Résultat du sommet de Rome

Laisser crever de faim des centaines de milliers d’individus

05/06/2008
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Il est évident –et cela était malheureusement prévisible- que le sommet de Rome marqué par de profondes divergences entre pays du nord et ceux du sud n’a abouti qu’à une déclaration minimale sans moyens concrets de faire face à la plus terrible des menaces. Les pays du nord, au premier rang des quels les Etats-Unis, leurs multi-nationales, leurs gouvernements ont choisi de ne rien changer au système, de préserver les profits, cette fois clairement au pris de la vie humaine.  Et une fois de plus, ils ont pesé de tout leur poids sur les organisations internationales, alors que la FAO avait manifesté un certain courage dans cette affaire. Voici un bref compte-rendu.

Aujourd’hui la planète en est plus inquiétante, elle me fait souvenir de cette tombée de la nuit où je suis arrivée à Haïti: Dans l’obscurité, quand le petit car s’est arrêté, il a été entouré d’une masse de gens qui faméliques s’appuyaient contre les vitres, pour fouiller du regard, voir s’il n’y avait pas quelqu’un à qui soutirer une piecette, moi en l’occurence… parce que j’étais une gringa ou ils le croyaient… J’ai eu l’impression que les parois de verre allaient céder sous le poids de cette demande muette. Voulez-vous que l’humanité ressemble à cette tragédie haïtienne ?

L’horizon 2015, et l’aggravation de la “libéralisation”

La déclaration finale n’a pas satisfait les principaux intéressés, les pays du sud, ceux sur qui déferlent déjà les aspects les plus dramatiques de la crise alimentaire, même si tous les pays y compris les Etats-Unis et l’Europe connaissent une hausse des prix alimentaires comme des matières énergétiques. La déclaration n’est pas à la hauteur de la menace. C’est ce qu’ont relevé en particulier les pays d’Amérique latine, au premier rang desquels Cuba, le Venezuela et l’Argentine suivis par l’Equateur, le Nicaragua, la Bolivie.  L’Argentine a même refusé de signer le document. Peut-être est-ce tout dire de l’indigence des mesures concrètes que de signaler que l’horizon que se donnait le sommet pour en finir avec la faim dans le monde, pour la moitié des 850 millions de mal nourris actuels était 2015. Dans les faits ont été réaffirmés les conclusions de 1996 et 2002 de « arriver à la sécurité alimentaire » et de réduire à la moitié au maximum pour 2015, le nombre de personnes sous alimentée ». Jacques Diouf avait alerté mardi 4 juin l’assemblée en lui indiquant qu’ « avec les tendances actuelles, cet objectif serait atteint en 2150 au lieu de 2015 ».

Sur le fond, le sommet a suivi les exigences des Etats-Unis sur “le nécessaire maintien des efforts en matière de libéralisation des marchés internationaux”, le démantèlement des obstacles au commerce et les politiques qui sont cause de distorsion dans les marchés. Le texte encourage notamment “l
a communauté internationale à poursuivre ses efforts en matière de libéralisation des échanges agricoles en réduisant les obstacles au commerce, et les politiques qui sont à l’origine des distorsions de marché“.  Qu’est –ce que ce la veut dire dans ce cadre libéral concrètement de se prononcer pour : « donner aux agriculteurs, surtout dans les pays en voie de développement, de nouvelles possibilités de vendre leurs produits dans les marchés mondiaux et appuyer leurs efforts pour augmenter la productivité et la production »?  

Faut-il s’étonner qu’aucune définition d’arrêt ne soit intervenue sur les bioénergies. Pas plus que sur l’élémentaire nécessité de soustraire comme l’ont proposé les Indiens pour eux mêmes, les aliments des bourses et des jeux spéculatifs. C’est exactement le contraire qui est choisi.  Les Etats-Unis, le bras armé des multinationales, sont bien décidés à poursuivre sur leur voie initiale et à utiliser cet appel à la « liberté du commerce » sans entrave pour eux-mêmes, quitte à aboutir à augmenter la faim dans le monde et à détruire toujours plus la production alimentaire dans les pays sous développés.

Nous avons d’un côté des vœux pieux, de l’autre des mécanismes spéculatifs, protectionnistes, subventionnés et des orientations de la production bien réelles appuyées par le poids des grandes puissances dans les institution internationales, voir leur capacité d’intervention militaire autant que politique. Mieux ou pire, malgré  la résolution, le chantage alimentaire risque d’être plus que jamais le moyen de ces grandes puissances et de leurs institutions internationales, voire de leurs ONG pour organiser la soumission de la planète. Et ce n’est sans doute pas un hasard si jusqu’à la fin des travaux, il y a eu des discussions très dures autour de l’amendement qu’à réussi à imposer la délégation cubaine dans le document final «
les aliments ne devraient pas être utilisés comme moyen de pression politique».

