Europe, le Vieux Continent déploie les ailes
30/09/2012
- Opinión
Après presque trois ans d’une crise économique destabilisante, qui a mis l’Union Européenne dans les cordes, on commence à faire les premiers pas pour approfondir l’unité, pour créer des mécanismes de gouvernance et on commence à débattre de la possibilité de créer une armée européenne. Jusqu’à présent tous étaient des sujets tabou.
« Votre rôle est de faire réalité le rêve européen. Vive l’amitié franco-allemande », a dit François Hollande en allemand. « Vive la jeunesse franco-allemande. Vive la jeunesse européenne », s’est exclamée Angela Merkel en français. Après s’être exprimé chacun dans la langue de l’autre, les deux dirigeants ont cherché à réaffirmer la vocation européenne qui les anime dans le même lieu où Charles de Gaulle s’était adressé à des milliers de jeunes Allemands le 9 septembre 1952, dans la petite ville allemande de Ludwigsburg.
C’était la première visite d’un président français dans l’Allemagne récemment battue lors de la Seconde Guerre mondiale, et son discours en allemand a enthousiasmé les jeunes. Juste 60 ans plus tard, les principaux dirigeants des deux pays les plus importants de l’Europe continentale ont voulu montrer qu’ils continuent à être inspirés d’une volonté identique de marcher ensemble, laissant de côté différences et rancunes, pour continuer à édifier une Union Européenne puissante.
Une nouvelle Europe
Le quotidien britannique The Guardian [« EU heavyweights call for radical foreign and defence policy overhaul », Ian Traynor] le 18 septembre a publié le contenu d’un document de 12 pages élaboré par les ministres des Affaires étrangères de l’Union Européenne, à la demande du ministre des affaires étrangères allemand Guido Westerwelle, qui synthétise « neuf mois de brain storming sur l’avenir de l’Europe ».
A l’exception de la Grande-Bretagne, cinq des six principaux pays de l’Union demandent « une révision radicale des politiques européennes de relations extérieures et de défense pour créer un nouveau et puissant ministère paneuropéen et le vote à la majorité simple de la politique extérieure commune pour éviter le veto britannique, créer une possible armée européenne et un marché unique d’industries de la défense ».
Selon cette information, l’impulsion fut allemande, bien que le contenu semble néo-gaulliste, et envisage la possibilité de choisir le président européen au suffrage direct. Les promoteurs de cette nouvelle orientation qui dans les faits parient sur un approfondissement de l’unité européenne sont l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne et la Pologne, laissant de côté la Grande-Bretagne ce qui, selon The Guardian, « augmentera la pression pour sa sortie de l’Union Européenne ».
La décision de créer un nouveau et puissant ministère commun européen cherche à désentraver les longues négociations ennuyeuses qu’impliquent d’arriver à un consensus entre 27 ou 28 pays. Comme l’ a signalé l’analyste européen du quotidien londonien, Ian Traynor, il s’agit « d’un chemin de sortir de la crise à travers d’une plus grande intégration » qui dans les faits laisse Londres « regardant le processus politique européen depuis le banc ».
Mais l’approfondissement de l’Union ne restera pas focalisé sur les relations internationales. Deux sujets occupent ces jours-ci les présidents de la France et de l’Allemagne : la création d’un organisme de supervision bancaire commun et les plans de fusion annoncés ces derniers jours par les deux plus grandes entreprises européennes de défense, le consortium européen EADS et la britannique BAE Systems.
La fusion entre les deux créerait un géant aérospatial plus grand que l’étasunienne Boeing, puisqu’il compterait 220 000 salariés et atteindrait 73 000 millions de dollars de chiffre d’affaires par an. La société britannique a été affectée par la réduction du budget de la Défense de son principal client, les États-Unis, un enseignement sur les fissures qui s’ouvrent dans l’alliance transatlantique dans des moments de crise économique et de virage géopolitique.
Selon les analystes du Laboratoire Européen d’Anticipation Politique (LEAP), le destin de BAE Systems serait menacé parce que son chiffre d’affaires dépend à 20 % du marché US, qui en pleine crise d’emploi se tourne vers les entreprises locales, et par la réduction de la dépense militaire britannique à cause de l’énorme endettement du pays. Le fait que la principale entreprise britannique de défense doit s’appuyer sur le Europe, anticipe les revirements dans les alliances mondiales (LEAP, le 16 septembre 2012).
Adieu l’ami
Les élections françaises furent un point d’inflexion qui a ouvert les portes à l’introduction de changements de longue haleine dans le continent. En fait, depuis le triomphe socialiste que plusieurs interprètent comme le retour du mitterrandisme, un climat différents se perçoit en Europe. « L’Euroland est enfin sorti de sa torpeur politique et du court-termisme depuis l’élection de François Hollande », a écrit le LEAP dans son bulletin mensuel de juin, « démentant ainsi tous les « pronostics » des médias anglo-saxons et des eurosceptiques. A partir de maintenant, l’Euroland (en fait l’UE moins le Royaume-Uni) va donc pouvoir aller de l’avant et se doter du véritable projet d’intégration politique, d’efficacité économique et de démocratisation sur la période 2012-2016 ».
