La démocratie sans les citoyens

14/01/2011
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Il est temps de réagir, de combattre le cumul des mandats, de «renouveler le rapport entre les élus et le peuple, la relation de l'Etat avec la société civile» : la fossilisation des élus n'est pas une fatalité, estime Marilza de Melo Foucher, économiste francobrésilienne.
 
Il y a longtemps que la France souffre d'apathie politique et le système démocratique à la française semble être en panne. On se demande pourquoi un pays qui a tellement marqué l'histoire politique mondiale n'arrive pas aujourd'hui à renouveler le rapport entre les élus et le peuple, la relation de l'Etat avec la société civile. Il existe un déficit de régulation démocratique et de représentativité des acteurs sociaux dans l'espace public politique qui confère à l'Etat et à ses institutions le monopole de la decisión démocratique.
 
Sommes-nous devant un effondrement du vivre ensemble ? A qui la faute ? Peut-être aux dirigeants politiques qui, une fois élus, veulent devenir roi sans plus personne pour les contester. Peutêtre à cette majorité d'élus assoiffés de pouvoir de façon presque incontrôlable, ce qui explique apparemment la pérennité du cumul de mandats. Cumuler le maximum de pouvoir est plutôt lié aux avantages du capital politique, du statut social. Plus ils cumulent de pouvoirs, plus ils ont de légitimité politique. Par voie de conséquence, les conflits d'intérêts augmentent. L'exercice régalien du pouvoir fait partie de la culture politique française, probablement lié à la tendance monarchique que la république n'a pas réussi à faire disparaître. Les avancées timides de la loi Jospin ont presque été abandonnées par les gouvernements de droite successifs, qui semblent moins préoccupés par le renouvellement de la démocratie. Autrement dit, le cumulard brille par son absence parlementaire et par son éloignement de la réalité du terrain, il abandonne de cette façon le contact avec ses électeurs. Il est partout et nulle part !
 
Malheureusement, le débat sur l'équilibre et le partage du pouvoir n'a pas beaucoup d'écho, même sachant que cela représente un frein à la modernisation de la démocratie. Pour avoir une vitalité démocratique, le système a besoin de renouveler ses élus plus fréquemment. Par exemple, l'Association des maires de France a recensé pas moins de 14 édiles élus sans discontinuer depuis 1953 ! En 2007, les chercheurs Olivier Costa et Éric Kerrouche (CNRS, laboratoire «Sciences politiques, Relations internationales, Territoire ») ont réalisé le portrait-robot des représentants de la Nation lors de la dernière législature. Et leur conclusion est que ceux-ci ne sont en rien représentatifs de la population. Le portrait d'un député français par exemple : «Un homme de plus de cinquante ans, fortement diplômé, souvent salarié du public et/ou issu d'un milieu professionnel favorisé et titulaire d'un mandat exécutif local.»
 
Autrement dit, il ne suffit pas seulement d'interdire le cumul des mandats, il est souhaitable aussi de faciliter l'accès aux mandats à d'autres catégories sociales, aux femmes... ainsi que d'ouvrir l'opportunité de voir des représentants du peuple issus de la France diverse, multiculturelle. Une de pistes pour le renouvellement de la classe politique est de limiter à deux les mandats successifs de député, de maire, de conseiller régional et général. Ainsi que de promouvoir l'élection au suffrage universel des sénateurs. Et si on faisait un référendum populaire sur ces questions ?
 
On dit souvent que la perception qu'ont les citoyens d'être acteurs ou spectateurs de la scène politique et sociale dépend entre autres de la culture politique du pays. En France, les citoyens ont toujours été mobilisés par le biais de corps intermédiaires (organisations sociales diverses d'autorégulation avec l'Etat, par exemple, syndicats, associations, collectivités locales, partis politiques...) qui aujourd'hui ont du mal aussi à se renouveler. L'endroit où la démocratie sociale émerge est toujours une dialectique dénaturée entre le centralisme du pouvoir et la décentralisation du pouvoir. Cependant, il est vrai aussi qu'il existe une tentative de fragiliser les corps intermédiaires pour privilégier plus souvent la participation d'individus qui ne représentent qu'eux-mêmes. L'intérêt individuel prime sur une vision de l'intérêt général. Le défi est de susciter un sursaut afin que les citoyens qui composent aujourd'hui la société puissent prendre une place plus grande dans les associations, dans les syndicats et même dans les partis politiques pour avoir une prise sur le «vivre ensemble». Il faudrait inscribe les problèmes très particuliers qui concernent l'individu directement dans un processus de recherche de l'intérêt général ; il faut pour cela que le fonctionnement des systèmes de représentation change aussi, car il y a urgence à organiser la vie démocratique sur notre territoire.
 
Une chose est sûre : on ne peut pas refaire la société en laissant de côté la participation politique. Pour cela, il faut que le citoyen puisse avoir le désir de contribuer à la vie de la cité, sinon il deviene complice du désenchantement politique à l'égard de la démocratie représentative et de l'intérêt général. Quand le peuple devient indifférent aux choses publiques, il laisse aux politiciens détachés de l'intérêt général la faculté de gouverner en son nom et donne une légitimé à une espèce de démocratie sans le peuple ! Aujourd'hui, écouter les revendications du peuple, c'est se faire taxer de populisme. Si on écoute les journalistes, les analystes politiques français, on peut au nom de la rigueur économique infliger au peuple bien des sacrifices car, pour ces gens-là, ce qui compte, c'est la stabilité économique du pays. Les débats sur la réforme des retraites voulue par Nicolas Sarkozy se sont souvent fracassés sur la «raison économique», au motif qu'il serait imposible de mettre en cause le système libéral majoritairement implanté en Europe, pour lequel le système de retraite par répartition est une anomalie française.
 
Dans le contexte actuel, on se demande pourquoi la dégradation de la pensée politique fait que le terme peuple devient péjoratif ? Même la notion de populisme demande aujourd'hui à éter réexaminée pour être débattue au regard de la réalité politique. Et attention aux pièges ! La confusion sémantique obéit-elle à une stratégie de communication mise en place par les idéologues de la droite ? En les écoutant, on a le sentiment que le peuple doit être écarté de tout processus de décision. Ceux qui donnent la possibilité aux «gens d'en bas» de réfléchir sur leur avenir sont considérés comme populistes. Drôle de vision de la démocratie ! La volonté de prendre en compte les intérêts des classes défavorisées suffit à rendre infréquentables ceux qui la professent ! On se demande si la démocratie aujourd'hui est envisageable sans le peuple ou contre le peuple ? Le désenchantement politique n'est pas une fatalité. Il est temps de réagir car sans rêve, la réalité perd la saveur des défis !
 
- Le journal MEDIAPART est édité par la Société Éditrice de Mediapart (SAS). Paris.
Directeur de la publication : Edwy Plenel, Directeur éditorial : François Bonnet
Article publié le vendredi 03 décembre 2010
https://www.alainet.org/fr/articulo/146768
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