La rencontre de la biotechnologie extrême et des énergies extrêmes

09/12/2015
  • Español
  • English
  • Français
  • Deutsch
  • Português
  • Opinión
-A +A

Le problème

 

L’industrie de la biologie synthétique, qui procède à des manipulations génétiques extrêmes, se distancie rapidement de ses prétentions initiales de nous mener vers un avenir propre, respectueux de l’environnement et sans pétrole. Nombre de cadres et d’entreprises en démarrage du domaine de la biologie synthétique tentent plutôt de s’allier avec des entreprises qui ont des intérêts dans la fracturation hydraulique, le schiste bitumineux et le gaz de schiste. Cette situation renforcera vraisemblablement le modèle économique extractif basé sur les combustibles fossiles, déjà responsable des changements climatiques qui accablent la planète de même que d’autres problèmes environnementaux et sociaux. La nouvelle technique de biologie synthétique appelée « fermentation gazeuse » permet de convertir le gaz naturel en différents carburants, produits chimiques, plastiques, et même en protéines. Elle accroît ainsi la valeur ajoutée du gaz provenant des champs pétrolifères et de la fracturation hydraulique. Elle pourrait également rendre économiquement viable l’exploitation des 40 à 60 % des réserves mondiales de gaz qui sont actuellement perdues ou « délaissées » (c.-à-d. le gaz dont l’extraction est actuellement prohibitive). Au même moment, les producteurs sont de plus en plus attirés par la possibilité d’utiliser des microorganismes synthétiques dans les puits et les gisements de charbon existants, car celle-ci pourrait leur donner accès à une plus grande fraction des deux à quatre milliards de barils de pétrole actuellement considérés comme inaccessibles. Injecter des microorganismes dans les champs pétrolifères constitue en soi un pari technologique. Si cette approche s’avère rentable, elle pourrait faire augmenter les réserves pétrolières mondiales de 150 % et également permettre d’extraire plus de gaz des réserves de charbon. Alors que les industries de la biotechnologie extrême et de l’extraction extrême s’apprêtent à collaborer plus étroitement, les risques sur le plan du climat et de la biosécurité découlant des activités de chacune d’elle se retrouvent de plus en plus intriqués.

 

Les acteurs

 

Encouragées et subventionnées par le ministère de l’Énergie des États- Unis, nombre d’entreprises de biologie synthétique, jeunes et plus anciennes, fabriquant des carburants et des produits chimiques se détournent de la biomasse à titre de matière première (la matière que consomment les bactéries synthétiques) pour adopter le gaz naturel. Les entreprises plus anciennes impliquées dans cette « ruée vers le gaz » comprennent Calysta, Intrexon, Coskata et Lanzatech. NatureWorks, un important fabricant de bioplastiques, se tourne également vers une usine alimentée au gaz naturel faisant appel aux bactéries synthétiques. Pendant ce temps, le nouvel intérêt de la part de l’industrie pétrolière d’injecter des organismes synthétiques dans les sites d’extraction semble être dirigée par BP et DuPont, mais des acteurs de moindre envergure explorent eux aussi ce domaine. Ces derniers comprennent Synthetic Genomics Inc., entreprise dirigée par Craig Venter, de même que l’entreprise californienne Taxon Biosciences. Jusqu’à présent, l’application des techniques de la biologie synthétique à l’extraction de minéraux non fossiles n’a pas suscité autant d’intérêt. Ce type d’application n’en est toutefois qu’au stade embryonnaire, l’entreprise sanfranciscaine Universal Mining prenant les devants dans la précommercialisation de cette dernière.

 

Les forums

 

Au palier national, le ministère de l’Énergie des États-Unis organise et finance activement la recherche dans le domaine de la biologie synthétique au profit de l’industrie des combustibles fossiles. Sur le plan de la politique internationale, toutefois, aucune discussion n’a eu lieu quant aux implications de la nouvelle tendance de cette industrie à assister l’extraction de combustibles fossiles. Notamment, les défis sociétaux et environnementaux découlant de l’appui biotechnologique à l’industrie vieillissante des combustibles fossiles n’ont pas été abordés dans le cadre, incontournable, des négociations sur le climat. Cependant, dans le cadre d’un processus entamé depuis quelques années, les 194 pays signataires de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB) ont pris plusieurs décisions de portée internationale fondées sur le principe de précaution qui exigent la mise en place d’une réglementation et d’un processus d’évaluation appropriés. Le thème de la biologie synthétique sera d’ailleurs à nouveau abordé lors de la prochaine rencontre de l’OSASTT (organe scientifique et technique de la CDB) en avril 2016.

 

Sur le plan politique

 

Le plus urgent consiste à établir un dialogue entre les mouvements s’opposant à l’extraction et à l’essor des combustibles fossiles (s’opposant à la fracturation hydraulique ou aux oléoducs, par exemple) et ceux qui surveillent les avancées biotechnologiques. Les organisations de la société civile pourraient recommander l’imposition d’un moratoire sur la dissémination dans l’environnement et sur la commercialisation des applications de la biologie synthétique, incluant celles concernant l’industrie extractive. Lors des négociations sur le climat, les représentants de la société civile et les décideurs politiques devraient rester vigilants afin que le captage du gaz délaissé destiné à être transformé par des procédés de biologie synthétique ou le recours à la récupération par action microbienne (RAM) des hydrocarbures ne soient pas fallacieusement promus à titre de solution à la crise climatique. Ils devraient en outre faire en sorte que les risques considérables pour le climat et la biodiversité inhérents à ces techniques soient bien connus de toutes les parties.

 

 * Documento completo en PDF  

https://www.alainet.org/fr/articulo/174153

Clasificado en

Crisis Ambiental

S'abonner à America Latina en Movimiento - RSS