Bilan du Forum social mondial (FSM) de Belém de Pará (Brésil)

Le mouvement social planétaire, principal bénéficiaire

02/02/2009
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Belém de Pará

Les thèmes clé :
-           Lles crises économiques et écologiques et le renforcement des réseaux
-           Les jeunes se sont appropriés le FSM
-           La visibilité des peuples indigènes oubliés

Le rideau amazonien vient de tomber dans la capitale de l'Etat de Pará. Une bonne partie des 100.000 participant-e-s à cette 9e session du Forum social mondial – du 26 janvier au 1er février – sont retournés au pays. Une pluie de propositions, de pistes de réflexions, d'actions, d'agendas communs et de thèmes du futur ont enrichi la nouvelle méthodologie du dernier jour de cette session, avec 22 assemblées thématiques et une « assemblée des assemblées » finale. Et, outre les hypothèses sur les possibles lieux de la prochaine réunion en 2011, surnagent deux questions principales : A quoi à servi ce forum ? Qui fut le principal bénéficiaire de cette réunion ?

Renforcer le mouvement social mondial

« Cette rencontre de Belém a confirmé le FSM comme un espace de rencontre des organisations et des individus qui considèrent des transformations planétaires comme nécessaires », relève Miriam Nobre, l'une des coordinatrices de la Marche mondiale des femmes (MMF). Ce réseau a envoyé à Belém plus de 250 déléguées provenant de différents pays du monde.

Deux thèses fondamentales pour cette jeune dirigeante féministe : cette session du FSM a permis de renforcer la Marche mondiale, et en même temps elle a permis une meilleure avancée dans l'articulation des différents mouvements sociaux.
« Nous sommes arrivées très organisées à cette session ; nous avons bien planifié notre participation ; nous avons invité à Belém des femmes représentant les pays où se tiendront prochainement des forums sociaux régionaux ou des activités centrales de notre réseau », précise-t-elle.

En 2010, une grande marche est prévue dans divers pays, à deux moments – mars et octobre -, qui se terminera symboliquement au Kivu (République démocratique du Congo). « La participation à Belém nous a servies à nous préparer pour ces défis majeurs… En affinant les expériences logistiques et organisationnelles qui seront importantes pour nos futures activités.

« Belém nous a permis, en outre, de renforcer le travail commun avec d'autres organisations sociales, comme les femmes de Via Campesina, avec lesquelles nous collaborons très bien », explique Miriam Nobre. Un exemple concret : le Forum sur la souveraineté alimentaire organisé conjointement par plusieurs organisations féminines, comme celles de la Via Campesina et des Amis de la Terre. « Une collaboration très riche, où nous apprenons chacune de la culture politique de l'autre, en ajustant nos analyses. Une plus-value importante pour toutes ».

Dans les grandes lignes, ce bilan coïncide avec celui du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST). « Bien que nous n'avons pas encore fait l'évaluation finale de Belém, il est clair que nous sommes intéressés à la continuité de ce processus (nommé Forum), car notre vision du Forum est celle d'un espace de rencontre, d'échange mutuels et de liens », relève Salette Carolo (membre de la coordination nationale du MST).

Belém a démontré que le FSM continue d'avoir un défi principal : l'articulation entre les peuples, la société civile, les mouvements sociaux. En ce sens, les propositions surgies à l'Assemblée de ces mouvements « confirment l'orientation que, face à la crise économique mondiale aiguë, l'axe principal pour les travailleurs de la terre consiste à poursuivre la mobilisation citoyenne dans la rue ».

Pour 2009, la lutte « contre la guerre et le capital financier, ainsi qu'en faveur de la réforme agraire et de la souveraineté alimentaire » continuera d'être un axe central. « Tous les mouvements se sont mis d'accord sur au moins une demi-douzaine de mobilisations que chacun devra impulser selon ses caractéristiques particulières et ses propres possibilités et modalités

« Parmi ces dates : le 8 mars, qui sera une journée contre les transnationales et le commerce des produits agricoles ; fin mars, contre le sommet du G-20 ; le 4 avril, contre la guerre et contre l'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord) ; le 17 avril, le jour mondial du travailleur de la terre ; en octobre, des actions contre le commerce multinational, en faveur de la vie et de la production alternative de nourriture ».

