Coup d’Etat contre la démocratie
02/12/2011
- Opinión
L’austérité contre la démocratie
Chancelante, la démocratie fait pâle figure et tend à s’effondrer avec un bipartisme institutionnalisé au service des créanciers en toile de fond. Partout en Europe, c’est vers la même politique d’austérité voulue par les technocrates du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque centrale européenne (BCE) que l’on se dirige. Non seulement la preuve est faite à travers l’exemple grec que ça ne marche pas (du moins pour la population), mais en plus on s’assure, quand on daigne célébrer des élections, de mettre en place ces politiques quel que soit le gagnant des urnes. Le peuple n’a plus le choix, la politique économique est ficelée d’avance par les créanciers comme en Irlande ou au Portugal à la veille des élections. La troïka (composée de la Commission européenne, de la BCE et du FMI) impose ses politiques, le candidat vainqueur des urnes n’étant là que pour les appliquer, trompant l’électeur sur la supposée distinction partisane en matière économique.
En Espagne, Mariano Rajoy, l’héritier d’Aznar, n’a pas osé dévoiler les futures mesures d’austérité qui risquait de lui porter préjudice lors de sa campagne. A peine élu, alors qu’il est sous pression pour dévoiler la composition de son gouvernement avant sa prise de fonction |1|, il s’entretient avec les grands banquiers du pays : Isidro Fainé de La Caixa, Francisco González de la deuxième banque espagnole BBVA et Rodrigo de Rato, président de Bankia et ancien directeur général du FMI… Les grandes banques créancières de la dette espagnole tiennent les rennes, Mariano Rajoy gesticule.
Il s’agit bien d’une dictature qui s’impose, comme en Grèce où l’extrême droite fasciste (parti Laos) s’immisce au pouvoir sans avoir été mandatée par le peuple. Par ailleurs, on assiste à l’éviction des responsables politiques qui au lieu d’être jugés pour leurs politiques antisociales, lesquelles n’ont jamais été mentionnées dans leurs programmes électoraux, se retrouvent libérés de la vindicte populaire après avoir fait le sale travail. A ce titre, Berlusconi jouit d’une sortie plutôt heureuse et beaucoup auraient sans doute préféré le voir emprisonné pour tous les méfaits qu’il a fait subir à son peuple avec comme préalable l’obligation de rembourser l’argent détourné et volé au contribuable.
BCE, Italie, Grèce, le bal des chaises musicales des anciens de Goldman Sachs
Un chantre de la privatisation à la tête de la BCE
Coûte que coûte, même au prix de sacrifices humains inouïs, l’idéologie capitaliste avide de profit renforce sa domination partout en Europe. Durant le mois de novembre 2011 plusieurs responsables de la débâcle financière européenne sont mis en place sans avoir pour autant été élus. Mario Draghi vient d’être nommé président de la BCE, Lucas Papadémos est parachuté à la tête de l’Etat grec et Mario Monti remplace au pied levé un Berlusconi devenu trop impopulaire pour diriger l’Italie. Aucun de ces personnages n’a été soumis au vote, pas de programme compromettant, pas de campagne permettant de soulever le débat. Pourtant chacun d’eux a eu une part de responsabilité dans la crise qu’ils prétendent résoudre, notamment au sein de la sulfureuse banque d’affaires américaine Goldman Sachs, reine des arnaques astronomiques. Mario Draghi en tant que vice-président pour l’Europe de Goldman Sachs Internationale, Lucas Papadémos en tant que gouverneur de la Banque centrale hellénique et Mario Monti comme conseiller international de Goldman Sachs ont tous trois provoqué à des degrés divers le déclanchement de la crise en Europe en aidant à la falsification de comptes de la dette grecque et en spéculant sur celle-ci |2|. Ils portent de lourdes responsabilités dans la crise qui se développe en Europe et doivent à ce titre être démis de leurs fonctions et répondre de leurs actes devant la justice.
En Grèce, celui qui a aidé à falsifier les comptes prétend les assainir
Alors qu’il voulait à tout prix se maintenir au pouvoir et retarder la tenue d’élections générales en proposant un referendum au peuple grec qui clame sa démission, Georges Papandreou a dû plier sous les pressions venant de toute part jusqu’à l’intérieur de son propre gouvernement. Rappelons qu’un mois à peine après l’élection de Papandreou en octobre 2009, Gary Cohn, numéro 2 de Goldman Sachs, débarque à Athènes, accompagné d’investisseurs dont John Paulson qui sera au cœur de ce qu’on surnommera le scandale Abacus… |3|
Favori des milieux d’affaires, des banquiers et des partenaires internationaux, Lucas Papadémos, quitte la vice-présidence de la BCE pour devenir le nouveau premier ministre en Grèce sans pour autant avoir été élu. Il fut gouverneur de la Banque centrale hellénique entre 1994 et 2002 et a participé à ce titre à l’opération de trucage des comptes perpétré par Goldman Sachs. A noter que le gestionnaire de la dette grecque n’est autre qu’un certain Petros Christodoulos, un ex-trader de Goldman Sachs.