La petite production locale et la souveraineté alimentaire des nations

Au même moment à Rome étaient réunis 900 organisations indigènes qui ont dénoncé les résultats de ce sommet : «
les demandes des mouvements sociaux d’avoir plus de protection et appui aux producteurs en petite échelle, de réforme agraire et de moyens concrets contre la spéculation financière sont totalement ignorées par les gouvernements » ils ont réclamé un « changement radical de politique » qui donne aux peuples leur « souveraineté alimentaire », « le droit à l’alimentation et le contrôle local des aliments, autant dans la production, que dans la distribution »

Notons qu’alors que les multinationales de l’agroalimentaire étaient invitées au sommet de Rome, ces organisations représentants les groupements “indigènes”, pas plus que les représentants de la petite paysannerie n’étaient invités au sommet.

On perçoit mieux que s’opposent deux logiques, l’une qui voit dans l’ouverture « à la concurrence » la possibilité de la baisse des prix alimentaires. Ce qui repose sur la fiction d’une concurrence libre et parfaite, sans que jamais les pays du sud aient les moyens ou puisse se les donner d’en finir avec le protectionnisme du nord pour ses propres productions, les subventions accordées à ses producteurs sous diverses formes, l’imposition au monde de cultures pour SON marché, indépendamment des besoins élémentaires à la survie des peuples, le cas des bioénergies étant caricatural, mais non le seul, puisque c’est toute la planète qui a été orienté vers le consumérisme d’une minorité.

Face à cela il y a une autre logique, celle de la souveraineté des petits producteurs du sud qui réclament un contrôle de la production et de la distribution local en fonction des besoins. Mais peut-on donner une réponse satisfaisante à cette demande sans une possibilité accrue de souveraineté nationale ? Cette maîtrise, cette souveraineté nationale n’est pas la condition suffisante mais elle est indispensable. Ce n’est pas la condition suffisante parce que les gouvernements nationaux sont souvent pris entre les exigences des institutions financières et des multinationales et, même s'ils en ont la volonté, ils ont des difficultés à répondre à la demande des petits producteurs. Il suffit de comprendre comment la dette, honorer son service contraint les gouvernements à emprunter aux organismes internationaux et à choisir une agriculture extensive correspondant aux demandes d’exportations qui fournissent les moyens d’honorer seulement les intérêts de la dette. Mais il s’agit pourtant de la condition indispensable parce que sans cette souveraineté nationale, il n’y a pas de résistance possible aux multinationales.

La déclaration de Rome, disons-le clairement est mauvaise malgré la satisfaction de la FAO qui se félicitait de la “sensibilisation”, parce que non seulement elle n’établit aucuns moyens concrets permettant de répondre à ce qui menace des millions d’êtres humains, mais elle va même avec ses exigences de libéralisation a contrario de ce qu’il faudrait entreprendre, elle continue à se situer dans les exigences non seulement des gouvernements du nord, mais surtout celles des multinationales de l’agroalimentaire et contre les intérêts des peuples et des producteurs du sud susceptibles d’assurer la consommation quotidienne au plus près des besoins.

Faire des vœux pieux sur 2050, proposer comme remède toujours plus de marché assorti de temps en temps de distributions charitables moyens de chantage autant que poursuite de l’asphyxie des solutions locales est une insulte aux drames vécus par des millions d’être humains aujourd’hui. On se demande d’ailleurs en pensant aux haïtiens qui aujourd’hui mangent des galettes de terre combien a coûté le barnum de Rome.

Et pendant ce temps là… L’armement

En reprenant la phrase de Marx on pourrait dire, que tandis qu’à Rome on cherchait la pierre philosophale de la défense de l’humanité, aux Etats-Unis les trusts de l’armement battent la monnaie réelle des profits.

Mais il y a plus je voudrais sans le moindre commentaire clôturer ce bref résumé du sommet de Rome par cette information :

Le Pentagone investira au cours des cinq prochaines années 900 milliards de dollars dans la mise au point et l’achat de nouveaux systèmes d’armement, lit-on dans un rapport du Congrès américain publié mardi.

“Les investissements dans des programmes d’achat d’armement se trouvent actuellement à leur plus haut niveau depuis 20 ans”, signale le document de 20 pages, qui indique que 335 milliards de dollars seraient investis dans les principaux programmes d’armement.  Le rapport insiste pour que le Pentagone améliore les procédures de financement et les mécanismes administratifs liés aux programmes, afin d’optimiser le processus et d’accélérer l’entrée en dotation des armements.

“Le processus d’achat d’armements prend en général de 10 à 15 ans entre le lancement du programme et sa mise en oeuvre”, indique le document, qui souhaite réduire ces délais à 5-6 ans.

Sans commentaire vous dis-je, sinon que nous français nous sommes au combien dans le coup : non seulement à cause de nos politiques de subvention mais plus gravement à cause de nos dépenses militaires, nucléaires en particulier. Ce ne sont pas les marchands d’armes qui détiennent nos médias qui nous éclaireront sur les enjeux, sur le fait que l’on condamne à la mort, à la malnutrition des centaines de millions d’individus sur la planète.


https://www.alainet.org/fr/articulo/127987
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