Un FSM aussi gigantesque que l'Amazonie elle-même

Cette 9e session de Belém a exprimé, une fois de plus, une contradiction vécue par le Forum depuis son origine : la foule des participant-e-s (quantitativement parlant), qui entre en contradiction avec la profondeur des débats (qualitativement parlant).
Gérer 3000 activités dans plusieurs installations distantes les unes des autres n'a pas simplifié le fonctionnement d'une réunion aussi gigantesque que l'espace amazonien…
Un cadre naturel et humain (avec des températures élevées, des pluies diluviennes, des rythmes espacés), qui a marqué l'essence même de la rencontre. « Comprendre la richesse de ce FSM implique, comme pré-condition, de comprendre la spécificité des peuples de l'Amazonie, leurs priorités, leurs cultures et leurs visions du monde », nous a déclaré Silvio Cavouscens, un coopérant suisse présent dans cette région depuis plus de 30 ans. « La spécificité de cette rencontre fut fondamentalement de pouvoir donner une visibilité aux peuples oubliés, de les promouvoir comme interlocuteurs principaux et de les reconnaître comme des acteurs importants de la résistance et des propositions alternatives, même dans les endroits les plus oubliés de la planète ».

Belém a « payé » aussi le prix d'une nouvelle méthodologie appliquée pour le FSM. Beaucoup moins de « célébrités » et un pourcentage élevé d'activités autogérées (auto-convoquées et animées) par des réseaux, des ONG, des associations, des Eglises et des mouvements sociaux. Ce thème s'est imposé.
Avec un apport nouveau : la dernière journée, le dimanche 1er février, avec le marathon des assemblées, qui a tenté de canaliser, du bas vers le haut) les propositions et les agendas communs.

Un autre aspect significatif du FSM de Belém : les jeunes et la population locale se sont appropriés l'événement et l'ont marqué de leur style : la marche massive d'ouverture, le 27 janvier, avec plus de 80.000 participant-e-s, était aussi bien une manifestation politique qu'un carnaval populaire.

Belém et son FSM, même avec ses limites logistiques et organisationnelles – que certains délégués internationaux (notamment européens) ont qualifiées de « chaotiques » - n'a pas perdu dans cette nouvelle session sa condition de point de rencontre planétaire, de laboratoire d'idées et d'espace citoyen universel

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« Le FSM est comme une pompe à essence » (Frei Betto)

Théologien brésilien de la libération et militant social historique, Frei Betto fut l'une des personnalités les plus « sollicitées » par les participants de la session de Belém. Lui et son collègue Leonardo Boff ont participé à des dizaines d'activités organisées par des ONG et des mouvements sociaux. Son bilan, lors de l'entretien qu'il nous a accordé, contribue à comprendre cette édition amazonienne du rassemblement citoyen, actuellement le plus grand du monde.

« Ce FSM a présenté quelques caractéristiques nouvelles. Premièrement, par le fait de se tenir en Amazonie, au moment où l'on débat l'émission excessive de gaz, la crise de l'environnement et les grands défis pour préserver la planète. Deuxièmement, parce qu'il a eu lieu dans une conjoncture où nous constatons une crise aiguë du système capitaliste.

Il faut rappeler que le FSM est né en 2001 en opposition au Forum économique de Davos. Nous prouvons maintenant que le FSM est en pleine expansion et consolidation. Au contraire du Forum de Davos, qui est très démoralisé : de nombreux présidents, y compris Lula, qui avaient toujours tenté d'assister aux deux forums, ne vont plus à celui qui se tient en Suisse.

Heureusement, le Forum de Davos a échoué, il est démoralisé. Nous voyons maintenant qu'il n'y avait rien de scientifique dans ses théories et ses affirmations sur l'actuel modèle dominant. Seulement la spéculation et la barbarie. Sa justification idéologique est affaiblie. Il lui est impossible d'expliquer la contradiction de base, à savoir que 500 multimillionnaires à l'échelle de la planète possèdent une richesse supérieure à celle de 42 nations du monde, où vivent 600 millions de personnes.
C'est inimaginable et insupportable !

Autres aspects complémentaires de mon bilan positif : 5 présidents latino-américains (Equateur, Venezuela, Bolivie, Paraguay et Brésil) étaient présents. Nous avons pu compter sur une participation indigène jamais vue auparavant (plus de 2000 personnes).
Quant au présent et au futur du FSM, il est important de rappeler son caractère non-partidaire et non-gouvernemental. C'est un espace citoyen très démocratique, où le mouvement social est l'acteur hégémonique. Il faut défendre cette conception : le FSM ne peut être la courroie de transmission d'aucun parti ou d'une idéologie unique.
Le FSM est une pompe à essence. Les gens viennent s'y approvisionner, s'y recharger. Mais ce n'est pas une route. La route, c'est la lutte hors du FSM. Chaque mouvement et acteur social vient s'y approvisionner et créer des liens de solidarité avec des objectifs proches. Mais la lutte continue ensuite. Il ne faut pas transformer la pompe à essence en route, ni confondre les espaces.

Pour ceux qui pensaient que le FSM et l'altermondialisme étaient épuisés, cette session de Belém leur a répondu. Il nous a transmis beaucoup de courage, beaucoup de participation et je pense qu'il renouvelle une espérance très forte. En résumé, ce fut un moment très positif pour sauver l'utopie » (Sergio Ferrari)

 

https://www.alainet.org/fr/articulo/132118
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