Trois ans de crise et la menace, imminente par moment, de l’implosion de l’euro, ont convaincu les élites du continent d’une double nécessité : être doté des mécanismes de gouvernance et prendre leur distance avec l’axe Washington - Londres qui formait le noyau du pouvoir global aux côtés des alliés européens. Si la gouvernance semble indispensable pour dépasser la crise, pour prendre de la distance avec les États-Unis, c’est un type de décision qui ne peut pas être dit à voix haute, mais qui se déduit du chemin adopté au cours des derniers mois.
Un symptôme du nouveau climat fut le discours récent du ministre des affaires étrangères polonais Radek Sikorsk, lors de la conférence « Global Horizons » au palais de Blenheim, près d’Oxford, vendredi 21 septembre. Bien que la Pologne soit alliée de la Grande-Bretagne et des États-Unis, Sikorsk a demandé aux premiers d’abandonner leur « euroscepticisme » et d’être impliqués dans la construction européenne. C’était plus demander au gouvernement anglais de ne pas enterrer l’Union Européenne et que s’il se refuse à collaborer de « ne pas espérer que nous l’aidions à ruiner ou à paralyser l’Union » ( Back the EU or risk isolation, Poland warns UK. EU Observer, le 24 septembre 2012).
Il s’agit, en effet, d’une nouvelle conscience européenne, ce que certains nomment comme la « deuxième renaissance » après la naissance de l’après-guerre. Ni les dirigeants, ni une grande partie de la population, n’ oublient que ce fut une décision des principaux banquiers de la City et de Wall Street de lancer l’attaque spéculative contre l’euro comme moyen de sauver l’hégémonie du dollar.
« La violente attaque qu’a subi l’Eurozone de la part de ceux qui étaient considérés comme ses alliés stratégiques, le Royaume-Uni et les États-Unis, a radicalement modifié la perception des intérêts vitaux de l’Euroland, pour ses élites et pour ses citoyens », écrivait le LEAP en février.« Les années 2010 et 2011 ont montré aux eurolanders que leurs alliés se trouvaient, au moins, autant à Moscou, à Pékin, à New Delhi ou Brasilia, qu’ à Londres et à Washington, tout comme l’avenir de leur développement économique, technologique et commercial » ( LEAP, le 17 février 2012)).
Maintenant le principal allié de Washington court le risque de rester isolé, comme l’a affirmé le ministre polonais. Pire : comme la Morgan Stanley assure qu’en 2013 la dette britannique sera supérieure à celle de la Grèce, que l’île est confrontée à une dure récession et à une baisse probable de sa notation actuelle (CNBC, le 25 septembre 2012).
Si nous nous en tenons aux analyses des centres stratégiques européens, qui ont anticipé avec rigueur les événements mondiaux, dans les prochains mois nous assisterons à une poussée de la crise à des niveaux encore plus destructifs que ceux de septembre 2008. A l’horizon apparaissent plusieurs données à prendre en compte : la fragmentation du marché financier global dans trois grandes zones monétaires relativement sans connexion : dollar, euro et yuan (LEAP, le 17 novembre 2011).
La deuxième est l’approfondissement du ce qui a été dit précédemment, soit la perte d’influence des États-Unis sur l’Europe. Le LEAP anticipe même que pour 2017, il n’aura plus soldats US sur le sol continental européen. La troisième est l’alliance Union Européenne-BRICS comme horizon de collaboration à moyen terme.
Franck Biancheri, qui a travaillé aux cotés de François Mitterrand dans les années 80, soutient que la coopération entre l’Europe et les BRICS se trouve dans un « état avancé » dans des domaines comme la science, la technologie et l’économie, « manque encore un référentiel politico-diplomatique clair qui seul permettra à cette relation d’avoir un impact constructif sur l’évolution du monde ». Selon son opinion, les nouvelles directions que l’Union Européenne prend lui permettront d’aborder à côté des BRICS et de la plupart de pays du G-20 quelques questions clé pour dépasser la crise courante comme « un examen du rôle du dollar et le contrôle rigoureux des grandes institutions financières privées » (MAP 6, mai 2012).
* Raúl Zibechi, journaliste uruguayen, est enseignant et chercheur à la Multiversidad Franciscana d’Amérique Latine, et conseiller de plusieurs organismes sociaux.
Alai-Amlatina. Équateur, le 28 septembre 2012.
El Correo. Paris, le 29 septembre 2012.
https://www.alainet.org/fr/articulo/161400
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