèrent utiles (notamment pour éviter que les entreprises privées fassent porter aux communautés locales et aux municipalités les coûts de la détérioration de l’environnement). Toutefois, il faudra prendre des mesures de fond : la dépendance envers les ressources naturelles ainsi que la consommation d’énergie devront être réduites, et la priorité devra être accordée aux besoins nationaux et régionaux avant de se tourner vers les marchés mondiaux.
Dans cette perspective, l’autonomie s’impose comme un concept clé. Il est indispensable de recouvrer une autonomie face à la mondialisation afin de pouvoir tester d’autres modes de développement permettant d’affronter les conditions et les exigences des marchés mondiaux. On ne peut pas persister à accommoder l’environnement aux marchés. C’est à ceux-ci de s’adapter aux impératifs de la préservation de la nature. A partir de là, il s’agit de faire face à des processus tels que la demande en ressources naturelles et la dynamique des marchés financiers internationaux ainsi que leurs institutions politiques. En d’autres termes, il s’agit de récupérer l’autonomie pour ne pas être emportés dans la tourmente.
NOTES:
[1] [NDLR] http://www.congresolatinoparques200....
[2] [NDLR] Conservation International n’est pas une petite ONG écologiste, loin de là. Tant son conseil d’administration que ses partenaires sont des grandes entreprises multinationales comme Mc Donald, Intel, BP, etc.
[3] [NDLR] http://web.conservation.org/xp/CIWE....
Traduction : Chloé Meier Woungly-Massaga, pour le RISAL (http://risal.collectifs.net).
https://www.alainet.org/fr/articulo/124061?language=es
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