Le doute n’est plus permis quant à la perte de souveraineté en Grèce : pour faire suite aux missions régulières de la troïka (BCE, CE, FMI) qui visitent les ministères de la capitale, c’est une mission permanente qui va élire domicile à Athènes pour mettre en place, contrôler et superviser la politique économique du pays. Le gouvernement n’a qu’à bien se tenir ! Pour achever la muselière, la troïka prévoit un nouveau plan d’endettement alors que le premier mémorandum (prêt de 110 milliards d’euros en mai 2010), anti constitutionnel puisque non approuvé par le Parlement, n’a pas fini d’être remboursé. L’étau de la dette se resserre inexorablement sur le peuple grec.
En Italie, après plus d’une décennie de décadence démocratique, le conseiller de Coca Cola donne le coup de grâce
Avec près de 9 années passées à la présidence du Conseil, l’empire Berlusconi, troisième fortune d’Italie |4|, a profondément marqué la vie politique. Son règne signe la décadence et l’agonie d’une démocratie à bout de souffle. Devenu la risée de la presse internationale pour ses affaires de moeurs, accablé par des histoires de corruptions sans fin et jouissant d’une popularité en chute libre, Berlusconi démissionne de son poste de président du Conseil le 12 novembre 2011 plutôt que de convoquer des élections anticipées. Le lendemain, le président italien Giorgio Napolitano désigne l’ex-commissaire européen Mario Monti pour prendre la relève au pied levé. Il faut dire qu’il venait de le nommer sénateur à vie quelques tours plus tôt, le 9 novembre 2011. Mario Monti obtient une large majorité à la Chambre des députés le 18 novembre 2011 (556 voix contre 61 pour 617 votants). Ne craignant pas le cumul des mandats, en plus d’être le nouveau premier ministre, il se nomme également ministre de l’Économie. Mario Monti n’a aucune légitimité pour imposer la politique d’austérité aux italiens. C’est un putsch !
Conseiller pour les affaires internationales de Goldman Sachs depuis 2005 (en qualité de membre du Research Advisory Council du Goldman Sachs Global Market Institute), Mario Monti est nommé commissaire européen au Marché intérieur en 1995, puis commissaire européen à la Concurrence à Bruxelles (1999-2004). Il est président de l’Université Bocconi à Milan, membre du comité de direction du puissant club Bilderberg, du think tank neolibéral Bruegel fondé en 2005, du præsidium de Friends of Europe, think tank influent basé à Bruxelles, et conseiller de Coca Cola. En mai 2010, il parvient à la présidence du département Europe de la Trilatérale, un des plus prestigieux cénacles de l’élite oligarchique internationale.
Comme l’écrit Giulietto Chiesa dans le quotidien de gauche Il Fatto Quotidiano |5|, il vient pour "rééduquer" les Italiens à la religion de la dette. Au sein de son gouvernement, il s’entoure de banquiers et son ministre des Affaires étrangères, Giulio Terzi di Sant’agata, a été Conseiller politique auprès de l’Otan avant de devenir ambassadeur à Washington. Par ailleurs, un nouveau superministère chargé du Développement économique, des Infrastructures et des Transports est confié à Corrado Passera, PDG de la banque Intesa Sanpaolo.
Partout, les intérêts privés de l’oligarchie financière ultra conservatrice et amie de Washington sont placés avant ceux des populations. Ces gouvernements fantoches obéissent aux diktats de la finance, obligeant les citoyens à payer une dette injuste dont ils ne sont pas redevables puisqu’elle ne leur a pas profité. Le salut ne peut venir que d’en bas, faisons nôtre le slogan grec : « Nous ne devons rien, nous ne vendons rien, nous ne payerons rien » |6| !
Notes
|1| Sa prise de fonction est prévue à partir du 20 décembre. Comme il est d’usage au Royaume, le roi devrait être le premier informé de son gouvernement.
|2| En effet, Goldman Sachs perçoit une rémunération du gouvernement grec en tant que banquier conseil tout en spéculant sur la dette du pays. Le tableau est d’ailleurs probablement le même avec la banque d’affaire JP Morgan qui aide l’Italie à optimiser ses comptes. Marc Roche, La banque, comment Goldman Sachs dirige le monde, Albin Michel, 2010, p.19.
|3| Ibid, p.23.
|4| 118ème fortune mondiale, la famille Berlusconi détient 7,8 milliards de dollars, Forbes, http://www.forbes.com/wealth/billio...
|5| Giulietto Chiesa, E’ il governo Napolitano-Monti-Goldman Sachs, 12 novembre 2011, Il Fatto Cotidiano. Version française, Courrier International, 14 novembre 2011, Super Mario, l’homme qui roule pour la BCE, http://www.courrierinternational.co...
|6| Appel Sol – Syntagma, http://www.cadtm.org/Appel-Sol-Syntagma
https://www.alainet.org/fr/articulo/154408
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