« Un pas en avant significatif pour les mouvements sociaux africains »
Fin du Forum social mondial à Dakar
12/02/2011
- Opinión
Une mobilisation populaire massive lors de l’ouverture, le dimanche 6 février ; la diversité dont témoignent les centaines d’ateliers et d’assemblées thématiques ; les mini-mobilisations en faveur de causes spécifiques à l’intérieur du campus de l’Université nationale Cheikh Anta Diop (1) : tout cela a donné le ton à la session de Dakar.
Trois grandes thématiques ont prévalu : les femmes, avec leurs organisations et leurs réseaux ; la lutte des paysans contre l’accaparement des terres ; et plus particulièrement les migrants.
En résumé, les rencontres de plusieurs mondes dans un même espace. Des signes d’un forum social mondial qui, malgré les problèmes organisationnels initiaux, s’est terminé à la hausse ce vendredi 11 février. Et, au niveau des résultats, il aura dépassé les perspectives les plus optimistes de ses coordinateurs africains.
« C’est une grande surprise pour nous-mêmes, notamment en ce qui concerne la mobilisation que le FSM a suscitée et par la participation massive, qui a dupliqué nos prévisions initiales (40-50.000 participants) », souligne Taoufik Ben Abdallah, un intellectuel et militant tunisien, membre du comité africain d’organisation.
Dans son bilan, Taoufik Ben Abdallah ne dissimule pas l’autocritique relative aux « graves problèmes d’organisation, le premier jour » [ndr : les activités du FSM furent partiellement paralysées, faute d’aulas libres pour les réaliser] et par « les manques techniques que, dans quelques cas, nous n’avons pas réussi à surmonter ».
« Dès le début, ce qui a le mieux fonctionné, ce sont les villages (tentes) des femmes, des paysans, des migrants et des syndicats ». En résumé, la partie du FSM impulsée par les mouvements sociaux : ces derniers, dans la soirée du jeudi 10 février ont approuvé la « Déclaration de Dakar », une radiographie-extraits de nombreux débats de ce forum, de leurs priorités de mobilisations futures et de l’agenda commun des actions prévues pour l’année 2011.
Si l’on tente d’évaluer l’impact de la session de Dakar dans la vie interne du processus initié en 2001 à Porto Alegre (Rio Grande do Sul, Brésil), ses pulsions vitales relèvent davantage de la continuité que de brusques changements conceptuels.
« Le FSM est un espace ouvert. Nous ne nous proposons pas de réunir tous les acteurs participants pour leur imposer une volonté politique unique. Au lieu de l’ouvrir, une déclaration finale, risquerait de diviser et d’affaiblir le FSM… Cela n’empêche pas les mouvements, réseaux et compagnes travaillant ensemble de pouvoir produire leurs propres déclarations communes, comme cela est arrivé dans des sessions précédentes », souligne Taoufik Ben Abdallah
Le FSM de Dakar et de l’Afrique
Les soulèvements populaires survenus ces dernières semaines en Tunisie et en Egypte étaient omniprésents dans les débats du FSM. « Il s’agit d’une conjoncture politique que l’on n’avait pas vu depuis des années. La Tunisie et l’Egypte sont des pays africains, ce sont des nations arabes… et ce qui s’y passe a un impact direct sur tout le continent et dans l’ensemble du monde arabe », explique l’intellectuel sénégalais Demba Moussa Dembélé, directeur du Forum africain des alternatives et également membre du comité d’organisation.
« Beaucoup d’autres chefs d’Etat africains tremblent aujourd’hui en voyant ce qui se passe. Et le message est clair : les peuples ont toujours le dernier mot », souligne Moussa Dembele. Celui-ci ne doute pas que ce qui vient de se vivre à Dakar « signifiera un apport direct à la consolidation des mouvements sociaux africains ».
La majorité de ces mouvements – souligne-t-il – sont représentés au sein du Forum social africain (FSA) et sont venus à Dakar avec leurs programmes et leurs revendications propres par rapport à leurs luttes spécifiques dans leurs pays et érgions.
« Ce sera l’une des tâches du FSM – qui fédère la majorité de ces mouvements -, une fois la session de Dakar terminée, de voir comment systématiser les idées, les propositions et les campagnes, et de penser comment renforcer ces mouvements là où ils sont déjà présents. Et surtout comment étendre le concept du Forum dans ces pays ou régions du continent, où sa présence est encore faible ».
Selon Moussa Dembélé, dans le cadre de ce large processus d’accumulation de forces, il y a deux objectifs : « renforcer ces mouvements pour qu’ils articulent leurs revendications propres en faveur de la population africaine ; augmenter leur capacité d’interlocuteurs face aux pouvoirs publics dans tout le continent ».
Pour l’intellectuel africain, « le grand débat de ce FSM a touché les thèmes essentiels des grands défis auxquels sont confrontés l’Afrique et le monde. Nous pouvons mettre sur la table les grandes questions qu’affronte le continent : la thématique agraire, la souveraineté alimentaire, les ressources naturelles, la démocratie, la souveraineté des peuples ».
En ce sens, la session de Dakar « a développé une réflexion sérieuse et profonde, dépassant l’aspect de la protestation habituelle des mouvements sociaux contre la guerre, contre le changement climatique, les crises financières, l’accaparement des terres, etc. »
A Dakar, « l’Afrique a affirmé sa conscience. Nous en avions rêvé et nous en confirmons le succès : cette session marque une étape majeure dans le développement du mouvement social, aussi bien à l’échelle africaine que mondiale ».
Pour Moussa Dembélé, « Dakar marque une rupture et une nouvelle étape. Une rupture par rapport à l’accent mis sur la protestation et par rapport à la séparation parfois vécue entre les mouvements sociaux et le monde politique ».
Les changements en Amérique latine sont possibles « par le rapprochement étroit entre ces mouvements et le pouvoir politique. La réflexion menée à Dakar nous conduit à penser que tout changement de société implique aussi bien les mouvements sociaux que le monde politique. Et cela exige une nouvelle volonté politique commune », conclut Moussa Dembélé. (Traduit de l’espagnol : H.P. Renk)
- Sergio Ferrari (à Dakar, Sénégal)
1) Cheikh Anta Diop, historien et anthropologue sénégalais (1923-1986) : son œuvre essentiel a été consacrée à la mise en valeur du rôle de l’Afrique dans l’histoire des civilisations humaines. Cf. sa notice biographique sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Cheikh_Anta_Diop
Annexe :
« Nous avons gagné la bataille de l’information »
Des centaines de journalistes, particulièrement venant d’Afrique, ont couvert le FSM de Dakar. Beaucoup d’entre eux appartiennent à des médias alternatifs.
La presse locale sénégalaise a couvert cette session de près. Le journal « Le Quotidien » a publié une édition séparée, « Flamme d’Afrique », publication propre du Forum et de ses organisations africaines.
L’événement fut aussi couvert systématiquement par la BBC et Radio France Internationale, qui lui ont accordé des espaces relativement larges dans leurs programmes quotidiens.
« Ce fut l’un des principaux succès de cette session de Dakara en matière d’information », relève Bernard Bokodjin, sociologue de la communication. Militant du « Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde » (CADTM), dans son pays – le Togo -, Bokodjin est arrivé il y a trois semaines à Dakar pour renforcer bénévolement le petit groupe de presse du Forum.
« Je pense que, malgré nos limites, le FSM a gagné la bataille médiatique, plus particulièrement en Afrique », souligne Bokodjin. « C’est aujourd’hui un défi pour le Conseil international et les organisateurs africains du FSM de garantir la continuité de ce travail, de s’approprier réellement ces contact pour continuer d’informer et ainsi garantir que le processus du Forum continue d’avoir l’impact médiatique qu’il mérite » (Sergio Ferrari)
https://www.alainet.org/fr/articulo/147544?language=es
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